Après un été 2022 particulièrement chaud, et alors que la COP 27 vient de débuter, le changement climatique est devenu bien concret pour des millions de Français. Et notre mode de vie, comme les paysages auxquels nous sommes habitués, sont sur le point de changer profondément.
Ne vous demandez plus ce que nous réserve l'avenir climatique. Alors que la COP 27 vient de s'ouvrir au Caire, le catastrophique été 2022 nous en a donné un aperçu. L'été 2022 s'est avéré particulièrement chaud, sec et meurtrier. Et nous n'en sommes qu'à 1,2°C de réchauffement global depuis le début de l'industrialisation, sur une trajectoire qui nous emmène vers 2,5 à 3°C. Le Groupe international d'expert sur le climat (GIEC), l'ONU, Météo France et même Évelyne Dhéliat nous avaient prévenu.
Souvenez-vous, c'était en 2014. La présentatrice vedette de la météo sur TF1 avait dévoilé une carte d'une journée typique de la fin du mois d'août en 2050. Sauf que la réalité de 2020 et de 2022 ont déjà dépassé ces prévisions. Dont acte : la présentatrice a dévoilé le 27 octobre une nouvelle prévision pour 2050. Il fera donc un petit 37°C à Brest, 48 à Nîmes et 44 degrés à Orléans, Tours et Bourges.
Des phénomènes extrêmes plus fréquents
Mais comment ce bouleversement irréversible va-t-il changer nos vies quotidiennes ? À l'heure actuelle, il est difficile de répondre à cette question. Ce qui est sûr, c'est que les paysages changeront. Si, avec la montée des eaux, les côtes seront nécessairement très touchées, les grands fleuves, les villes et les campagnes peuvent évoluer de manières diverses.
À Orléans, Gonéri Le Cozannet est géologue du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), mais aussi co-auteur du rapport du GIEC de mars 2022. Pour lui, connaître les modifications des paysages à l'échelle du quotidien relève de la gageure. "En général, nous prenons en compte de grands ensemble régionaux, par exemple toute l'Europe de l'ouest", explique-t-il. Il a par exemple personnellement travaillé sur les effets de la montée des eaux.
Ce qui est sûr, c'est que la température moyenne, elle aussi, continuera de monter. En Centre-Val de Loire, région enclavée, elle a déjà bondi de quelques degrés entre 1950 et 2020. Dans la capitale régionale d'Orléans, l'écart à la normale en 2018 était de 1,4°C. Du jamais vu.
L'autre certitude, c'est que la gestion de l'eau va devenir centrale, avec des phénomènes climatiques extrême plus fréquents, comme les inondations et la sécheresse.
"Il est possible qu'on vive une alternance de périodes de sécheresse intenses, et plus longues, et de précipitations hivernales intenses", indique Gonéri Le Cozannet. "Ce qui va avoir un impact à la fois sur les écosystème d'eau douce et sur notre propre utilisation de l'énergie nucléaire, qui a besoin d'eau." Or, chaque dixième de degré de réchauffement climatique rendra ces phénomènes plus intenses. Les grandes crues, comme celle de 2016, deviendront normales.
De fait, ce n'est pas seulement le bouleversement climatique lui-même qui va modifier nos paysages, mais nos propres choix pour nous y adapter, en ville comme à la campagne. Et donc, plusieurs scénarios plus ou moins optimistes sont possibles.
À la campagne, agro-foresterie ou méga-bassines
En France, 45% de la superficie du pays correspond à la Surface agricole utile (SAU), soit environ 26,8 millions d'hectares. Un peu moins de 10% de cette surface se trouve en Centre-Val de Loire, région durement éprouvée par la sécheresse de 2022.
Or, qui dit sécheresse, dit aussi restriction d'eau, bêtes assoiffées et terres plus difficiles à cultiver. Face à cette sécheresse, une partie des agriculteurs plaide pour l'installation de bassines de rétention d'eau géantes. Sauf qu'en immobilisant une partie de l'eau qui devrait retourner dans les nappes, l'agriculture appauvrirait d'autant le reste de l'écosystème.
"Dans le cas des méga-bassines, on est sur une adaptation qui atteint ses limites", note Gonéri Le Cozannet. "Cela ne fait que perpétuer un peu plus un mode de développement agricole non soutenable." À l'inverse, explique le géologue, la fausse bonne idée des méga-bassines retarde la mise en place "de modes de production agricole effectivement soutenables et ayant recours à l'agro-écologie et l'agro-foresterie".
Dans un scénario optimiste, les champs à perte de vue, inondés de pesticides et artificiellement irrigués par des méga-bassines laisseraient la place à un retour des forêts, des haies, mais aussi des insectes et des oiseaux, dont les populations sont en plein effondrement.
Dans les villes, la trop lente végétalisation
"En Centre-Val de Loire, on est déjà sur des villes bien développées et peu denses, largement organisées autour de la voiture", note le géologue. Avec des routes et des façades sombres, et peu d'îlots végétaux, les villes peuvent amplifier les effets de la canicules de 5 à 8 degrés.
Le défi sera donc de tendre à une "densification" de la ville, indique le géologue. "L'idée sera de pouvoir accéder à toute la ville, du moins à tous les services, à pieds, en vélo ou par les transports en commun." Objectif : réduire drastiquement le trafic des voitures, y compris électriques, pour privilégier les mobilités douces. L'ajout d'îlots végétaux permettra également de réduire d'un ou deux degrés la température ressentie au plus fort de l'été.
Ensuite, il y a des améliorations à apporter au bâti lui-même, comme des façades plus claires, qui réfléchiront les rayons du soleil. La végétalisation des murs et des toits de certains bâtiments permettra aussi de réduire les effets néfastes des inévitables canicules.
Alors, où en est-on ? Depuis quelques années, à mesure que les effets du réchauffement climatique (à "seulement" 1,2°C pour l'instant) se succèdent, assiste-t-on à une réelle prise de conscience des citoyens et des élus ? "Effectivement il y a un début d'adaptation", indique Gonéri Le Cozannet. "Mais c'est beaucoup trop peu et beaucoup trop lent par rapport à la rapidité du changement climatique."
Il y a six mois on disait qu'il est encore possible de limiter le réchauffement à 1,5°C. On sait maintenant que ça ne sera plus possible. Donc désormais on se bat pour le limiter à 1,6°C.
Gonéri Le Cozannet, géologue du BRGM et co-auteur du rapport du GIEC de mars 2022
Intérêts économiques et inertie politique se conjuguent pour éviter de remettre en cause un système de production rentable à court terme, mais mortel si on le laisse continuer. "Il n'y a plus beaucoup de climato-sceptiques en tant que tels", poursuit le scientifique, mais "des mouvements qui vont tenter de retarder l'action."
Les uns diront, par exemple, que la France émet moins de carbone que la Chine ou les États-Unis. Sauf que c'est négliger de prendre en compte les émissions importées (le carbone émis par les marchandises importées, comme le smartphone qui est dans votre poche). C'est négliger aussi qu'historiquement, la France est le 8e plus gros pollueur mondial, et a commencé à émettre des gaz à effet de serre dès le 18e siècle.
C'est d'ailleurs l'un des autres très lourds enjeux de la COP 27 : qui paiera la facture des dégâts causés par les pays émetteurs de carbone dans les régions peu industrialisées ?