L'Assemblée nationale va-t-elle toucher à la liberté d'installation des médecins ? Pour lutter contre les déserts médicaux, un groupe transpartisan entend bien remporter un bras de fer cette semaine contre le gouvernement, vent debout contre une mesure qui va "pourrir la situation".
"Ça va être chaud" : le ministre de la Santé François Braun ne s'en cache pas, sa semaine au Palais-Bourbon s'annonce tendue.
Après un vote ce 12 juin dans l'après-midi sur une motion de censure déposée par la Nupes, les députés doivent enchaîner en début de soirée avec l'examen en première lecture d'un texte du camp présidentiel contre les déserts médicaux, porté par Frédéric Valletoux (groupe Horizons).
Invité sur Franceinfo, le député de Seine-et-Marne a expliqué qu'il fallait "trouver de nouvelles manières de faire coopérer sur les territoires les uns et les autres" alors que plus de 10 millions de Français n'ont pas de médecin traitant et rencontrent des difficultés pour se soigner.
Qui plus est, précise le député, "on sait que dans les 5 à 10 années prochaines, il y aura plus de médecins qui vont quitter la profession, ne serait-ce que pour des raisons liées à la retraite, que de jeunes professionnels qui vont s'installer. Et donc, c’est cette tension démographique, qu'il faut essayer d'arriver à surmonter en trouvant de nouvelles manières de faire coopérer sur les territoires les uns et les autres". Surtout que les dix prochaines années "vont être encore plus difficiles" pour l’accès aux soins, prévient-il.
Forcer les cliniques privées à participer à la prise en charge des urgences
Avec le soutien du gouvernement et de 200 députés de la majorité, il entend notamment "accroître la participation des établissements de santé à la permanence des soins", en visant en premier lieu les cliniques privées, qui seraient obligées de prendre part notamment aux urgences.
Son texte prévoit aussi d'interdire l'intérim en début de carrière pour certains soignants, et d'ouvrir dès la troisième année d'études la possibilité pour les médecins de signer des "Contrats d'engagement de service public" prévoyant une allocation mensuelle contre un engagement dans un désert médical.
Un amendement transpartisan pour imposer l'installation des médecins
Mais les regards de l'exécutif et de la profession seront braqués vers un amendement au texte, porté par le socialiste Guillaume Garot, et un groupe transpartisan d'élus venant de presque tous les groupes politiques, y compris ceux du camp présidentiel. Le RN n'a pas été associé. Au mois de janvier, le député socialiste et 150 de ses collègues "de gauche, de droite et du centre" s'étaient déjà associés pour une proposition de loi en ce sens.
Celui-ci prévoit de remettre en question la liberté de principe pour les médecins de s'installer dans des zones déjà bien pourvues en soignants, en instaurant une "régulation".
Ainsi, les médecins libéraux et chirurgiens-dentistes ne pourraient s'installer "de droit" que dans les zones qui manquent de soignants, comme le Centre-Val de Loire, considéré comme le plus grand désert médical de France. Malgré l'installation d'une fac de médecine à Orléans, l'état de l'accès au soin va encore mettre de nombreuses années à s'améliorer significativement.
Au contraire, pour aller dans une zone déjà bien pourvue, ils devraient obtenir une autorisation de l'Agence régionale de santé (ARS), qui serait conditionnée par exemple au départ à la retraite ou au déménagement d'un médecin exerçant le même type d'activité.
"Courage politique" pour les uns...
"Huit millions de Français sont concernés" par des difficultés d'accès aux soins, insiste le député et ancien ministre socialiste, pour qui il faut du "courage politique", à défaut de "solution magique". Il a lancé il y a quelques mois un Tour de France des déserts médicaux pour convaincre, réunissant autour de son propre texte un nombre important de députés, 207 à ce jour.
En commission à l'Assemblée nationale, le groupe transpartisan a notamment décroché un encadrement des aides financières à l'installation (une seule tous les dix ans) et le principe d'un préavis de six mois pour mieux anticiper les départs inopinés, y compris de dentistes et de sages-femmes.
La vraie "bataille" pour la régulation a été réservée pour le passage dans l'hémicycle, et devrait notamment se jouer au nombre de députés présents pour chaque camp.
"Contre-productif" pour les autres
Frédéric Valletoux est opposé à une "régulation" immédiate, estimant que les effectifs de médecins seront trop faibles ces cinq ou 10 prochaines années pour qu'elle résolve le problème: "J'y serai favorable le jour où on a des effectifs de soignants important à dispatcher sur le territoire."
Le ministre torpille la proposition: "Ca va être totalement contre-productif". "Les jeunes ne vont pas vouloir s'installer, les plus anciens vont dire : 'c'est bon, on déplaque'" [ce qui signifie "on ferme le cabinet"], quand d'autres vont choisir le 'déconventionnement'", critique-t-il, appelant à rejeter un amendement qui risquerait de "pourrir la situation". Quel que soit le vote, le texte devra encore passer au Sénat.
Certains professionnels sont déjà opposés à la version "Valletoux" du texte, notamment parce qu'il prévoit que les libéraux soient rattachés automatiquement, "sauf opposition", aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), censées faciliter la coordination à l'échelle du territoire.
Quatre des six syndicats représentatifs (Avenir Spé, UFML, FMF, SML) ont annoncé ce 12 juin une grève illimitée à partir du 13 octobre. En séance, le gouvernement va aussi proposer des mesures pour les "maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP)", ou encore pour insister sur l'obligation de participation de certains soignants à la permanence des soins.