Le procès intenté par Dieudonné contre le président du Conseil représentatif des institutions juives de France s'est ouvert mardi. Le polémiste, animé d'une volonté de "paix", a reconnu sa "part de responsabilité" et s'est étonné du sens donné à la "quenelle" qui lui "échappe".
Poursuivant le président du Crif, qui l'avait qualifié de "professionnel de l'antisémitisme", le polémiste Dieudonné s'est présenté mardi au tribunal comme animé d'une volonté de "paix" et de "débat", allant jusqu'à solliciter l'avis de Luc Ferry et Alain Finkielkraut.
Devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, qui l'a plusieurs fois condamné pour des propos antisémites, et parfois relaxé aussi, Dieudonné était cette fois sur le banc des parties civiles. Il reproche au président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) Roger Cukierman ses déclarations de la mi-décembre 2013, peu avant l'interdiction de son spectacle "Le Mur".
A la barre, Dieudonné a affirmé qu'il avait "tenté à plusieurs reprises d'avoir un débat, un dialogue", assurant: "Je regrette que ça se fasse ici".
Jean-Marie Le Pen, Alain Soral, Dieudonné: "Il y a des gens avec lesquels il me semble que le dialogue n'est pas possible", avec ceux qui "sont allés beaucoup trop loin" le "chemin est irréversible", rétorque Roger Cukierman. "Dieudonné fait commerce d'antisémitisme puisque c'est le thème principal de ses sketches", poursuit le président du Crif.
Au cours des débats, Dieudonné - parti après une suspension d'audience - a semblé tantôt posé, tantôt goguenard quand il se trouvait en porte-à-faux, voire insolent au point de se faire reprendre par la présidente. A la lecture de nombre de ses déclarations dirigées contre les juifs, Dieudonné a un temps baissé les yeux. Avant de lancer au tribunal: "Vous les sortez du contexte", "là vous généralisez totalement", ou d'assurer qu'il répondait à des injures en raison de la couleur de sa peau.
Le tribunal s'interroge: comment passe-t-on du dauphin à la croix du Christ en passant par la quenelle de l'époque de la liste antisioniste de Dieudonné aux européennes de 2009, que le polémiste voulait "glisser dans le fond du fion du sionisme"? La "propension qu'a une oeuvre à évoluer", dit-il. Estimant être parfois traité comme si c'était lui le prévenu, Dieudonné assure que la quenelle n'est "pas un geste antisémite". Il pense, dit-il, que "l'antisémitisme, c'est pas drôle".Quant à la "quenelle", Dieudonné s'est dit "étonné de voir que la signification" de ce geste - réalisé une main sur un bras tendu vers le bas - lui "échappait". A sa naissance en 2005, il s'agissait de la nageoire d'un dauphin qui mettait en garde l'humanité, qui disait en substance "si vous continuez à polluer l'océan (...) vous allez vous la prendre". Puis "les gens se sont appropriés le geste", "beaucoup de descendants d'esclaves" y ont vu selon lui "un geste d'émancipation". Ce serait aujourd'hui un signe de croix, évoquant un "chemin de croix" du "peuple afro-descendant".
"Cache-sexe" de l'humour
Cité comme témoin par Roger Cukierman, le philosophe Luc Ferry souligne "sans aucune agressivité" que l'humour invoqué par Dieudonné est un "cache-sexe". Effet pervers du talent de Dieudonné: "la corruption des meilleurs est la pire".Dieudonné demande: comment faire alors pour "sortir de cette situation ? "On n'est pas dans un cabinet de consultation", souligne la présidente, mais la réponse vient. "Vous pouvez bifurquer encore", prodigue l'ancien ministre. Et de lui lancer:
à votre place, "je désavouerais publiquement Faurisson", négationniste que Dieudonné avait fait monter sur scène en 2008 pour lui faire décerner un prix de l'infréquentabilité. A la même question, le philosophe Alain Finkielkraut répond: "Nul n'est prisonnier à vie de ses déclarations, il ne tient qu'à lui de tourner la page". "J'ai certainement ma part de responsabilité", "je peux comprendre que j'ai pu blesser", embraye Dieudonné, assurant s'inscrire dans une démarche de "paix".
Le procureur Jean Quintard ne croit "pas du tout" à cette "volonté de rédemption" affichée. Comme plaidé par la défense, il a préconisé la relaxe. Le tribunal rendra son jugement le 5 juillet. Dieudonné a engagé plusieurs procès relatifs à la qualification de la quenelle. Il a déjà été condamné pour procédure abusive.