Témoignage. "J'ai mal. Je gesticule pour qu'il arrête et là, il appuie plus fort" : le parcours du combattant d'une victime de violences gynécologiques

Publié le Écrit par Ambre Chauvanet

Morgane a 38 ans. Après cinq ans d'errance médicale, elle peut enfin l'affirmer : elle est bien malade et souffre d'endométriose. Durant toutes ces années, la jeune femme a vécu ce que l'on peut appeler des violences gynécologiques. Elles sont d'ordre à la fois physique, mais surtout psychologique.

Six ans de souffrance. Lorsque les douleurs sont quotidiennes, le temps s'étire. Jusqu'à ce que l'attente paraisse interminable. C'est le cas de Morgane, une jeune femme de 38 ans habitant le Pithiverais. "J'ai vu beaucoup de gynécologues", commence-t-elle.

Aujourd'hui, les mots sont posés. Elle souffre d'endométriose. Mais pour en arriver au diagnostic, il aura fallu attendre cinq ans. De longs mois durant lesquels les violences à l'égard de la jeune femme se sont multipliées. Résultat : perte de confiance en soi, en son corps, en la médecine...

Un cabinet de gynécologie d'Indre-et-Loire épinglé sur les réseaux sociaux

Ces patientes d'un cabinet de gynécologie de Chambray-lès-Tours ont, elles aussi, subi des violences, comme le racontent nos confrères de La Nouvelle République.

Avant tout rendez-vous, elles étaient encouragées à spécifier tout désaccord concernant les examens. En cas de refus de palpation, de toucher vaginal ou rectal, la consultation pouvait "possiblement" être annulée.

Cette pratique, qui aurait été validée par le conseil départemental de l'Ordre des médecins d'Indre-et-Loire, a fait tiquer, sur les réseaux sociaux. Depuis, des excuses ont été formulées au travers d'un communiqué diffusé début juin.

On y rappelle que le "consentement du patient est capital". Qu'il peut refuser un examen, même s'il est médicalement conseillé et que les professionnels de santé n'ont pas à annuler la consultation, en cas de désaccord du patient ! 

Revenons-en à Morgane. Seul fait avéré, il y a six ans : un kyste est détecté par le corps médical. De son côté, la jeune femme indique à tous les professionnels de santé qu'elle souffre de remontées acides et de problèmes digestifs. 

La première fois qu'elle consulte, dans le cadre de ces douleurs insupportables, elle est confrontée à des mots culpabilisants. "Je ne peux rien faire pour vous", lui indique son médecin traitant, lui-même au bord du burn out.

À l'hôpital, on lui demande de partir : "Ce n'est pas une urgence"

Difficile de ne pas aborder le sujet de la désertification médicale, en particulier en région Centre-Val de Loire. Et surtout lorsqu'il s'agit de spécialistes. "Avec les mauvais, on a rendez-vous du jour au lendemain", raconte Morgane, une pointe de colère dans la voix.

Elle se rend d'abord dans un hôpital, inquiète. On lui demande de partir. Elle n'a pas de douleurs, contrairement à lorsqu'elle ne peut plus bouger, en pleurs dans sa salle de bain. Là, elle peut se déplacer.

Le problème, ce n'est pas le délai pour consulter, c'est la route. Quand on habite Orléans, il n'y a pas de problème.

Morgane, 38 ans

Tenace, elle insiste et se rend dans un service d'urgences gynécologiques, cette fois. C'est là qu'on lui fait comprendre qu'elle n'a rien à faire là, qu'elle prend la place d'une femme qui pourrait être en danger de mort. Obligé, tout de même, le médecin l'ausculte. 

"C'est le premier qui me dit qu'il croit qu'il y a des nodules d'endométriose. Il l'avait vu, mais m'a laissé repartir comme ça", explique Morgane. Sans aucun examen complémentaire. Les douleurs, elles, persistent. 

Lors du premier confinement, la douleur devient centrale

Intervient alors le confinement. "Jusque-là, je vivais mes douleurs comme je pouvais", explique la jeune femme. Sociable, elle se change les idées, en temps normal. Confinée et seule chez elle, elle ne pense plus qu'à cela. 

Elle prend rendez-vous avec un spécialiste de la Procréation médicalement assistée (PMA). "Obsédé par le fait de me faire faire un enfant." Nous sommes alors en 2020. Pendant un an, à raison d'un rendez-vous trimestriel, Morgane se rend chez ce professionnel de santé.

"J'ai droit à un examen à chaque rendez-vous. Je pense qu'il n'était pas obligé de me faire une échographie pelvienne à chaque fois", relate-t-elle. Ces propos, une sage-femme diplômée depuis 1998 les confirme. 

Je passe plus de temps à discuter. Les gynécologues ont des consultations toutes les 10 minutes, ils sont juste dans la pathologie. C'est souvent cela le problème. Nous, on est garantes de la physiologie. On est beaucoup plus dans le dialogue. Après, il y a aussi la personnalité des gynécologues. Souvent, ils sont sur le départ, la plupart ont 50 à 60 ans et n'ont pas appris. C'est le médecin tout puissant.

Une sage-femme du Loiret

"Je n'examine pas systématiquement mes patientes. Il n'y en a pas toujours besoin", indique cette sage-femme installée dans le Loiret. Pour elle, il y a encore des progrès à faire, concernant le consentement des patientes.

Formée en 1998, elle confie : "On ne pensait pas forcément à demander le consentement, avant. On va vers du mieux. Les femmes ressentent les choses comme des violences si on ne leur explique pas ou si elles sont surprises."

"Dans notre cursus, on est plus dans l'écoute et l'accompagnement. On n'est pas toutes parfaites. Il y a des gynécologues très bienveillants. On ne peut pas faire de généralités", tempère la professionnelle qui réalise le suivi gynécologique de ses patientes depuis 2017.

Pour que les choses évoluent, il "faut que cela passe par les écoles de médecine et par ce qu'ils voient en stage, puisqu'ils vont reproduire ce qu'ils ont vu", explique cette sage-femme. Ou entendu, d'ailleurs, comme le raconte Morgane.

"Vous n'avez pas le moral ? Fumez un joint !"

"De toute façon, ne vous inquiétez pas, j'arriverais à vous convaincre de faire un enfant." Pire : "Ah bon, vous n'avez pas le moral à cause du traitement hormonal ? Fumez des joints !" Ou encore, le déni.

"Il me répétait tout le temps qu'il ne comprenait pas, que le traitement qu'il me donnait marchait sur tout le monde. Alors, je me disais que j'avais un problème", raconte Morgane.

Je n'avais aucune raison d'avoir mal, pour lui. Il s'était passé un an et j'avais eu quatre traitements différents. J'avais pris 5 kg en trois mois et je voulais me suicider tous les jours. J'avais tout pour être heureuse, mais j'avais les idées noires.

Morgane, une patiente confrontée à l'errance médicale durant 5 ans

Tous les examens, principalement des IRM, reviennent sans détecter autre chose que le fameux kyste que le médecin refuse d'opérer. "Un jour, je n'avais plus d'énergie et, n'ayant plus de médecin traitant, je suis allée le voir", se rappelle Morgane. 

Échographie, tension, le médecin ausculte la jeune patiente. Et lui donne un diagnostic : "Vous êtes enceinte". Pourtant, techniquement, c'est impossible. Test de grossesse et prise de sang pour vérifier la glycémie lui sont prescrits. Rien, encore une fois. Alors Morgane en a marre.

"Comme je connaissais un autre médecin, je l'ai appelé. Le lendemain, elle m'a reçue." Immédiatement, la professionnelle de santé reconnaît une anémie. Elle lui prescrit du fer. "Pour moi, le gynéco est passible de non-assistance à personne en danger.Il m'a laissée repartir comme ça", insiste Morgane.

Je perdais de plus en plus de sang. J'avais des fibromes dans l'utérus.

Morgane

La fameuse perte de confiance. "On écoute tout ce qu'ils nous disent, mais certains médecins nous racontent n'importe quoi", poursuit Morgane. C'est à ce moment qu'elle se tourne vers un gynécologue recommandé par un membre de sa famille. Il reçoit en milieu hospitalier, dans l'Yonne.

La première IRM ne donne rien, encore une fois. "Il voit mon kyste, mes fibromes", précise-t-elle. Pour autant, le chirurgien propose de l'opérer. Nous sommes en mai 2021. La jeune femme entrevoit une lueur d'espoir. Enfin. 

Les femmes disent toutes qu'elles ont de l'endométriose. C'est le truc à la mode.

Un gynécologue, à Morgane

Tout se passe bien. Mis à part les dix heures d'attente, sans manger, sans voir personne. "Et puis, j'ai été mal agrafée, je risquais l'éventration. J'ai encore une cicatrice qui reste", ajoute Morgane. 

Alors que tout semble aller mieux, les douleurs reviennent, au bout de quelques mois. On lui prescrit une nouvelle IRM. Sa chance, cette fois ? Le radiologue habituel n'est pas là. Une femme la remplace. 

"Elle m'a fait venir pour regarder les images et me montre des noyaux d'endométriose. Là, début 2022, on ne parle que de suspicion", explique Morgane. Elle retourne voir son gynécologue, dans l'Yonne et ce dernier sous-entend que l'examen n'a pas été bien réalisé.

Une violence physique et gratuite "absolument injustifiable"

C'est là qu'il ausculte, une nouvelle fois sans raison apparente, la jeune femme. "Il appuie à gauche. J'ai mal, je gesticule pour qu'il arrête et là, il appuie plus fort", relate Morgane, comparant la douleur à celle d'un énorme hématome sur lequel on appuierait. 

"Ce n'est absolument pas justifiable. On peut parler de violence gynécologique", affirme notre sage-femme. "La personne en question n'était pas bienveillante, voire malveillante" appuie la professionnelle.

Ce médecin, qu'elle décide alors de ne plus consulter, finira par reconnaître, à demi-mot, qu'il s'est trompé : "Oui, bon, il y a bien un petit quelque chose. Mais il n'y a aucune raison d'avoir mal." Cette fois, Morgane opte pour une nouvelle tactique.

Plutôt que de chercher "gynécologue", je me suis mise à cherche "endométriose", pour avoir un spécialiste.

Morgane, patiente souffrant d'endométriose

"Je suis tombée sur un spécialiste d'un hôpital privé, en région parisienne", explique Morgane. Le premier rendez-vous, le 20 avril 2022, elle découvre un traitement bien différent de ce qu'elle a connu jusque-là. 

"J'ai dû signer un papier qui autorise le médecin à pratiquer certains examens, avec des dessins explicatifs. C'était une sorte de consentement", indique Morgane, qui confie avoir été rassurée, pour la première fois.

Plus encore, elle est persuadée qu'en cas de refus, son spécialiste n'aurait pas annulé le rendez-vous. "Je suis tombée sur un médecin bienveillant, sans jugement, qui m'a écoutée. Je n'avais jamais eu autant de douceur."

J'ai conscience que si l'on va chez le gynécologue, ce n'est pas pour tricoter, mais je trouve ça bien qu'on m'informe et qu'on me demande une autorisation.

Morgane, 38 ans

En un examen, le spécialiste détecte les lésions d'endométriose. "Il me demandait si j'avais mal pour constater les lésions", explique Morgane. Une pilule contraceptive est alors testée, en dernier recours avant l'opération, pendant six mois. 

Lors du deuxième rendez-vous, Morgane et son médecin décident de suspendre l'idée de l'opération jusqu'à la fin de l'été. Elle a pris 20 kg, depuis le début de tous les traitements hormonaux. Avec délicatesse, il lui indique qu'en cas d'opération, même une légère perte de poids serait la bienvenue.

Une dernière déception avant l'opération

Pourtant, il refuse de l'opérer pour le moment. Il évoque aussi la possibilité de lui enlever l'utérus. "C'est une chose de ne pas vouloir d'enfant, c'en est une autre de ne pas pouvoir en faire", résume Morgane, alors en proie à l'émotion. 

"Cela me fout un coup au moral", résume-t-elle. Elle repart avec un nouveau traitement, dépitée. Et, miracle, après un mail désespéré, immédiatement, la jeune femme est rappelée. Le médecin ressent la détresse de sa patiente et décide de la contacter.

Il s'est excusé que les examens n'aient jamais rien montré. C'est le problème de cette maladie, il faut des professionnels qui écoutent et qui aient des compétences.

Morgane, atteinte d'endométriose

Le lendemain, il valide l'opération. "Il me dit qu'il va enlever tout ce qu'il trouvera d'endométriose." C'est enfin le bout du tunnel. Après l'opération, le soulagement. Et même le bonheur, que l'on peut encore lire dans les yeux de Morgane, embués de larmes.

"Il m'a dit que j'avais eu raison, qu'il a bien fait d'accepter de m'opérer, que c'était bien malade. On attendait trois ans de plus et j'avais le système digestif atteint. Ça a été le moment le plus fort de ma vie, qu'enfin, on reconnaisse ma maladie", conclut Morgane.

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