À l'occasion d'une opération du collectif Pas d'enfant à la rue à Tours, France 3 a rencontré Ichram et Mohammed. Ils témoignent de la dureté d'élever leurs enfants en bas âge, sans domicile fixe.
Maïssa a trois ans, et comme près de 2 millions d'enfants de son âge, elle a connu sa première rentrée des classes en septembre. Mais contrairement à la plupart d'entre eux, son quotidien rime avec des déplacements permanents, d'accueils de jours en foyers d'urgence. Quand elle ne dort pas dans la rue avec sa famille, comme 2000 enfants en France. Un chiffre en hausse de 120% en quatre ans, en raison de la saturation de l'hébergement d'urgence.
Les journées de Maïssa, de ses parents, et de sa sœur âgée d'un an sont rythmées par la recherche éreintante d'un lieu où dormir. Et une fois un abri temporaire trouvé, la promiscuité et le bruit ne permettent pas un sommeil de qualité. "Elle est très contente d'aller à l'école", raconte sa mère, Ichram. "Mais se réveiller à 6 heures, quand on ne peut pas dormir avant 23 heures, pour un enfant de trois ans ce n'est pas normal. Pour nous, les adultes, c'est déjà dur."
Survivre semaine après semaine
Ichram, professeure d'histoire-géo et son mari, Mohammed, sont venus d'Algérie il y a deux ans et demi. Tous les deux diplômés et prêts à travailler, ils naviguent à vue depuis leur arrivée, semaine après semaine. Ce soir-là, malgré l'épuisement des places au Samu social, ils trouveront un matelas et un repas chaud auprès du collectif Pas d'enfant à la rue et de la Table de Jeanne-Marie, comme une dizaine d'autres familles. Fondé en mars 2023 par des enseignants du quartier des Sanitas, à Tours, consternés de voir certains de leurs élèves sans toit, le collectif fait son possible, depuis, pour dénicher des places.
"Chaque semaine, c'est très, très compliqué de trouver une place pour dormir", explique Ichram. Tous les mardis, c'est le même rituel : des appels incessants auprès des foyers d'hébergement d'urgence, dans l'espoir de trouver un peu de place, pour une semaine de plus. "Une fois, j'ai passé 900 appels avant de réussir à avoir quelqu'un", se souvient-elle.
Une fois un hébergement trouvé, il faut encore trouver de quoi se nourrir et où passer la journée. "Souvent, ce sont des accueil de nuit, donc on doit partir à 9h du matin, et on ne peut revenir qu'à partir de 17 heures", détaille la jeune maman. Elle se retrouve donc dans la rue, avec ses enfants, à la recherche d'un accueil de jour, tandis que son mari travaille en tant que bénévole à la Banque alimentaire. Quant aux repas, elle les trouve souvent auprès d'associations comme le Secours catholique.
"On veut travailler !"
L'approche de l'automne resserre encore plus l'étau de la petite famille. Angoissée, Ichram réprime ses larmes. "On ne va pas bien", confesse-t-elle. "Comment on va faire ? Mardi j'ai pleuré, je n'ai pas supporté quand on m'a dit qu'il n'y avait plus de place nulle part. Franchement, avec des gens, des enfants à la rue, elle est où l'humanité ?"
"Je n'ai jamais imaginé qu'on se retrouve à la rue avec mes enfants et mon mari, qu'on ne mange pas de la journée, qu'on doive donner le biberon, changer la couche" dans ces conditions, se désole Ichram. Malgré leurs qualifications, le couple n'a encore trouvé ni travail, ni logement. "On n'est pas venus par plaisir ! On veut travailler, on est jeunes, on a des compétences, on a du potentiel !" lâche, exaspérée, la jeune femme. "Laissez-nous travailler, régularisez-nous, et on saura se loger nous-mêmes, payer nos impôts comme des citoyens. Pourquoi un Bac +5 et un Bac +7 égalent zéro ?"
Ça fait mal au cœur de voir nos enfants souffrir comme ça. Je ne parle pas seulement de nous, mais des autres familles aussi, c'est pas normal.
Ichram, mère de deux enfants à la rue
"On est très en colère, on trouve cette situation complétement inadmissible" s'insurge Perrine Hernandez, enseignante et membre du collectif Pas d'enfants à la rue. "On est épuisés de devoir trouver des solutions à la place de l'État. La France a signé la Convention internationale des droits de l'enfant, donc l'État doit jouer son rôle. C'est la loi."
Il y a beaucoup de familles qui dorment dans des squats, qui dorment dans une voiture, qui n'osent pas dire aux enseignants de leurs enfants qu'ils n'ont pas de solution.
Perrine Hernadez, enseignante et membre du collectif Pas d'enfant à la rue
Cet accueil improvisé pare à l'urgence. Il permet aussi aux familles de se rendre compte qu'elles ne sont pas seules. Mais ici, tous le savent, la triste loterie des appels au 115 recommencera dès mardi prochain. Les 800 places disponibles dans les foyers de la Métropole font toujours le plein. Les demandes, quant à elles, ont augmenté de 50% en deux ans. À Tours, 30 enfants dorment à la rue chaque soir, selon l'association Entraides et solidarité.
Propos recueillis par P. Roguet et A. Gaulon.