Maltraitance : les familles de résidents de l'Ehpad La Roselière à Blois dénoncent une situation "inhumaine"

Les résidents d'un Ehpad de Blois manquent cruellement de liens avec leurs proches. Depuis le 7 janvier, la salle des visites est utilisée pour les vaccinations. À cela s'ajoute les trop faibles moyens du personnel qui, avec les familles de résidents, dénonce une "maltraitance institutionnelle"

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"Au fil du temps, je sens mon mari dépérir !" Âgée de 79 ans, Élisabeth Limouzin est rongée quotidiennement par l’angoisse. Son mari, atteint de la maladie de Parkinson, est résident à la Roselière, un des Ehpad dépendant du Centre hospitalier de Blois. Depuis janvier, Élisabeth Limouzin se sent "prise en otage". Et pour cause, elle ne peut plus rendre visite à son mari. "Avant, nous avions droit une visite par semaine, ce n’était pas beaucoup mais c’était la consigne sanitaire, se souvient-elle. À présent, on parle de visites de 30 minutes toutes les 6 à 8 semaines, peut-être moins, mais personne ne nous dit rien !" La salle des activités où se déroulaient les rencontres entre les résidents de l’Ehpad et leurs familles (les visites dans les chambres étant interdites par la situation sanitaire) a été réquisitionnée par le CH de Blois. Depuis le 7 janvier, c’est un centre de vaccination pour le personnel de santé. 

Pour le moment, les familles n’entrevoient aucune perspective de sortie de cette situation. En janvier pourtant, la directrice du département des personnes âgées du CH de Blois, Cathy Leroy assurait à La Nouvelle République : "C’est juste pour une dizaine de jours, elles [les visites] vont reprendre ailleurs évidemment. Il faut laisser au monde hospitalier le temps de s’organiser, car l’impact final est positif." Deux mois plus tard, la situation n’a pas évolué.

"J’ai demandé des explications que je n’ai jamais eues. Je les appelle presque tous les jours, et rien", s’attriste Elisabeth Limouzin, désemparée. Elle n’a pu voir son mari qu’à deux reprises : le 22 janvier et, 6 semaines plus tard, le 4 mars. "Avec sa maladie, mon mari a besoin de présence mais il est cloisonné dans sa chambre, il semble abattu, j’ai vraiment peur", craint-elle. Quand elle sollicite une rencontre avec son mari, on lui indique qu’on la préviendra d’un créneau libre. Sans plus d’information. Chose d’autant plus compliquée pour Elisabeth Limouzin, aveugle. Son chien-guide venant de mourir et elle doit trouver quelqu’un de disponible pour l’accompagner si l’hôpital l’appelle au pied-levé. 

Cette situation, les 210 résidents de La Roselière la subisse. Si une alternative pour faire des visioconférences est mise en place, une seule personne s’en occupe pour tous les résidents, dans l’incapacité de se servir des outils numériques. Pendant ses congés, cette personne n’est pas remplacée.

On s’est dit que les résidents n’allaient pas mourir du Covid-19, mais de chagrin.

témoigne une aide-soignante désormais retraitée qui travaillait dans l’établissement. Elle raconte comment le personnel doit consoler fréquemment les résidents en train de pleurer. 

"C’est un mouroir cet endroit", dans un mélange de colère et d’inquiétude, Edwige Chauveau, représentante des familles à La Roselière, avoue son impuissance. Elle raconte les mêmes difficultés pour maintenir le lien avec sa belle-mère, résidente. "Vous vous rendez compte qu’au départ, la seule alternative était d’organiser les visites sur le palier du 1er étage ? On nous surveille en plus, c’est inhumain", s’exclame Edwige Chauveau. À présent, l’alternative proposée par la direction de l’Ehpad est une petite salle informatique ou les familles se rencontrent par 3. "On se retrouve dans une petite salle, obligés d’être à 2 m de distance, donc forcément on élève la voix et on ne s’entend plus. Ça a fortement perturbé mon mari quand je l’ai vu", raconte Martine Devienne, femme d’un résident tétraplégique de La Roselière. 

Des familles qui ne voient pas le bout du tunnel

À La Roselière comme dans tous les Ehpad dépendant du CH de Blois, les sorties à l’extérieur du bâtiment sont interdites pour les résidents. Une décision qui suit les recommandations du gouvernement, certes. Mais depuis le 3 mars, cette interdiction a été suspendue par le Conseil d’État, la jugeant disproportionnée car "la majorité des résidents ont été vaccinés et la vaccination a démontré ses effets positifs". L’interdiction perdure. La question de l’emplacement de ce centre de vaccination éphémère entravant les droits des résidents se pose également. "En terme de locaux, d’organisation et de surface, c’était sûrement l’endroit le plus adapté pour la direction", explique le délégué CGT du CH de Blois, Thierry Fromont qui a conscience des problèmes que suscite la situation. Il indique avoir fait remonté ces difficultés à la direction, sans plus de succès. Alerté sur ce point par France 3, l’Agence Régionale de Santé du Centre-Val de Loire indique qu’elle va "discuter avec le CH de Blois, pour voir si la vaccination du personnel de santé ne peut pas être organisée autrement", sans toutefois préciser d’échéance.

Quand on se plaint, la direction vous répond : "L’Ehpad, c’est un choix. Si vous n’êtes pas content, vous pouvez aller voir ailleurs."

relate la représente des familles de la Roselière, Edwige Chauveau sans rien réussir à obtenir d’autres informations. La compassion n’est visiblement pas de rigueur. "On ne nous dit pas combien de temps on va devoir subir ça", enchaîne Martine Devienne. En dépit de la situation sanitaire, la charte des droits et libertés de la personne en situation de handicap ou de dépendance indique pourtant à son article 4 : "Le maintien des relations familiales, des réseaux amicaux et sociaux est indispensable à la personne âgée en situation de handicap ou de dépendance.

Les impacts d'un personnel à bout sur la santé des résidents

L’article 14 de cette charte, concernant le droit à l’information ne semble pas plus respecté. Dominique Bourgoin, fils d’une résidente à Pimpeneau-Oasis à Vineuil, un autre Ehpad dépendant du CH de Blois, l’a expérimenté. Au moment d’une vague de Covid-19 au sein de l’établissement, il n’arrivait pas à obtenir d’informations. "Quand vous savez qu’il y a des cas de Covid dans l’établissement et que vous ne savez pas si vos proches sont touchés, c’est un enfer", dénonce-t-il. 

"Quand je suis autorisée à voir mon mari, je sens les effets de tout cela sur lui", s’inquiète Élisabeth Limouzin. L’année de crise sanitaire qui vient de s’écouler y est forcément pour quelque chose. Dans ce contexte, la question de la gestion des résidents d’Ehpad était et reste épineuse pour les décideurs. Mais quand, à cela, s’accumulent d’autres difficultés, les résidents en pâtissent. "Le personnel soignant est très bien, tient a préciser Martine Devienne qui venait voir son mari tous les jours, du temps où elle le pouvait. Mais ils sont à bout !" Elle raconte une fois où elle venait voir son mari. En arrivant durant la matinée, il n’était pas levé. "Quand je demande aux aides-soignants des explications, ils me répondent qu’ils n’étaient que 2 au lieu de 4", soupire-t-elle. 

On a l'impression de travailler à l'usine, pas avec des êtres humains !

Toutes les aides-soignantes interrogées.

"Les absences ne sont généralement pas remplacées. Même des arrêts maladie de 6 mois !", se rappelle une ancienne aide-soignante de La Roselière. Elle raconte comment il fallait redoubler d’efforts, faute de personnel. Heures supplémentaires non rémunérées, rappel pendant les congés, le rythme est intense. "On en voit les conséquences sur les résidents. On doit faire leur toilette en vitesse, les faire manger très rapidement alors que, selon les états de santé, certains nécessiteraient 45 min pour ingérer un repas", alerte une autre aide-soignante à la retraite. Des petits détails qui expliquent selon ces aides-soignantes le début des "syndromes de glissement" : les résidents cessent peu à peu de se nourrir, puis de vivre. Selon les dires de ces aides-soignantes ayant travaillé de nombreuses années dans les établissements dépendant du CH de Blois, le problème de personnel existait bien avant la crise sanitaire. "Une fois, j’avais sollicité une visio avec ma mère. Elle n’était pas peignée, pas lavée et avec des vêtements qui ne lui appartenaient pas", raconte Dominique Bourgoin quelque peu traumatisé par cette histoire. 

Les aides-soignantes interrogées, souffrent de voir la situation leur échapper par manque d’effectif. En première ligne, elles doivent également faire face aux familles de résidents mécontents. "À juste titre", précisent-elles. "On ne peut pas être partout, on essaye de faire au mieux. Mais comme nous ne sommes pas assez, nous sommes maltraitant malgré nous", dénonce une aide-soignante. Au mieux, les résidents ont droit à 1 seule douche par semaine. "Rendez-vous compte du point de déshumanisation atteint", dit une aide-soignante écœurée. Ce n’est pas fini. Le matériel manque régulièrement comme se rappelle une aide-soignante retraitée : "Tous nos résidents sont incontinents, on faisait leur toilette à 7 h du matin, il y en a qui n’étaient pas changés avant 17 h, car nous n’étions pas assez et nous n’avions pas de couches de rechange !" Dans la bouche des 3 aides-soignantes interrogées séparément, une même impression est revenue : celle de travailler "à l’usine, pas avec des êtres humains".

Une "maltraitance institutionnelle" dénoncée par certaines familles de résidents

Cette situation, le délégué syndical Thierry Fromont la connaît bien. Il a régulièrement des remontées d’aides-soignants à ce propos qui, selon lui, "laissent présager des mois compliqués" pour le personnel comme pour les patients. "Le syndicat est le premier interlocuteur du personnel des Ehpad car la direction est absente", signale une aide-soignante. De nombreuses grèves ont été menées dans les différents Ehpad du CH de Blois. "Les soucis concernent tant le matériel que le personnel. Des économies ont été faites sur le dos du personnel", rapporte Thierry Fromont.

En novembre 2020 déjà, Dominique Bourgoin, excédé par la situation dans l’Ehpad Pimpeneau-Oasis où se trouve sa mère, avait dénoncé publiquement ces points. Avec d’autres familles de résident, il avait écrit une lettre à la direction de l’hôpital pour pointer les difficultés que rencontrait le personnel soignant. Un engrenage de difficulté allant, selon la lettre, jusqu’à la "maltraitance institutionnelle". Depuis, il n’a "pas observé de changement", explique-t-il, excédé.

Contactée par France 3 Centre-Val de Loire, la direction du Centre hospitalier de Blois n’a pas souhaité répondre, argumentant que son "emploi du temps" était complet. Le maire de Blois, Marc Gricourt, président du Conseil de surveillance de l’hôpital, a lui avoué avoir connaissance de sujets partagés "régulièrement en conseil de surveillance". Il nous a renvoyés vers… Le directeur du CH de Blois, Olivier Servaire-Lorenzet, plus à-même "d’avoir des éléments". 

Minés par le manque de moyens, les Ehpad dépendant du CH de Blois se retrouvent dans une situation critique, tant pour le personnel que les résidents. Pourtant la situation financière générale du CH de Blois est loin d’être catastrophique. Entre 2016 et 2018, les rapports d’activité témoignent d’un bilan excédentaire de plusieurs millions. Ils seraient "au moins à l’équilibre" sur les deux dernières années, selon nos informations. Pour une aide-soignante, l’explication est dure à entendre pour un établissement public : "Contrairement à d’autres services, on ne gagne pas d’argent avec les Ehpad."

 

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