Agriculture : "Nous n'avons pas pour vocation de nourrir la Terre entière mais de pratiquer un élevage à notre image"

Ils s'appellent Nils, Baptiste, Adèle et Victor. Ils ont chacun repris la ferme familiale dans le Loir-et-Cher et ont conçu leur propre projet. Maîtriser l'élevage de A à Z de l'alimentation à la vente. C'est la philosophie de ces quatre nouveaux éleveurs accrochés à leur indépendance.

En France, dans 10 ans la moitié des agriculteurs aura l'âge de prendre sa retraite.

En région Centre-Val de Loire, chaque année 400 jeunes agriculteurs s'installent. C'est deux fois moins que le nombre d'exploitants agricoles qui quittent l'agriculture. Comment motiver les jeunes à s'installer alors que les métiers de l'élevage souffrent d'une mauvaise image ?  

Prix des céréales qui flambent, baisse de la consommation de viande : certains jeunes éleveurs se sont quand même lancés dans l'aventure en misant sur l'autonomie alimentaire et des exploitations à taille humaine. Une façon de travailler basée sur le bon sens et le respect de l'environnement.

Dans Enquêtes de régions, cette semaine, nous vous proposons le portrait de quatre éleveurs du Loir-et-Cher du Perche à la Sologne en passant par la vallée de la Cisse près de Blois.

Nils, Adèle, Baptiste et Victor ont entre 25 et 40 ans. Certains viennent de reprendre la ferme familiale, d'autres ont des années de recul sur cette vie d'éleveur qu'ils ont choisie et modelée à leur image. 

J'ai mis 5 ans à m'installer parce qu'il est très difficile de trouver des terres en Sologne. J'en ai profité pour me former à la découpe de viande en boucherie.

Baptiste Prognon, éleveur de cochons bio à Nouan-le-Fuzelier

Au son de son quad, les cochons sortent de leur abri malgré la chaleur de ce mois de juin. Baptiste Prognon vient de lancer son activité d'éleveur de cochons bio dans la ferme familiale.

"Mon père élève des vaches limousine. J'ai cherché des terres longtemps pour pouvoir m'installer avec lui mais en vain. En Sologne, elles sont rares et très chères. Alors mon père a accepté de réduire son cheptel bovin pour faire de la place à mes cochons. " 

Pendant qu'il cherchait des terres, Baptiste s'est formé à la découpe en boucherie. "J'étais à mi-temps à la ferme et en boucherie. C'est important de savoir découper la viande de ses animaux. Comme ça je les respecte en les élevant, en les découpant et en les vendant", nous explique le jeune éleveur dans son tout nouveau laboratoire de découpe. 

"Il s'est installé avec moi mais il a conçu son projet de A à Z", raconte Philippe Prognon, le père Baptiste. Il est un des précurseurs de l'élevage bio en Sologne. " Cette génération est douée pour se faire connaître notamment grâce aux réseaux sociaux. Les jeunes comme Baptiste veulent être complétement autonomes. C'est leur force". 

Baptiste a ouvert une boutique dans sa ferme en juin dernier pour vendre en direct sa viande. "Il faut savoir écouter les clients. Ils veulent mieux manger. C'est une fierté de bien nourrir les gens", nous confiait Baptiste quelques jours avant l'ouverture de son espace de vente. 

Victor Gabilleau, 25 ans, éleveur de vaches Highland dans la vallée de la Cisse

Découper sa viande et la vendre en direct. C'est aussi le crédo de Victor Gabilleau, éleveur entre autres de vaches de race Highland dans la vallée de la Cisse près de Blois. " Nous valorisons tous les morceaux de la vache de la tête à la queue. Nous vendons des colis uniquement sur commande. Les délais d'attente sont actuellement de 4 mois."

Comme Baptiste, Victor a aussi suivi une formation en boucherie avant de venir travailler dans la ferme familiale. Une fois par mois, un boucher professionnel à la retraite lui prodigue des conseils pour la découpe de sa viande.

" Je n'y serais pas arrivé seul. Heureusement que Charles est là pour m'accompagner. Mon métier c'est d'être éleveur pas boucher même si j'ai suivi une formation et travaillé trois ans en boucherie. Bénéficier de son expérience est une chance", nous confie Victor avec humilité. 

Je n'ai pas choisi d'être éleveur dans n'importe quel élevage. C'est l'élevage familial et en plus ici les valeurs me correspondent : le respect de l'environnement, le bien-être animal, l'autonomie dans les décisions.

Victor Gabilleau, jeune éleveur de boeufs Highland à Averdon

Victor Gabilleau s'est installé à la Ferme des Petits Tresseaux à Averdon avec son père en mai dernier. Ils élèvent ensemble des brebis "Bleu du Maine", des cochons de Bayeux et une vingtaine de vaches Highland. 

 "On a choisi les Highland pour s'adapter au milieu naturel : une vallée escarpée et marécageuse. C'est une espèce à croissance lente. Il faut donc attendre cinq ans avant d'avoir un morceau dans son assiette", sourit Olivier Gabilleau, le père de Victor pendant qu'il brosse comme chaque jour ses vaches particulièrement calmes. 

"Elles adorent qu'on les brosse. C'est une façon de les apprivoiser et surtout cela permet de pouvoir mieux les approcher pour les soigner", confie Victor en répétant lui-aussi inlassablement son geste avec sa brosse. 

La vache Highland est la douce géante d’Écosse. Avec ses longues cornes et ses mèches flamboyantes, cet animal s'adapte aux milieux et aux climats les plus rudes.

Sa viande est recherchée pour son goût et son faible taux de cholestérol comparé à d’autres races de boeuf. C’est une viande maigre, mais bien marbrée, généralement considérée comme du boeuf premium. 

"Ce type d'élevage est un marché de niche. Tous les éleveurs ne peuvent pas faire comme nous. Nous avons de la chance. C'est sûr qu'on ne pourrait pas nourrir tout le monde comme ça malheureusement".

Pour Victor, le plus important est de rester libre de ses choix. "Tant qu'on dépend le moins possible des autres, on peut pratiquer un élevage qui nous ressemble".

C'est pourquoi Olivier et Victor cultivent les céréales pour nourrir leurs animaux. "La polyculture-élevage bio à taille humaine est une des solutions. Beaucoup de jeunes éleveurs tendent à nouveau vers ces pratiques. Il ne s'agit pas de nouvelle agriculture. Les jeunes s'inspirent juste de ceux que faisaient les anciens avant le développement de l'agriculture intensive", rappelle Olivier Gabilleau. 

Adèle Champdavoine a quitté la vie parisienne pour la ferme familiale à 30 ans

Etre autonome en terme de décision, d'alimentation, de vente : c'est le modèle qu'a conçu Adèle Champdavoine lorsqu'elle a repris la ferme de ses parents il y a dix ans à Couêtron-au-Perche. 

Alors assistante de direction à Paris, elle décide de changer de vie pour devenir éleveuse dans le nord du Loir-et-Cher où elle est née.

"Au départ je n'étais pas pour du tout", se souvient Isabelle Champdavoine, la maman d'Adèle. "On en avait tellement bavé à la ferme que je ne voulais pas qu'elle vive la même chose que nous. Et puis on l'a vue créer son projet à sa manière, un modèle très différent du nôtre et je trouve ça génial". 

Isabelle aide Adèle à la boutique pour la préparation des commandes. Ce matin-là, il faut emballer des pintades Perle noire et des poulets cou nu pattes jaunes. Les gélines de Touraine ne sont pas encore prêtes pour être vendues.

"J'ai quitté Paris parce que je voulais offrir à mes enfants un meilleur cadre de vie mais aussi leur fait découvrir le bon goût des aliments", explique Adèle.

Quand elle reprend la Ferme du Couêtron en 2011, ses parents élèvent des cochons de manière conventionnelle et cultivent 65 hectares.

Adèle apporte sa touche personnelle en convertissant les cultures en bio, en créant une boutique de vente directe et en se lançant dans l'élevage de la géline de Touraine et de la pintade Perle noire.

"J'ai voulu participer à la sauvegarde d'espèces locales. C'était important que la géline ne disparaisse pas. Quand le dernier éleveur du Loir-et-Cher, Michel Angier, a pris sa retraite à Gy-en-Sologne, j'ai déposé ma candidature pour prendre le relais." C'est la Commission de la géline de Touraine qui lui a accordé le droit d'élever cette espèce locale à croissance lente. 

Dix ans après avoir changé de vie, Adèle a pris du recul sur son activité d'éleveuse.

"Je crois que si j'ai choisi de faire ça c'était pour me recentrer sur l'essentiel. En plus je ne me sens jamais seule. Mes parents m'aident beaucoup même s'ils sont à la retraite et j'ai l'impression d'appartenir à une équipe avec d'autres éleveurs qui partagent la même philsophie que moi".

Et de poursuive : "Nous n'avons pas la prétention de pouvoir nourrir la planète entière mais nous voulons bien nourrir les gens. Il y a de la place pour tout le monde en agriculture. Et moi ici et maintenant je me sens à ma place." 

Nils Aucante, éleveur d'abeilles et de brebis solognotes à Yvoy-le Marron

Nils Aucante gagnait très bien sa vie et vivait à New-York. Il adorait son métier de journaliste-documentariste. Mais voilà, la ferme de son grand-père en Sologne avait été laissée à l'abandon. Il savait que si il ne faisait rien, cette ferme allait complètement disparaître. Alors, à 30 ans, il quitte les Etats-Unis pour redonner vie à la ferme familiale. "Il ne restait plus que des ruines et des friches. Nous retapons petit à petit la ferme tout en élevant nos animaux". 

Les animaux, ce sont des brebis solognotes et des abeilles. "Les brebis m'aident à entretenir le terrain et les agneaux se vendent très bien. Je n'arrive pas à répondre à la demande".

En plus de ses 120 brebis, Nils possède 400 ruches "Les Ruchers de Saint Marc". L'apiculture reste sa principale activité. "Je me considère plus comme un éleveur d'abeilles que comme un apiculteur. Je fais en sorte que mes abeilles se sentent bien et si je peux avoir du miel en plus c'est génial". 

En plus du miel, l'ancien journaliste vend des reines et des essaims aux autres apiculteurs. "J'ai trouvé un modèle qui me convient bien et qui me permet de commencer à gagner ma vie. Je vais même enfin pouvoir engager deux personnes en septembre", se réjouit Nils. 

Pour lui, devenir éleveur à 30 ans est plus un changement de vie qu'une reconversion. Avec une certaine fierté de l'avoir fait. "Je suis heureux d'avoir redonné vie à cet endroit. Mon grand-père a même eu le temps de voir arriver les premières brebis avant de mourir. Il n'en croyait pas ses yeux. Il disait "mais tu es fou" ? Peut-être mais aujourd'hui je suis fier du travail accompli et qu'une ferme de plus ait été sauvée en Sologne". 

A voir ou à revoir : le magazine de 13 minutes "Jeunes éleveurs responsables" dans le Loir-et-Cher réalisé par Marine Rondonnier, Sanaa Hasnaoui, Laurence Vaury et Armelle Garreau diffusé dans Enquêtes de région le mercredi 15 septembre 2001 (magazine tourné en juin 2021) :

 

 

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