Les agriculteurs bio ne manifestent pas, évidemment, pour réclamer un allègement des normes environnementales. Leur situation n'est pas pour autant plus enviable que celle de leurs confrères en production dite "conventionnelle". Les chiffres pour 2023 ne sont pas encore publiés, mais l'agriculture biologique pourrait même, pour la première fois, enregistrer un recul dans notre région.
En région Centre-Val de Loire, on recensait en 2022 un peu plus de 2000 fermes engagées dans une agriculture biologique (presque 10% des exploitations). Et 114 685 hectares consacrés à ce mode de production, soit (seulement) 4,9% de la surface agricole utile (SAU). Un chiffre bas par rapport à la plupart des autres régions, qui s'explique historiquement par la prédominance des grandes cultures céréalières dans une vaste partie Nord du territoire régional.
Des chiffres qui pourraient bien être revus à la baisse pour l'année 2023, selon Bio Centre, l'association régionale qui chapeaute un réseau structuré en 7 organisations départementales.
"La crise était déjà en germe avant 2020, explique Thomas Prigent, directeur de Bio Centre. Mais le confinement a masqué les choses : cela a dégagé du pouvoir d'achat, les gens se sont concentrés sur les courses de proximité, et puis il y a eu cette envie de changement de société. Alors la baisse de consommation de produits bio s'est surtout révélée en 2021 et 2022. Pour 2023, on redoute une diminution des surfaces et des exploitations consacrées à la bio."
La baisse de consommation de produits bio s'est surtout révélée en 2021 et 2022. Pour 2023, on redoute une diminution des surfaces et des exploitations consacrées à la bio.
Thomas Prigent, directeur de Bio Centre.
"L'un des enjeux majeurs de demain, faire en sorte que les fermes restent à taille humaine pour qu'elles soient reprenables, transmissibles"
Les agriculteurs bio, eux aussi, demandent à vivre décemment de leur métier et leurs organisations ont alerté depuis longtemps les pouvoirs publics, leur demandant de réagir et de soutenir la filière.
"Nous avons estimé les besoins de soutien financier à 250 millions par an sur les deux dernières années, reprend Thomas Prigent, pour maintenir les fermes dans une situation économique tenable. L'effort consenti par le ministère en 2023 n'est pas négligeable, on approche les 100 millions, mais cela reste très peu par rapport aux besoins réels ou par rapport à ce qui a pu être versé à certains moments pour l'agriculture conventionnelle."
L'État a investi de l'argent dans l'installation et la conversion en agriculture bio, mais pour les fermes dont les exploitants s'arrêtent, jettent l'éponge ou partent à la retraite..."il faut trouver des repreneurs afin qu'elles restent en bio, éviter qu'elles n’aillent à l'agrandissement. L'un des enjeux majeurs de l'agriculture de demain est de faire en sorte que les fermes restent à taille humaine pour qu'elles soient reprenables, transmissibles", insiste le directeur de Bio Centre.
Le juste prix, ou la rémunération des services environnementaux
Plus de travail et moins de rendement, les produits de l'agriculture biologique coûtent forcément plus cher que ceux issus d'une agriculture intensive. En période de forte inflation, avec un budget consacré à l'alimentation très resserré, les consommateurs français s'en sont détournés. Mais que paye-t-on au juste ? La FNAB (Fédération française de l'agriculture biologique) appelle à une revalorisation urgente du revenu agricole biologique, à la hauteur des services rendus :
Certains subissent la norme, nous, en bio, la norme nous la dépassons pour produire dans le respect de la nature, pourtant personne ne nous paye pour ces services rendus.
Loïc Madeline, secrétaire national FNAB
"La bio étant un produit de qualité, on subit aujourd'hui de plein fouet les choix d'arbitrage des consommateurs, précise Thomas Prigent. "Mais ce que nous tenons à rappeler, c'est qu'en achetant un produit bio non seulement on paye le juste prix qui permet à l'agriculteur d'en vivre, mais on paye aussi tout un tas de services environnementaux bénéfiques pour la collectivité : qualité de l'eau, de l'air, biodiversité, etc."
À l'inverse, un produit conventionnel, contenant des pesticides et cultivé avec de grandes quantités d'engrais chimique, coûtera certes moins cher sur l'étal, mais va générer au final des coûts liés au traitement de l'eau, à la prise en charge des problèmes de santé publique ou à la perte de biodiversité.
"Les services environnementaux rendus par la bio doivent être beaucoup mieux reconnus qu'ils ne le sont aujourd'hui, par du soutien aux agriculteurs et par du soutien aux consommateurs, poursuit le directeur de Bio Centre. Strasbourg, par exemple, vient de mettre en place la distribution de paniers de légume bio pour les femmes enceintes. Et pourquoi pas un chèque bio pour les consommateurs ? L'État donnerait ainsi les moyens aux gens modestes de consommer bio, en prenant en charge tout ou partie du différentiel de prix."
Les normes environnementales ne sont pas une option
Quelles que soient leurs productions et leur mode de production, les agriculteurs aujourd'hui mobilisés sur les barrages routiers réclament tous un salaire décent et une meilleure reconnaissance de leur travail. Mais certains exigent aussi un allègement des charges environnementales, faisant de l'écologie l'épouvantail du monde agricole.
"Les normes environnementales, c'est aussi une ambition environnementale, et il n'y a pas le choix, estime quant à lui Thomas Prigent. "Aujourd'hui, on est obligé de fermer des captages d'eau potable parce qu'on n'arrive plus à contrôler les niveaux de pollution," déplore-t-il.
On voit bien l'effondrement de la biodiversité et ses conséquences, on voit bien les problèmes de santé publique avec, par exemple le CHU d'Arras qui ouvre une consultation pédiatrie/pesticides. Pour nous, il n'y a pas d'option.
Thomas Prigent, directeur de Bio Centre.
"Si l'on fait fi de ces normes environnementales et de la stratégie du Green Deal à l'échelle européenne, on accélère un peu plus pour aller se crasher dans le mur," assure le directeur de Bio Centre.
Co-auteure du rapport parlementaire sur l'agriculture et la biodiversité présenté ce mercredi 24 janvier à l'Assemblée Nationale, la députée NUPES Marion Meunier estime également que "faire des normes environnementales la cause du problème agricole est une imposture".
"En cinquante ans, la surface moyenne d’exploitation est passée de 21 hectares à 69 hectares (en 2020), plus de 4 exploitations sur 5 ont disparu, 70 % des haies ont été éliminées, la polyculture a diminué. En quarante ans, le nombre d’agriculteurs a été divisé par quatre et la France est devenue le deuxième pays européen le plus utilisateur de pesticides. En parallèle, la biodiversité s’est effondrée : les populations d’oiseaux ont diminué de 43 %, plus de 40 % des eaux de surface sont affectées par des pollutions diffuses, et les sols sont de plus en plus dégradés. Il y a urgence à agir pour une transition agricole juste et écologique."
Ainsi, à rebours de la FNSEA qui fustige les règles environnementales et s'obstine à défendre le modèle productiviste, nos confrères du magazine Reporterre estiment que "l’écologie peut sauver l’agriculture, en garantissant le revenu des agriculteurs, en donnant accès à tous et à toutes à une alimentation de qualité et en engageant dès maintenant une transition agroécologique qui protège la biodiversité."
Le directeur de Bio Centre rappelle que les normes environnementales ne sont pas faites pour accabler les agriculteurs :
"Ils le vivent ainsi, et c'est entendable. Mais elles ne sont là que pour tenter de préserver les ressources naturelles et la santé de chacun. Ce serait un très mauvais calcul d'y renoncer. Ce qu'il faut, c'est que l'État et l'Europe mettent les moyens pour accompagner tous les agriculteurs vers une véritable transition écologique."
Enfin, Thomas Prigent entend couper l'herbe sous le pied des détracteurs de l'agriculture biologique qui affirment qu'avec ses plus faibles rendements, elle ne pourrait nourrir toute la population :
"Nous allons devoir rééquilibrer notre mode alimentaire, manger moins et mieux de viande. Or, 70% de la surface agricole utile en France est cultivée pour nourrir des animaux, pas des humains. C'est une clé essentielle : si l'on reconvertit une partie de ces espaces libérés pour produire notamment de la protéine végétale, on peut parfaitement nourrir l'ensemble de la population. La bonne nouvelle, c'est que c'est possible !"