Les châteaux de la Loire face à la sécheresse : comment garder en vie les jardins de Villandry ?

Manque d'eau et chaleur quasi-continue règnent sur la vallée de la Loire cet été. Aussi centenaires qu'ils soient, les fameux châteaux pâtissent du changement climatique. Symbole de leur prestige, les jardins aussi sont mis à rude épreuve. (3/3)

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À la différence de la forêt de Chambord, dont nous parlions hier, un jardin de château de la Loire ne peut pas vraiment survivre sans un coup de pouce de l'Homme. Ou plutôt, un coup d'arrosoir, et deux trois coups de sécateur. Cette perfusion d'eau douce est indispensable à de nombreux parterres de fleurs et autres haies taillées à la française.

Comment, dès lors, garder vivant un jardin de château de la Loire, à l'image de celui de Villandry, le plus prestigieux de tous ? Là-bas, le potager et les parterres affichent toujours une forme épatante, un vert franc et des couleurs de fleurs éclatantes. Une façade bien tenue, qui cache une partie un peu moins glamour : "Les pelouses que les visiteurs voient moins, on a arrêté complètement de les arroser", confie Anthony Coué, le chef jardinier à Villandry.

Pourtant ici, pas question d'utiliser l'eau du réseau communal. La grande majorité de l'eau d'arrosage provient de l'eau de pluie, récupérée par les toits du château et par le ruissellement de quelques rus. Le tout converge vers les douves, d'où une pompe alimente la pièce d'eau centrale des jardins. Par un jeu de cascades d'ornement, retour à la case douves, et ainsi de suite. C'est dans cette eau que les jardiniers de Villandry puisent la majeure partie de ce dont les plantes ont besoin.

En attendant des jours meilleurs

Les jardins peuvent aussi bénéficier d'eau pompée dans la nappe, mais "on utilise à peine un quart de ce à quoi on a droit", assure Anthony Coué. Lui milite contre le sur-arrosage, en toutes saisons. "C'est pas bon pour la plante. Alors qu'en l'arrosant peu, on l'oblige à faire des racines profondes pour aller chercher de l'eau, et ça l'aide à survivre à une sécheresse comme cette année."

Toujours en Indre-et-Loire, le château d'Amboise a lui-aussi abandonné ses gazons. "C'est de la graminée, donc elle devient jaune, mais dès qu'elle aura à nouveau de l'eau, elle redeviendra verte", explique Jason Martino, jardinier du domaine. 

En gros, la moitié de la surface arrosée des jardins d'Amboise est laissée sans eau. "On se concentre sur les plantes qui meurent sans arrosage, les plantes en pot et les massifs, ça les aurait condamnées immédiatement", précise Marc Métay, le directeur du château. Au total, les jardins économisent 50% d'eau en moyenne par rapport à leur consommation habituelle pour l'arrosage, qui ne se fait qu'à la main et entre 6h et 8h du matin, pour éviter gâchis et évaporation.

Responsabilité

Par dérogation préfectorale, tous les jardins appartenant à l'association des Parcs et jardins en région Centre (PJRC) ont pourtant le droit d'arroser leurs plantations, pelouses y compris (Villandry aussi). Mais pour Marc Métay, le sujet n'est pas là :

On place le curseur au-delà des demandes préfectorales, non pas pour faire de la gloriole, mais pour s'inscrire dans l'effort collectif. On demande aux agriculteurs d'économiser l'eau pour l'alimentation, nos visiteurs ne comprendraient pas qu'on arrose des gazons non-productifs.

Marc Métay, directeur du château d'Amboise

Surtout quand le jaunissement et le "sacrifice" des pelouses ne sont pas définitifs.

Quelques kilomètres au nord, par-delà la Loire, Alix de Saint Venant a pris la même décision. Chatelaine à Valmer, elle n'arrose plus depuis le 10 août la terrasse de Leda, partie "décorative" du jardin de son château, principalement composée "d'arbustes et de vignes, donc c'est moins grave s'ils perdent leurs feuilles". Car, à côté de la partie décorative, Valmer a aussi sa zone productive : à savoir un potager conservatoire, multi centenaire et remis en culture par Alix de Saint Venant au début des années 2000.

Comme Villandry et Amboise, Valmer fait partie des PJRC, et pourrait arroser sa terrasse. Mais pour la chatelaine, il s'agit moins d'une question de réglementation que d'une nécessité de conserver pour elle-même la ressource eau. Tout le jardin du château tient son eau d'arrosage d'un puits, qui pioche l'eau de la rivière Brenne en contrebas.

Au compte goutte

Au 19 août, le bassin de la Brenne n'était pas encore classé en état de crise, juste au niveau du dessous, l'alerte renforcée. Assez pour que la quantité d'eau du puits baisse à vue d'œil. "La dernière fois qu'il a été aussi bas, c'était lors de la canicule de 2003, et c'était début septembre, note Alix de Saint Venant. Cette année, il a atteint ce niveau dès début août. En 50 ans que je suis dans ce jardin, je n'ai jamais vu ça." Autant dire que chaque arrosoir est compté, pour faire survivre le potager et ses légumes, avec lesquels se nourrissent les résidents du château, et qu'aiment goutter les touristes. "Je ne suis pas sûr de pouvoir tirer mon épingle du jeu jusqu'à la fin de l'été", note-t-elle, un peu fataliste.

Et encore, elle utilise un système d'arrosage par goutte-à-goutte "qui n'arrose pas les feuilles", uniquement la nuit, et la quantité minimale "pour que les plantes survivent". Pas plus, pas moins. Un équipement qui lui a permis, jusque là, d'économiser l'eau, mais qui pourrait devenir insuffisant dans les prochaines années.

Même inquiétude à Amboise : là-bas, "on avait déjà sélectionné des plantes peu gourmandes en eau à la création du jardin", assure le directeur Marc Métay, défendant une "démarche engagée il y a plus de 10 ans" pour économiser l'eau. À Villandry, la question avait été réfléchie en 2008, à la conception du jardin du soleil dans un bout du parc. "Il a été réalisé avec des plantes qui résistent à la sécheresse", note Anthony Coué, le chef jardinier du domaine. "Depuis le début de l'été, on ne l'a arrosé qu'une fois.

Sélection artificielle

Mais le reste des jardins de Villandry a été reconstitué au début du XXe siècle, à partir de plans de la Renaissance. Autant dire deux époques où la résilience face au changement climatique n'était pas dans les têtes des paysagistes. Anthony Coué le reconnaît lui-même, une partie des parterres n'est probablement pas prête à supporter des sécheresses à répétition. Pour s'adapter, à son échelle, il met en place quelques techniques pour maximiser l'usage de l'eau : "On coupe la pelouse moins basse pour qu'elle récupère mieux la rosée du matin, et on met du paillage qui lutte contre les mauvaises herbes et conserve l'humidité du sol.

Des bouts de ficelles toujours bons à prendre, mais qui seront peut-être insuffisants quand un été comme celui de 2022 deviendra la norme, d'ici une vingtaine d'années. "Il faudra voir comment les plantes s'adaptent", et "probablement sélectionner celles qui tiennent le mieux et demandent le moins d'eau", prédit Anthony Coué. Preuve que, même s'ils sont debout depuis des siècles, les châteaux de la Loire n'ont rien de gravés dans le marbre, et sont encore appelés à évoluer.

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