PORTRAIT. Quand le tueur en série Charles Sobhraj, alias "Le Serpent", envoyait ses tueurs à Orléans

Charles Sobhraj, "Le Serpent", est l’un des tueurs en série les plus intrigants. Personnage principal d’une série à succès sur Netflix, il est sujet de nombreux articles de presse. Un ancien policier français a enquêté sur son cas pendant des années. On vous raconte.

Après avoir pas mal bourlingué, notamment aux Antilles où il a participé à l’arrestation d’un narco-trafiquant qui mit ensuite un contrat sur sa tête, puis dans le service parisien de la police judiciaire chargé des "cold cases", Michel Delaporte est retourné à Orléans. Là où sa carrière de policier a commencé.  Là où, pour la première fois, il a commencé à pister Charles Sobhraj, dit le "Serpent".

Retraité depuis le début des années 2000, il est sans doute, au sein de la police française, celui qui connaît le mieux le cas du tueur en série franco-indien, libéré le 23 décembre 2022 après avoir purgé au Népal une peine de 19 ans de prison qui succédait déjà à une autre peine de 21 ans, effectuée en Inde de 1976 à 1997.

La justice française n’a jamais pu juger Sobhraj pour les assassinats ou tentatives d’assassinats dont il était soupçonné sur des citoyens français, car les juridictions indiennes et népalaises l’ont interpellé avant pour d’autres crimes. Mais il y a pourtant eu dans l’hexagone, une longue enquête sur le "Serpent", qui n’a pas abouti et dont Michel Delaporte peut raconter les étapes, car il en a été l’acteur principal.

Il nous reçoit dans un appartement du vieil Orléans, décoré d’une maquette de voilier rappelant Le secret de la Licorne, où traîne aussi, tranquillement posé une table, un poing américain. Pas très impressionnant physiquement, on sent toutefois encore chez lui la capacité à se défendre en milieu hostile. Il a fréquenté ces bars enfumés, mythifiés par le cinéma français des années 70, où l’on croisait des gangsters accoudés sur le zinc, à côté du cendrier plein et du présentoir contenant des œufs à la coque. Une autre époque.

Poursuivi par des tueurs 

Il nous raconte : "Mon histoire avec Sobhraj commence en 1975, alors que j’étais un jeune inspecteur de police au SRPJ d’Orléans. Un indic nous avait signalé qu’un individu qui se rendait régulièrement dans une brasserie du centre ville, 'La Cigogne' portait visiblement une arme.

"Son profil pouvait correspondre à celui d’un braqueur qui s’était attaqué à plusieurs banques de la région", poursuit l'ancien policier. "C’est là que nous l’avons coincé. Il avait effectivement une arme mais nous avons rapidement compris qu’il n’était pas celui que nous cherchions. Il nous a expliqué que s’il était armé, c’est parce qu’il était poursuivi par des tueurs, qui l’avaient suivi depuis Bangkok, jusqu’à Orléans. Charles Sobhraj n’était pas parmi ces tueurs, mais il s’agissait d’hommes de main qu’il avait mandatés."

Cet Orléanais, qui avait eu la malchance de rencontrer Sobhraj et aussi la chance de survivre à cette rencontre, a eu l’occasion, ces dernières années, de raconter son histoire dans un reportage diffusé sur BFM et plus récemment dans le documentaire Serial Killer, autopsie, d’une fascination, diffusé sur France 5.

Philippe Hannequin, à l’époque négociant en pierres précieuses, avait fait la connaissance d’un français expatrié à Bangkok se faisant appeler Alain Gauthier, qui lui avait proposé d’acheter des saphirs et des rubis. Drogué par Gauthier, un des alias de Sobhraj, au cours de cet échange organisé dans un hôtel, il s’était réveillé quelques heures plus tard dans la rue, dépouillé de ses papiers et de son argent. Mais connaissant bien la ville, il avait pu retrouver l’hôtel et s’introduire dans la chambre de Sobhraj,  où il avait découvert une centaine de passeports français, américains ou australiens dont il avait pu, pour certains, mémoriser les noms.

"En interrogeant les fichiers Interpol, j’ai pu découvrir que Sobhraj était déjà très connu et recherché en Asie du Sud-Est pour diverses escroqueries et assassinats", explique Michel Delaporte.

J’ai promis à Philippe Hannequin que je ferais tout pour l’arrêter. Et pour ça je disposais de quelques noms qu’il m’avait donnés, figurant sur les passeports qu’il avait vus dans la chambre d’hôtel. Notamment celui d’une jeune française, Stéphanie Parry, dont le corps avait été retrouvé calciné sur une plage de Thaïlande.

Michel Delaporte, ancien policier

"J’ai aussi échangé avec un agent du FBI", raconte encore Michel Delaporte, "et nous avons découvert que certains noms figurant sur des passeports détenus par Sobhraj correspondaient à l’identité de deux américains disparus en Thaïlande depuis deux ans."

"Avec tout ça, j’espérais obtenir une commission rogatoire internationale pour aller enquêter là-bas, en Thaïlande puis en Inde, mais je ne l’ai jamais obtenue. Je pense que ces pays n’aimaient pas trop à l’époque qu’on mette le nez dans leurs affaires pour ne pas qu’on découvre le niveau de corruption. Sous la pression des Américains et des Néerlandais, qui avaient aussi des victimes, la Thaïlande a fini par émettre un mandat d’arrêt, mais entre temps, [Sobhraj] était parti en Inde."

La complicité d’un Orléanais

C’est effectivement en Inde, en 1976, que Sobhraj va rater un gros coup qui conduira à son arrestation. Il travaille alors avec deux complices, sa compagne du moment, la Canadienne Marie-Andrée Leclerc, et un Orléanais nommé Jean Dhuisme, déjà connu des services de police du Loiret pour diverses affaires dont, en 1968, l’attaque du campus d’Orléans, alors bloqué par des étudiants en grève.

Le trio voyage dans une Citroën immatriculée dans le Loiret et fait la rencontre d’une groupe d’étudiants français, originaires de Tarbes. Tente-t-il simplement de les endormir ou de les assassiner ? Les cachets qu’il parvient à leur faire avaler sont mal dosés. Certains sont pris de violents malaises, d’autres, méfiants, n’ont rien voulu avaler et parviennent à le capturer jusqu’à l’arrivée de la police.

Condamné à mort puis, dans un nouveau procès, à une première peine de 10 ans de prison, Sobhraj s’évade, est rattrapé et passera finalement 21 ans dans les prisons indiennes, jusqu’à sa libération en 1997 qui lui permet de rejoindre la France. C’est alors que Michel Delaporte va le rencontrer, pour la première fois.

"Pendant toute la période où il était emprisonné en Inde, j’ai continué à actualiser ma procédure pour éviter la prescription concernant la tentative d’assassinat sur Philippe Hannequin", se souvient l'ancien policier.

"En avril 1997, je travaillais au groupe des 'cold cases', les affaires non-élucidées, du SRPJ de Nanterre. J’ai été prévenu par mon chef de son retour en France, à qui j’ai expliqué que je connaissais le dossier et que j’avais des éléments à charge. Je l’ai donc interpellé, avec des collègues, dès son arrivée sur le tarmac, ce qui a provoqué la colère de son avocat, le célèbre Jacques Vergès. J’ai pu le mettre en garde à vue et l’interroger pendant 24 heures mais, sans surprise, il n’avait rien à dire et ne se souvenait de rien. Stéphanie Parry ? 'Aucun souvenir', disait-il. 'Il y avait tellement de monde qui passait chez moi...' 

Il ne se souvenait pas non plus de Philippe Hannequin et du groupe de tueurs indiens. Il n’a pas essayé de me manipuler. Contrairement à ce qu’on connaît de lui, il faisait le timide. Je lui ai dit qu’il n’avait rien à craindre à tout raconter car les faits étaient prescrits, mais il n’est pas tombé dans le panneau.

Michel Delaporte, ancien policier

"Toute la presse était aussi sur l’affaire. Sa présentation au juge d’instruction de Bobigny a été assez folklorique ! Les journalistes et les photographes essayaient de nous suivre. On a réussi à les semer en les amenant sur une fausse piste parce que nous avons fait partir une voiture avec une collègue qu’on avait déguisée en Sobhraj, pour les balader dans Paris."

Au final, Charles Sobhraj "a simplement été mis en examen, placé sous contrôle judiciaire, mais remis en liberté", regrette Michel Delaporte. "Le juge a estimé qu’on ne pouvait pas le placer en détention pour cette tentative d’assassinat datant des années 70, alors qu’il venait de faire vingt ans de prison en Inde."

"

Après ça", ajoute l'ancien flic, "j’ai pu interroger certaines des victimes françaises originaires de Tarbes qu’il avait tenté d’empoisonner, pour étoffer mon dossier. Je continuais à suivre tous ses déplacements en France, notamment dans le 13e arrondissement de Paris, où il était installé. C’est grâce à mes contacts avec des Chinois que j’ai appris qu’il tentait d’échapper à son contrôle judiciaire pour partir en Angleterre. Je l’ai fait interpeller et il a de nouveau passé quelques semaines en prison, mais cette fois en France."

"Il n’y a pas beaucoup de monde qui a fait 40 ans de prison."

 

Mais contrairement à ce qui s’est passé en Inde, puis au Népal, la procédure française contre Sobhraj n’a jamais pu aboutir. Michel Delaporte a bien enquêté sur le cas du "Serpent". Il l’a traqué, interpellé, interrogé et mis en prison brièvement mais il n’a pas pu obtenir qu’il soit jugé pour les actes qu’il a commis sur des citoyens français.

"Vingt ans après, il était très difficile de réchauffer la procédure", déplore Michel Delaporte. "Le principal tueur indien, mandaté par Sobhraj pour exécuter son contrat sur Philippe Hannequin, à Orléans, était mort. Cette tentative d’assassinat était crédible mais il manquait, à ce moment là, des éléments juridiques pour le prouver."

 

Condamné néanmoins pour d’autres faits par la justice, en Inde puis au Népal, Charles Sobhraj aura finalement effectué des peines de prison plus longues que s’il avait été condamné et incarcéré en France. Est-ce une consolation pour Michel Delaporte ?

"Une consolation ? Si on peut dire", s’en amuse aujourd’hui le policier en retraite. "J’aurais bien aimé qu’on puisse l’arrêter dans une période où la justice avait plus de moyens. Mais finalement, il a quand même fait 40 ans de prison. Et il n’y a pas beaucoup de gens dans le monde qui ont fait 40 ans de prison. Il a aussi échappé à une condamnation à mort prononcée par contumace en Thaïlande."

"Environ 70 meurtres qui pourraient lui être attribués"

En 2003, alors que Michel Delaporte avait lâché le dossier pour prendre sa retraite, Sobhraj a en effet commis l’erreur de partir au Népal où il était encore recherché. Reconnu dans la rue, puis jugé et condamné à 19 ans de prison pour meurtres, il n’a depuis cessé de contester ces faits, de même que l’ensemble des meurtres qui lui sont reprochés.

Lors des nombreuses interviews qu’il a eu l’occasion d’accorder à la presse, il a toujours assumé son statut d’escroc mais jamais celui de meurtrier, à l’exception du récit circonstancié qu’il fit  dans les années 70 aux journalistes américains Richard Neville et Julie Clarke, auteurs du livre The life and crimes of Charles Sobhraj. "Le Serpent" se plaisant à entretenir le mystère autour de lui et la justice ayant parfois manqué de moyens pour enquêter et établir les faits, combien de crimes pourraient donc lui être imputés ?

Selon Michel Delaporte, "on a identifié environ 80 meurtres dans les endroits où il est passé. Et au moins 70 pourraient lui être attribués. Il est vrai qu’il arrive parfois que des meurtriers imitent les méthodes d’un tueur en série pour brouiller les pistes. Peut-être n’a-t-il pas commis les crimes pour lesquels il a été condamné au Népal ? Mais bon, je ne vais pas le plaindre. Il a quand même mis beaucoup de monde au tapis. Il est dangereux."

"S’il s’attaquait à moi, il ne ferait pas le poids"

Définitivement libéré en décembre 2022 pour revenir en France subir une opération à coeur ouvert, Sobhraj reste-t-il dangereux ? "Personnellement, la réinsertion d’un tueur en série, je n’y crois pas. En général, c’est la mort ou la prison qui les arrête. Mais je pense qu’aujourd’hui, il est surtout préoccupé par la négociation de contrats pour vendre son récit. De mon côté, je ne crains pas les représailles car je sais me défendre, s’il s’attaquait à moi, il ne ferait pas le poids."

 Pour appuyer son propos, Michel Delaporte explique qu’il pratique encore le tir de précision sur cible et que c’est pour ça qu’il possède encore plusieurs armes à feu, 357 magnum entre autres. Et au cas où, il y a le poing américain, posé sur la table du petit appartement où il profite de sa retraite.

"Je sais me servir d’une arme, et parce que je sais me servir d’une arme, je n’ai jamais tué personne. A mon époque, on pratiquait le 'stopping power'. Avec un magnum, vous pouvez défoncer l’omoplate de quelqu’un, même s’il tient une personne en otage, pour le neutraliser sans le tuer."

Ambiguïté et fascination

A 78 ans, l’ancien policier, même s’il a lâché ses dossiers, continue à garder la culture du métier, datant de l’époque où il était en service. Charles Sobhraj, a-t-il aussi gardé certaines habitudes de l’époque où il sévissait ? Lui seul peut le dire.

Même s’il prend visiblement un certain plaisir à raconter ses aventures dans les médias, "le Serpent" sait qu’il a intérêt à maintenir l’ambiguïté et le mystère autour de ce qu’il a réellement fait.

Entre la période où il s’est lancé dans la carrière, au début des années 70, et aujourd’hui, la figure du tueur en série est devenue un objet de culte qui a ses spécialistes et même ses fans. N’ayant jamais pensé qu’à ses intérêts, sans pitié ni empathie pour le reste du monde, il pourrait bien continuer à profiter de la fascination qu’il exerce.

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