Condamnations pour antisémitisme et provocation à la discrimination raciale, torture en Algérie, propos homophobes... Jean-Marie Le Pen, mort ce mardi 7 janvier, laisse un héritage lourd aux plus jeunes figures du Rassemblement national. Qui, tout en essayant de s'en distancier, sont dans l'obligation de rendre hommage au fondateur du parti.
"Nous mesurons ce que nous lui devons." Comment, pour une jeune garde du Rassemblement national, rendre hommage à un homme dont on essaie de se distancier depuis des années ? C'est le défi auquel font face les figures les plus récentes du parti d'extrême droite, après la mort de Jean-Marie Le Pen ce mardi 7 janvier.
Car Jean-Marie Le Pen, ce sont de multiples condamnations pour antisémitisme et incitation à la discrimination raciale. Ce sont aussi des actes de tortures pendant la guerre d'Algérie, et des propos homophobes.
Se distancier de l'héritage...
Un héritage que les plus jeunes lieutenants du RN ont prudemment critiqué ces dernières années, notamment depuis que Jean-Marie Le Pen fut mis au ban du parti en 2015. Il avait, à l'époque, répété ses déclarations sur les chambres à gaz ayant fait des millions de morts juifs, les qualifiant encore de "détail de l'histoire" de la Seconde Guerre mondiale.
"Je n'aurais jamais adhéré au Front national de Jean-Marie Le Pen", expliquait ainsi à France 3 le député du Loiret Thomas Ménagé en 2022, peu après son élection. "Marine Le Pen a coupé les liens avec le passé avec l'exclusion de son père", ajoutait-il, préférant fêter "ce qu'on est devenu, pas les erreurs du passé".
Car Thomas Ménagé et ses collègues les plus jeunes du RN en Centre-Val de Loire ne sont pas des enfants du FN de Jean-Marie Le Pen, mais de celui "dédiabolisé" de Marine Le Pen. L'ancienne députée du Loiret Mathilde Paris, 39 ans, rejoint le FN en 2011, alors que Marine Le Pen vient d'en devenir la présidente. Aleksandar Nikolic, chef de file du Rassemblement national au conseil régional, 38 ans, s'y encarte en 2013. Et Thomas Ménagé, 33 ans, ne le rejoint qu'en 2020, après avoir fait ses armes auprès de Nicolas Dupont-Aignan.
... tout en le revendiquant
Sauf que Jean-Marie Le Pen, c'est aussi le rassembleur de l'extrême droite française, et le fondateur du Front national, renommé Rassemblement national. Et, au jour de mort du patriarche, le temps est à l'hommage, même pour la jeune garde du RN. Contacté par France 3, Aleksandar Nikolic évoque "un personnage qui a marqué l'histoire moderne de la France", et salue "son engagement pour les petits commerçants, la guerre d'Algérie, pour la France avec des idées sur le fond validées par de nombreux Français".
Un hommage malgré la torture en Algérie et "des idées sur le fond" plusieurs fois condamnées par la justice. "Il faut avoir du respect pour les morts, et une certaine pudeur dans ces moments-là", défend le conseiller régional. "Évidemment, je combats toute forme de racialisme, d'antisémitisme, et je pense que l'identité française est spirituelle et pas génétique", ajoute-t-il. Jean-Marie Le Pen, lui, affirmait croire "à l'inégalité des races". Reste que, pour Aleksandar Nikolic :
Je ne pense pas [que Jean-Marie Le Pen] était antisémite. C'est une période que je n'ai pas connue, je n'étais pas né. Je ne pense pas qu'il l'était.
Aleksandar Nikolic, conseiller régional RN en Centre-Val de Loire
Des propos proches de ceux de Jordan Bardella, 29 ans, président du parti, en novembre 2023. Face à la polémique, Jordan Bardella était revenu sur ses propos, estimant que Jean-Marie Le Pen s'était "enfermé dans l'antisémitisme". "Il y a une grande ambiguïté chez Bardella et chez cette jeune garde du RN lorsqu'ils disent ça. Parce que Jean-Marie Le Pen a été condamné pour antisémitisme. Ce n'est pas une opinion, c'est un fait. Il y a une décision de justice", explique Pierre Allorant, politologue et doyen de la faculté de droit de l'université d'Orléans.
Thomas Ménagé un peu plus frileux
"Précurseur du mouvement national, il a dénoncé avant tout le monde le chemin que prenait la France", écrit de son côté Thomas Ménagé sur le réseau social X. Ajoutant : "Nous mesurons ce que nous lui devons." Un hommage peu appuyé, mais un hommage tout de même, qui ne mentionne aucun des aspects les plus sombres du personnage.
⚫️ Pupille de la Nation, militaire, député, Jean-Marie Le Pen nous a quittés.
— Thomas Ménagé (@Thomas_Mng) January 7, 2025
Précurseur du mouvement national, il a dénoncé avant tout le monde le chemin que prenait la France et avait annoncé les difficultés auxquelles elle est aujourd’hui confrontée.
Nous mesurons ce que… pic.twitter.com/Va0fbn1RgZ
Également contacté, le député n'a pas répondu à France 3, ni à d'autres médias depuis la mort de Jean-Marie Le Pen. Pour éviter de devoir défendre la mémoire de Jean-Marie Le Pen ? "Thomas Ménagé ne se considère pas du tout héritier de Jean-Marie Le Pen, et ne sent pas forcément le besoin de s'en distancier", analyse Pierre Allorant. Mais pas forcément le besoin de le soutenir ardemment non plus.
"L'antisémitisme, le négationnisme, la relativisation de la Shoah, c'est l'héritage de Le Pen, mais ce n'est pas celui auquel se réfère plus volontiers la jeune garde", ajoute le politologue. Jeune garde qui préfère mettre en avant un homme qui avait "la volonté sincère de défendre la France", comme l'a dit Aleksandar Nikolic à L'Écho républicain.
Ambiguité persistante
Reste, malgré tout, un hommage, même si peu appuyé. Pierre Allorant soulève "une ambiguïté" chez cette nouvelle génération. Qui "en même temps dit qu'elle doit tout à Jean-Marie Le Pen, tout en disant que le RN n'a plus rien à voir avec le FN de l'époque". Pour lui, "rendre hommage à Jean-Marie Le Pen, c'est rendre hommage à l'OAS [organisation terroriste pro-Algérie française], à la France de Vichy."
En droit, un héritage, ça peut se refuser si on pense qu'il y a trop de dettes. Là, ils acceptent cet héritage.
Pierre Allorant, doyen de la faculté de droit de l'université d'Orléans
Mathilde Paris, elle, n'a rien écrit sur X. En novembre 2023, elle avait considéré sur le plateau de BFMTV que Jean-Marie Le Pen était antisémite. Une prise de position arrachée par le présentateur après un long silence, relativement rare dans les rangs du Rassemblement national.
À gauche particulièrement, ces hommages interpellent. "Aujourd'hui, ceux qui prétendent se démarquer du FN de Jean-Marie Le Pen font des hommages qui ne trompent personne", lance Jean-Pierre Sueur, ancien maire d'Orléans et ancien sénateur socialiste du Loiret. "Le fait même que ces hommages existent révèle que le RN n'a pas tant changé que ça", estime de son côté Karin Fischer, conseillère régionale La France insoumise en Centre-Val de Loire.
Comme le disait Aleksandar Nikolic, "à la suite de la mort d'un personnage, quel qu'il soit, il n'est pas forcément le moment de danser sur sa tombe, considère Pierre Allorant. Mais je pense que ça masque une réelle ambiguïté : soit la jeune garde condamne le passé sulfureux du FN, soit ils ne balaient pas devant leur porte."
Le politologue voit dans la perpétuation de l'héritage de Jean-Marie Le Pen "une grosse difficulté pour eux pour accéder au pouvoir", au vu notamment du succès du front républicain dressé lors des législatives de 2024, qui a notamment mené à la défaite de la sortante Mathilde Paris dans le Loiret. "Tant qu'ils n'auront pas réglé ce problème, ils auront du mal."