Une ferme d'élevage située à Courcoué, en Indre-et-Loire, a été autorisée par la préfecture, fin janvier, à dépasser les 1 000 bovins. A l'occasion du salon international de l'agriculture 2020, des acteurs du milieu s'inquiètent sur la viabilité d'une telle exploitation.
Des routes défoncées par le passage des poids lourds et des tracteurs, une odeur nauséabonde et surtout près de 700 vaches laitières serrées dans une seule stabulation... Le 27 janvier dernier, la préfecture d'Indre-et-Loire a permis à une ferme de la commune de Courcoué, près de Richelieu, d'élargir son chaptel.
Après plus d'un mois d'enquête publique, la préfète a ainsi autorisé l'élevage du domaine de la Croix-Morin à passer de 350 à 550 vaches. Sur ce seuil, la loi indique que l'exploitation pourra augmenter de nouveau ses troupeaux de 25 % par la suite. Et ceci, sans autorisation supplémentaire requise. La ferme atteindrait les 700 vaches laitières et le millier de bovins, en comptant les génisses et les veaux.
Le maire de Courcoué, Jean-François Couvrat, ainsi que ses homologues des villages voisins de La Tour-Saint-Gelin et de Chaveignes, s'indignent de l'évolution de cette ferme "aux 1 000 vaches". "Les tracteurs creusent des ornières et dégradent les routes", constate Jean-François Couvrat. Conséquences : plusieurs dizaines de milliers d'euros de dégâts. Une somme pour ces communes qui ne dépassent pas les 600 habitants. Désemparés, les trois maires envisagent de porter l'affaire en justice.
Entre 10 et 100 fermes de 1 000 bovins pourraient voir le jour en France
Mais, au-delà des conséquences matérielles, une telle exploitation pourrait avoir des effets néfastes sur l'écosystème : "Ce sont des élevages qui demandent de nombreuses ressources hors-sol. La qualité de l'eau peut en pâtir. De plus, ces fermes n'ont aucune gestion des zones de bocage ou encore des paysages", s'inquiète Jean-Louis Perrault, maître de conférence à l'université de Rennes, qui était déjà alerté par l'installation d'une autre ferme "aux 1 000 vaches" dans le département de la Somme.Selon lui, à l'avenir, entre 10 et 100 fermes de 1 000 bovins pourraient voir le jour en France. Surtout dans les "zones de transition" : "Plusieurs exploitants rencontrent des difficultés économiques dans des régions qui ne sont pas spécialisées dans la production laitière. "Se regrouper sous une seule exploitation leur permet de limiter les coûts de production, de mettre en commun leurs outils de travail et la main d'œuvre", explique le chercheur avant de s'interroger :
Selon lui, ce modèle "capitaliste" reste cependant "ni souhaité, ni souhaitable" :Vaut-il mieux que les éleveurs se regroupent dans ces grandes structures ou que les petites exploitations disparaissent ?
Ces fermes de grande envergure dynamitent la tradition française, aux troupeaux de 70 vaches en moyenne, selon les chiffres de la BDNI (la base de données nationale de l’identification, outil de référence pour les informations relatives à l’identification des bovins en France). Alors quid du bien-être animal dans ces "élevages en batterie" ? "Ces exploitations sont tellement peu nombreuses dans la production laitière qu'elles sont surveillées de près par les pouvoirs publics", poursuit Jean-Louis Perrault.Ces fermes nécessitent de nombreux investissements, ce qui ne va pas dans le sens de la société française qui privilégie avant tout les petites exploitations.
Pas de surcapacité
"Il y a eu une enquête publique, l'exploitation a dû respecter un ensemble de normes", ajoute Sébastien Prouteau, président de la FNSEA 37, avant de poursuivre : Ces exploitations existent. Il y en a peu. Mais, elles correspondent à un marché qui demande d'importants volumes. Ce type d'exploitation permet de produire plus, donc de vendre bon marché. Il ne faut pas faire d'amalgame : cet élevage ne correspond pas à la réalité du secteur. C'est une goutte d'eau dans la masse de production.
Le président de la FNSEA en Indre-et-Loire regrette le manque d'appréciation des élus locaux face aux retombées positives que pourraient engendrer une telle exploitation : "Dire qu'il y a des nuisances est un mauvais argument, il y a eu une mise en conformité. C'est en avançant ces problèmes que l'on participe au mauvais jugement de ces exploitations. Pourtant, cet élevage génère des emplois et participe à l'économie locale."
Cédric Raguin, ancien secrétaire général des Jeunes Agriculteurs, désormais secrétaire général adjoint à la Chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire, est conscient de la mauvaise opinion dont souffre ce genre d'exploitation : "C'est une problématique très compliquée. La filière est peu rémunératrice et ces grands élevages permettent de dégager des profits. La seule porte de sortie serait que les consommateurs soient prêts à dépenser davantage pour des produits plus responsables", explique-t-il avant de regretter : "Quand on interroge le citoyen, il veut plus de vert. Mais lorsque l'on interroge le consommateur, il souhaite ce qui a de moins cher."