Trois circonscriptions du Centre-Val de Loire ont élu des députés RN aux élections législatives. Dans les campagnes, où le RN progresse depuis de nombreuses années, personne n'est étonné. Et les élus locaux se préparent déjà à travailler avec leurs nouveaux députés.
Pour la première fois de son histoire, le Centre-Val de Loire a donc élu trois députés du Rassemblement national, dans deux circonscriptions du Loiret et une du Loir-et-Cher. Cette avancée de l'extrême-droite, aux dépens de la droite conservatrice traditionnelle représentée par Les Républicains, doit beaucoup au vote des campagnes. Dans les communes rurales, la participation est largement plus élevée qu'en ville, et de nombreux villages ont placé le Rassemblement national en tête.
La droite grand-remplacée
"Chez moi, ils ont voté à 60% pour le RN" constate Hubert Fournier, maire de Neuvy-en-Sullias, commune de 1300 habitants installée en bord de Loire, entre Orléans et Gien. A l'Assemblée nationale, elle est désormais représentée par Mathilde Paris, la responsable de la fédération RN départementale. L'expression, selon le maire, d'un "ras-le-bol" des habitants ruraux envers les partis traditionnels.
Au niveau des maires ruraux, c'est pareil : quand on a besoin de nous, on nous dit qu'on est les meilleurs du monde, mais le reste du temps on n'est pas pris en compte.
Hubert Fournier, maire de Neuvy-en-Sullias
C'est d'ailleurs sur ce ras-le-bol que Mathilde Paris a axé sa campagne, promettant aux ruraux qu'elle serait "cette élue qui réconciliera les territoires avec l'État".
Parfois attribuée à la division de la droite, entre le député sortant Claude de Ganay, investi par LR et l'UDI, et la dissidence de Jean-Luc Riglet (UDI), la victoire du Rassemblement national était-elle inévitable ? "Je pense que même avec une seule candidature à droite, ça n'aurait rien changé, elle serait passée" juge l'élu.
Toujours est-il que la droite, implantée parfois depuis les années 60, a été victime de cette vague brune. Les premiers étonnés en sont d'ailleurs les cadres RN eux-mêmes, à l'image d'Aleksandar Nikolic, radieux sur le plateau de France 3 le soir du 19 juin malgré sa défaite dans sa circonscription d'Eure-et-Loir.
Le Rassemblement national fait carton plein
"Il n'y a pas de déception quand on a 85 députés", a estimé le président du groupe RN à la Région lors de cette soirée électorale (finalement, il y a 89 députés RN), alors que certains résultats n'étaient pas encore tombés, jugeant que son "cas personnel" passait bien après la "dynamique" impulsée par le parti d'extrême-droite, qui multiplie par onze le nombre de ses élus à l'Assemblée
Il n'y a plus aucun territoire aujourd'hui qui est imperméable au vote RN. Ça c'est nouveau, et je le dis : je pense que rien ne sera plus pareil.
Aleksandar Nikolic, président du groupe RN au conseil régional Centre-Val de Loire
Alors, comment expliquer ce succès ? Il y a certes le "ras-le-bol" évoqué par Hubert Fournier, le sentiment de délaissement, voire de mépris qu'a suscité le président de la République et son parti au cours du premier quinquennat. "Ils posent des problèmes qui ne sont pas traités par la majorité, et qui sont gênants" pour les partis traditionnels, juge à demi-mot Daniel Charluteau, maire de Thésée dans la 2e circonscription du Loir-et-Cher.
Près du cœur battant de la Sologne, à Lamotte-Beuvron, le maire Pascal Bioulac, candidat LR éliminé au premier tour des législatives, met les pieds dans le plat. "On fait peur aux gens en leur faisant croire qu'il y a des arabes et des barbus partout, et qu'on va virer les gens du voyage", s'insurge l'ancien candidat. Ce dernier fait référence à l'idée (raciste) selon laquelle les populations blanches seraient remplacées, à dessein, par des personnes d'origine africaine.
Un vote "de rejet, de défiance"
Roger Chudeau, nouveau député RN et ancien Républicain fillonniste, n'aurait fait que "surfer sur cette vague", estime le maire de Lamotte, qui admet avoir "plutôt ramé". "Monsieur Chudeau n'a pas gagné, il a comblé un vide laissé par le dégoût qu'inspire la politique."
On a encore la chance d'être en démocratie, et la démocratie a parlé. Si ça continue je comme ça je pense que ça ne durera pas longtemps.
Pascal Bioulac, maire LR de Lamotte-Beuvron et candidat aux législatives
"Les gens ont voté au premier tour pour une tête d'affiche, et au second tour ils se sont payés la tête de Macron", analyse pour sa part le maire de Noyers et conseiller départemental Philippe Sartori. "Ce n'est pas un vote d'adhésion, c'est un vote de rejet, de défiance. Il signifie : 'écoutez ce qu'on vous dit !'"
Médecin en zone rurale, Philippe Sartori a d'ailleurs l'occasion d'entendre, dans son cabinet, ce que ses administrés ont à dire. "Une dame est venue en s'excusant, pour me dire qu'elle n'avait pas de quoi payer la consultation", raconte l'élu. "Après avoir payé le loyer, elle n'a plus rien. Elle m'a dit : 'j'ai mis dix euros dans la voiture pour venir'." L'inflation, pour les revenus les plus modestes, "c'est 90 euros chaque mois qui partent en fumée !" Et de toute évidence, les solutions proposées par la majorité n'ont pas emporté l'adhésion.
Reste qu'il faudra, pendant cinq ans, coexister avec un Rassemblement national plus puissant qu'il ne l'a jamais été. "Si la députée veut venir dans la commune, je l'accueillerai. Je suis un républicain" tranche Hubert Fournier à Neuvy-en-Sullias. Même son de cloche à Thésée, où Daniel Charluteau estime que les villages sont "orphelins de député" après cinq ans passés avec l'absentéiste Guillaume Peltier, le député sortant de Reconquête. L'urgence, explique l'élu, est de remettre du lien entre le territoire et l'État. "Honnêtement, je ne sais pas", hésite quant à lui Philippe Sartori. À Lamotte-Beuvron, en revanche, la réponse de Pascal Bioulac claque, limpide : "je ne l'inviterai pas."