Crise de la betterave : bio ou conventionnel "opposer les filières est une grave erreur !"

La crise de la betterave, inédite par son ampleur, a dévoilé la fragilité du système agricole face au changement climatique et à l'affaiblissement de la biodiversité. Les cultures bio et conventionnelles n'ont pas subi le raz-de-marée de la même manière, mais les deux sont à risque.

En pleine crise de la betterave, la réintroduction "temporaire et très encadrée" par le gouvernement des néonicotinoïdes, considérés comme très toxiques pour les insectes pollinisateurs par l'Autorité européenne de sécurité des aliments, continue de faire débat. La région Centre-Val de Loire, avec plus de 30 000 hectares de cultures de betteraves dont près de 20 000 dans le Loiret, est particulièrement touchée.
 

La filière bio épargnée ?

Immédiatement saluée par les syndicats comme la FNSEA et les Jeunes agriculteurs, la mesure a été très critiquée par les agriculteurs bio et les écologistes. Sur les réseaux sociaux, la polémique a circulé, tout comme les informations hâtives, voire fallacieuses.
Notamment, un tweet de l'association anti-pesticides "Nous voulons des coquelicots" publié le 8 août, affirme que "La betterave en BIO n'a pas été attaquée par les pucerons et, donc, la jaunisse. Les parcelles sous intraveineuse de pesticides ont été, elles, ravagées". Problème : si certaines parcelles bio sont effectivement épargnées, d'autres ont subi la vague de ravageurs et se sont retrouvées sans défense.

Romain Lhopiteau est agriculteur à Néron, en Eure-et-Loir. Depuis 1978, sa ferme produit en bio une douzaine de cultures différentes, dont la betterave qui représente 15 hectares et une récolte de 53 tonnes en 2019. Il estime que sa perte de rendement sera "infime" cette année, grâce à des plants "moins virosés que les cultures conventionnelles autour de chez moi".
 

Insectes "auxiliaires" contre pesticides

"J'ai observé des auxiliaires présents dès le début", ajoute-t-il. Ces "auxiliaires", les insectes comme la larve de la coccinelle ou certaines espèces de guêpes, sont son unique ligne de défense contre les "ravageurs", une ligne entretenue par l'absence de pesticides et un couvert végétal qui leur sert d'abri.

Pour lui, le réchauffement climatique est l'un des facteurs majeurs de la multiplication précoce des pucerons transmettant la jaunisse, bien avant le réveil de leurs prédateurs naturels. Mais cette invasion a eu lieu dans un écosystème raréfié. Selon les scientifiques, entre un tiers et la moitié des espèces d'insectes serait en voie d'extinction. En France, certaines espèces ont vu "une diminution de 85% de la biomasse en 25 ans". Ouvrant la voie à des ravageurs qui profitent de la place.

 

"L'impact va être catastrophique"

A plus grande échelle, certaines parcelles bio sont tout aussi touchées que la filière traditionnelle, voire plus concernant d'autres cultures. "Des productions biologique de pois, lentilles après des invasions de pucerons ont été détruites en Centre-Val de Loire" affirme sur Twitter le président de la FDSEA du Cher, Arnaud Lespagnol. "Les producteurs les ont remplacé par du soja, maïs ou sorgho."

"L'impact va être catastrophique", résume Pierre Houdmon, responsable régional de l'Institut technique de la betterave (ITB). "On a des pertes très conséquentes en bio, parce qu’on n’arrive pas à contenir la jaunisse", ajoute-t-il, des pertes aggravées par des "coûts de main d'oeuvre exorbitants" qui ne leur laisse pas une très grande marge : "il faut 50 à 100h pour contrôler l’enherbement sur 1 seul hectare, à 18 euros de l’heure."
 

Opposer les filières comme on le fait aujourd’hui est une grave erreur : le bio s’en sort si le conventionnel s’en sort.

Pierre Houdmon, responsable régional de l'ITB

Aucune solution à court terme

D'ailleurs, les industriels qui font appel à des producteurs bio font une observation identique. C'est le cas de William Huet, responsable agronomique de Cristal Union, qui exploite 900 hectares de cultures bio. La crise, explique-t-il, est "au moins aussi grave" dans le bio que dans la filière traditionnelle, bien que des semis tardifs soient un peu moins touchés grâce à l'arrivée des auxiliaires. "Les pucerons ne choisissent pas à quel type de culture ils s'attaquent", note l'expert, "et il suffit d'une morsure pour transmettre la virose".
"Il y a eu un décalage de cycle entre les pucerons, qui sont arrivés très tôt à cause de l'hiver doux, et leurs prédateurs.", diagnostique William Huet. "On a eu trois semaines avec pucerons mais sans auxiliaires." Une problématique qui risque de s'amplifier avec le réchauffement climatique, et que les producteurs tentent d'anticiper tant bien que mal au milieu d'une crise totalement inédite par son ampleur. Les betteraves étant récoltées jusqu'en novembre, il faudra peut-être même attendre la fin de l'année pour en tirer toutes les leçons.

En ce qui concerne les produits, "pour l'instant, on n'a pas de solution efficace" pour remplacer les néonicotinoïdes, regrette l'agronome. Mais d'autres pistes sont explorées, comme la re-création de biodiversité grâce à des haies, des bosquets et des couverts végétaux : "pas une solution miracle, mais ça pourra faire partie d'un panel de techniques."

Enfin, reste la piste des recherches génétiques pour produire des variétés de betteraves résistantes ou tolérantes à la jaunisse, ce qui peut prendre "entre cinq et dix ans". En attendant, il se pourrait bien que les néonicotinoïdes reprennent leurs aises. Les abeilles sont priées de patienter.
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