Le torchon brûle entre les maires de Salbris et de Lamotte-Beuvron dans le Loir-et-Cher. Les édiles de ces deux communes de Sologne s'attaquent par courriers interposés après que le premier ait demandé au second de reprendre un centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) sur son territoire.
S'ils ont longtemps été sous la même étiquette politique, celle des Républicains, le divorce semble désormais consommé entre le maire de Lamotte-Beuvron et celui de Salbris, deux communes emblématiques de la Sologne. Et c'est une lettre adressée par Alexandre Avril, le maire de Salbris à son homologue qui a mis le feu aux poudres.
Cette missive datée du 4 mai, Pascal Bioulac affirme en avoir pris connaissance "par voie de presse", 45 minutes avant le début du conseil municipal du 7 mai. "Je suis outré, cette lettre est un choc", confie l'édile de Lamotte-Beuvron, qui confesse avoir eu du mal à mener son conseil après avoir pris connaissance du contenu de la correspondance.
Un transfert de CADA "en vertu de l'équité territoriale"
Dans sa lettre, Alexandre Avril, commence par rappeler à Pascal Bioulac que "Salbris accueille depuis 2016 un centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), qui compte entre une soixantaine et une centaine de migrants, pour l'immense majorité originaires d'Afrique". Les CADA hébergent des étrangers titulaires d'une autorisation provisoire de séjour en France pendant la durée de l'examen de leur demande de statut de réfugié. Le maire de Salbris déplore qu'à l'époque, Pascal Bioulac ait refusé d'accueillir ce CADA "annoncé au départ pour deux ans".
8 ans plus tard, Alexandre Avril demande donc à son homologue de prendre le relais : "Tes récentes prises de position politique me laissent à penser que tu ne seras pas opposé à accueillir toi aussi un CADA dans ta commune de Lamotte-Beuvron et je t'en félicite", ironise-t-il.
Dans le même temps, Alexandre Avril indique avoir coécrit avec le député du Rassemblement National Roger Chudeau, une lettre au Préfet de Loir-et-Cher pour lui proposer que le CADA de Salbris soit transféré à Lamotte-Beuvron "en vertu de l'équité territoriale et de la cohérence politique des élus que nous sommes".
"Le CADA pèse sur notre offre de logements"
Contacté, Alexandre Avril avance des projets de développement économique en cours sur sa commune "et le CADA pèse sur notre offre de logements à Salbris", explique-t 'il. Mais l'édile reconnaît également une raison "plus politique" à sa démarche.
En 2023, Les Républicains, tout comme l'extrême droite, ont proposé dans le cadre du projet de loi immigration, que les demandes d'asile ne soient plus traitées sur le sol français, mais depuis les ambassades des pays de départ des migrants. L'idée avait alors été écartée par le gouvernement.
De son côté, après son échec aux législatives en 2023, Pascal Bioulac a quitté Les Républicains pour rejoindre le parti Horizon d'Edouard Philippe dont il est aujourd'hui délégué départemental. La missive prend donc aussi des airs de retour de bâton pour l'ancien dissident.
Le meurtre de Matisse en trame de fond
Ce qui ressemble donc à une querelle de clochers pourrait presque prêter à sourire si elle ne prenait pas sa source dans un tragique évènement. Le 29 avril dernier dans une publication Facebook, Alexandre Avril, également patron des LR du Loir-et-Cher, a pris position sur le meurtre de Matisse, cet adolescent de 15 ans poignardé mortellement par un jeune réfugié afghan à Châteauroux et dont les obsèques étaient célébrées ce mardi 7 mai.
"Matisse est une victime de plus de l'immigration massive qui ravage notre pays et s'exporte jusque dans nos campagnes", écrivait-il avant d'ajouter : "l'immigration tue chaque jour, et désormais partout". Dans une première version, l'élu affirmait même que le jeune Afghan cherchait à "voler le portable" de la victime, ce qui est manifestement faux. La publication a été modifiée le lendemain peu avant 9h.
Plusieurs élus écologistes, à l'initiative du député d'Indre-et-Loire Charles Fournier, ont d'ailleurs signalé cette publication pour "incitation à la haine" auprès de la procureure de la République de Blois.
Des propos rédigés malgré l'appel du père de la victime à ne faire aucune récupération politique et qui ont provoqué l'indignation de plusieurs élus de gauche de la région mais aussi, selon Alexandre Avril, du maire "macroniste" de Lamotte-Beuvron.
Encore aujourd'hui, il assume cette publication : "Si la mesure de traiter les demandes d'asile à l'extérieur du territoire national, était en vigueur, il n'y aurait pas de réfugiés afghans en France et donc il n'y aurait pas eu le meurtre de ce jeune Matisse, c'est aussi simple que ça."
Mon collègue de Lamotte-Beuvron me fait des leçons de morale, parce que lui, lutte contre la droite, l'extrême droite etc. Il se drape dans de grandes vertus.
Alexandre Avril, maire de Salbris
Et de poursuivre : "moi je lui propose par ce courrier, au nom de la cohérence de ses idées, puisqu'il est un soutien de la politique du gouvernement et qu'il trouve qu'il n'est pas bon de critiquer la répartition des migrants dans les campagnes, de prendre sa part en accueillant dans sa commune le CADA."
"Un freluquet d'extrême droite caché sous une étiquette républicaine"
Si Pascal Bioulac dément avoir réagi publiquement à ce post, il a tout de même décidé de répondre à son détracteur, comme lui, par une lettre envoyée à la presse ce mardi 7 mai. Et l'édile de Lamotte-Beuvron ne cache pas sa colère. "La politique, ce n'est pas du show-business !", lance-t-il en préambule avant d'ériger son homologue en symbole de "la dissolution des droites dans l'extrême droite", de condamner "l'instrumentalisation politique" et les "raccourcis étrangers = criminels".
Pascal Bioulac reconnaît avoir refusé l'installation d'un CADA sur son territoire en 2016, "mais les conditions étaient tout à fait différentes à l'époque".
On construisait une nouvelle caserne de gendarmerie parce que l'ancienne était vétuste. On l'a financée pour 3 millions et demi d'euros et le préfet de l'époque avait menacé de ne pas nous donner le million de subventions de l'Etat si nous n'accueillions pas des migrants. J'avais refusé de céder à ce chantage.
Pascal Bioulac, maire de Lamotte-Beuvron
"De plus, à l'époque, notre bailleur social n'était pas en mesure de mettre à disposition les logements nécessaires car une moitié était prévue en rénovation et l'autre moitié en destruction, ce qui a été fait depuis", complète Pascal Bioulac.
L'édile se refuse en revanche à prendre position sur la demande d'Alexandre Avril de transférer le CADA de Salbris à Lamotte Beuvron. Il dénonce d'ailleurs la lettre que ce dernier a envoyée au préfet et coécrite avec le député RN de la deuxième circonscription du Loir-et-Cher. "Je ne reçois pas mes ordres d'un freluquet d'extrême droite caché sous une étiquette républicaine", fustige-t-il. "Ce n'est pas lui qui décide, ce doit être une demande de l'Etat. Je n'ai pas à réagir".
Alexandre Avril demande pourtant à son homologue de lui faire connaître sa position avant le 9 juin prochain, soit le jour des résultats des élections européennes, "comme s'il savait déjà que l'extrême droite allait remporter ces élections", analyse-t-il, voyant là une énième "instrumentalisation politicienne."
Les tensions entre les deux maires ne semblent donc pas près de retomber, d'autant que l'édile de Lamotte-Beuvron qui recevait le 6 mai une délégation de Côte-d'Ivoire au cours du conseil municipal, a jugé pertinent de conclure sa lettre de réponse à Alexandre Avril par un proverbe africain : "Quand on gobe une noix de coco, on doit faire confiance à son anus". En d'autres termes : il faut mesurer les conséquences de ses actes.