Les Républicains se félicitent publiquement d'avoir amendé le projet de réforme des retraites, voulu par le gouvernement. Une réforme que les LR rêvent de mener depuis plusieurs décennies, mais que la majorité présidentielle mène à leur place.
Comme il doit être frustrant pour un député de se voir piquer par un autre groupe une réforme que l'on rêve d'appliquer depuis au moins 20 ans. Et non, ce scénario ne relève pas de la politique-fiction, les parlementaires Les Républicains (LR) le voient se concrétiser un peu plus chaque jour, à mesure que se mettent à jour les contours de la réforme des retraites voulue par le gouvernement.
Une réforme à laquelle les pontes de chez LR se félicitent d'avoir participé, ne serait-ce qu'un peu. Jeudi 12 janvier, le président du parti Eric Ciotti, le patron des députés LR Olivier Marleix (député d'Eure-et-Loir) et celui des sénateurs Bruno Retailleau étaient reçus ensemble à Matignon. Objectif pour la droite : réclamer des garanties, notamment sur les petites retraites, pour que les parlementaires LR votent la réforme. Sans leur appui, la majorité ne disposerait pas… de majorité à l'Assemblée.
La loi du plus visible
"Les bases d'un accord sont posées", s'est ainsi félicité Bruno Retailleau en sortant du rendez-vous avec la Première ministre. De quoi alimenter l'image que LR se traînent depuis les dernières législatives : de marchepied de la Macronie pour les uns, de faiseur de loi pour les autres.
Eric Ciotti, président du parti depuis le 11 décembre, a pourtant été élu sur une ligne d'opposition claire à Emmanuel Macron. Puisque les modérés votent Renaissance, cap à droite. "Je ne monterai jamais sur le Titanic macronien", déclarait-il le 12 décembre sur RTL. Et un mois plus tard, de se targuer d'être à un cheveu d'un accord avec la majorité.
Pour Pierre Allorant, politologue et doyen de la faculté de droit à Orléans, "il n'y a pas de bon choix pour LR, parce que quand ils se rallient au projet de loi du gouvernement, ils disparaissent". Sauf que "la réforme des retraites, c'est le rêve de tous les gouvernements de droite depuis 30 ans, donc c'est le pire des pièges".
La valeur ajoutée
Alors les LR sont-ils condamnés à l'invisibilisation dès que le gouvernement porte une loi de droite ? Depuis début janvier, le député LR de l'Indre Nicolas Forissier écume les cérémonies de vœux. "Ce que j'y entends, encore ce matin d'ailleurs, c'est que tout le monde a compris que le gouvernement s'est rallié à notre projet, qu'on l'a obligé à accepté nos demandes", se réjouit-il. Il liste ainsi le minimum retraite à 1 200 euros, le calendrier progressif d'application ou encore des modifications concernant les carrières longues comme autant de conquêtes de son parti sur le texte de la réforme. "Nous faisons les décisions à l'Assemblée nationale et on est majoritaires au Sénat. Avec la réforme des retraites, c'est plus visible. Paradoxalement."
Pierre Allorant n'est pas du même avis. "On ne voit plus tellement la valeur ajoutée du vote LR face à Macron pour un sympathisant de droite", estime-t-il. Il n'y a selon lui pas de hasard : la cause de "la catastrophe industrielle de la campagne de Valérie Pécresse" lors de la dernière présidentielle, c'est "le départ de l'électorat classique de la droite vers Macron, soit les retraités et les cadres du privé".
Feue la norme droite-gauche
Le politologue estime cependant que "la majorité des députés LR fera le choix de la cohérence", et donc se ralliera à la majorité sur les retraites. C'est ce que prévoit de faire Nicolas Forissier, même s'il "reste encore des choses à négocier, notamment sur les carrières longues". Lui se bat d'ailleurs, au sein de son parti, depuis les législatives pour imposer la ligne du dialogue. "Il faut que nous retrouvions notre place de parti de gouvernement, et donc il faut appuyer cette réforme nécessaire."
Mais combien de temps cette ligne pourra-t-elle durer ? "Le PS et LR veulent se persuader qu'on reviendra à la norme droite-gauche après Macron, mais les choses ont beaucoup changé" , constate Pierre Allorant :
Aujourd'hui, ce sont des partis qui existent surtout en local : ce sont des maires de grandes villes, des présidents de départements. C'est très difficile de reconquérir le national à partir de la base. Le parti radical a dominé la IIIe République, il ne lui restait que des conseillers départementaux dans les années 50.
Pierre Allorant, politologue
Recomposition composite
Reste à savoir comment les LR peuvent rebondir après les retraites, alors même que le gouvernement prépare une loi sur un autre sujet cher à la droite : l'immigration. "Le piège inverse, c'est qu'ils aient des positions très extrêmes pour être moteurs, alors que les positions du gouvernement sont déjà pas molles", affirme Pierre Allorant. Avec le risque d'une division de l'électorat LR encore plus forte entre Macon pour les modérés et Le Pen pour la droite de la droite. "Leur seul espoir, c'est une division du camp macroniste, avec plusieurs candidats en 2027", assure le politologue.
Nicolas Forissier, lui, préfère dire qu'il agit "dans l'intérêt du pays". Et que, dans cet intérêt, la recomposition politique, notamment de la droite, est le moindre mal. "J'ai plutôt envie que ça se fasse autour de notre noyau", reconnaît-il. Il se satisfait cependant de constater que, pour l'instant, "le gouvernement a besoin de nous". Pour beaucoup de parlementaires LR, c'est déjà ça.