Témoignages. "C'est un acte irréparable de perdre un enfant" : le deuil périnatal, sujet tabou et souvent mal compris

Publié le Écrit par Ambre Chauvanet

Le deuil périnatal touche des milliers de familles chaque année. Il est souvent mal compris par l'entourage et décrit par les parents concernés comme un sujet tabou. Nous avons recueilli le témoignage de deux mères ayant fait face à la perte de plusieurs enfants.

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Prudence et Laurence, installées dans le Loiret et en Eure-et-Loir, sont ce que l'on appelle des "mamanges". Comme Evelyne ou encore Olivier et Laëtitia, elles ont accepté de témoigner.

Elles ont vécu le drame du deuil périnatal. Autrement dit, la perte d'un bébé entre la 22e semaine d'aménorrhée et le 7e jour après la naissance, selon l'OMS. En février dernier, pour Prudence, et il y a une quarantaine d'années, pour Laurence. 

"J'avais 18 ans", raconte-t-elle. Aujourd'hui, à 62 ans, Laurence parle encore de ce premier enfant, un petit garçon, qu'elle n'a jamais eu la chance de voir grandir.

À l'échographie de datation, à deux mois de grossesse, on avait vu qu'ils étaient deux.

Prudence, 30 ans

Prudence, elle, a 30 ans. Elle vit près d'Outarville, dans le Loiret. Maman de deux petites filles de 6 et 4 ans, elle est tombée enceinte de Loucka et Noé, en septembre 2022. Une chance, pour cette femme qui a elle-même un frère jumeau.

Les grossesses gémellaires, considérées comme des grossesses à risque, nécessitent un suivi plus régulier. "Tous les 15 jours", confirme Prudence.

L'un des jumeaux de Prudence perd la vie, au bout de trois mois et demi de grossesse

Durant tout le premier trimestre, la grossesse se passe bien pour Prudence. "Généralement, le premier bébé part très tôt. On a eu espoir jusqu'au bout", explique la maman. 

Malheureusement, au bout de trois mois et demi, le petit Loucka décède. "Au début, c'est compliqué de se dire qu'on porte la mort et la vie en soi", raconte Prudence, à qui l'on délivre alors un arrêt de travail. Elle est assistante maternelle.

Un fausse couche à plus de six mois de grossesse,  pour Laurence

Laurence, elle, se souvient encore du déchirement qu'elle a vécu, alors qu'elle était enceinte de plus de six mois. "J'ai fait une fausse couche spontanée", explique-t-elle. Son bébé, elle n'a pas le droit de le voir. 

Prudence et son mari, eux, auront le choix, au moment de l'accouchement, de voir leurs enfants et de procéder eux-mêmes aux funérailles. "Ils reposent avec tous les bébés de Necker, au jardin du souvenir", confie Prudence. 

D'un point de vue général, la perte d'un enfant en cours de grossesse ou peu après sa naissance est assez rare. Dix cas sur mille. C'est le taux de mortalité périnatale, plus exactement chiffré à 10,2, en 2019, selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques. 

Il m'avait mise en maternité, avec les autres mamans qui avaient accouché et qui avaient leur bébé.

Laurence, 62 ans

L'histoire de Laurence remonte à 44 ans. Autant dire que l'accompagnement des parents en deuil était différent. "Quand vous accouchez, on ne vous montre pas votre enfant", poursuit Laurence.

Un fait qu'elle ne supporte pas. À l'époque, l'équipe médicale se justifie : il ne s'agit que d'un fœtus. Pire, on nie la douleur des parents. "Vous êtes jeunes, vous recommencerez", lui dit-on. Elle ne comprendra que plus tard pourquoi elle a perdu trois de ses six enfants.

La perte d'un bébé, une douleur silencieuse

Bien que le temps ait passé, Prudence a aussi entendu ce genre de discours. Elle a le sentiment que le deuil périnatal est encore tabou de nos jours. "On n'en parle pas assez. Et tant qu'on ne le vit pas, on ne peut pas comprendre", indique Prudence. 

Son entourage, très présent, lui apporte un soutien sans faille. Mais elle reconnaît qu'il est difficile d'aborder le sujet. "C'est très difficile pour les gens de nous parler. Ils ont de la tristesse, ne veulent pas remuer le couteau et nous blesser".

"Il n'y a pas de sensibilité". Dès le lendemain de son premier accouchement, Laurence doit quitter la maternité. "Le papa était furax", se souvient-elle. "On est repartis avec la valise. À l'époque, on n'enterrait pas les bébés", raconte Laurence.

C'est la vie. Voilà ce qu'on m'a dit. Je pense que chaque femme et chaque père aussi, d'ailleurs, le digère comme il peut.

Laurence, habitante d'Eure-et-Loir

Prudence, de son côté, poursuit sa grossesse dans l'espoir que Noé sera en pleine santé à sa naissance. D'abord exclusivement suivie à la maternité d'Étampes, elle est alors également prise en charge à l'hôpital Necker-Enfants malades, à Paris.

Lors d'un examen, entre la 16e et la 18e semaine de grossesse, l'équipe médicale constate que Noé n'a pas de corps calleux, cette structure cérébrale qui relie les deux hémisphères.

"On peut vivre sans. On nous a expliqué qu'il peut juste y avoir quelques petits décalages dans les phases d'apprentissage. On avait encore espoir", poursuit Prudence. Sauf que lors de l'échographie de la 20e semaine de grossesse, un autre souci est détecté. 

Le décès de Loucka a provoqué un AVC chez Noé. Il était toujours en vie mais il y avait de très gros risques de handicaps lourds.

Prudence

"Ils ont vu que la tête était trop petite et qu'il y avait eu des lésions au cerveau", développe Prudence. Un important afflux de sang provoqué par la mort du petit Loucka est à l'origine de ces lésions. 

L'équipe médicale doit alors informer les parents des risques de handicaps d'ordre physique et cérébral, pour le petit Noé. Et les interroger sur leur capacité à accepter un haut degré de pathologie. "Malgré les examens poussés, on se dit que, peut-être, ils se trompent. Nous avons deux petites filles en bas âge. Et ça n'aurait pas été une vie, pour Noé. On a pris la décision de faire une IMG (interruption médicale de grossesse N.D.L.R.)", relate la maman. "C'était le choix à faire", ajoute-t-elle.

Nous sommes alors en février 2023. Contrairement à Laurence, Prudence confie avoir été soutenue par le corps médical. Au moment de cette difficile décision à prendre, durant l'accouchement, et même après. Elle a rendez-vous fin mai, à Necker. "Ils resteront dans la famille. Ils restent leurs frères." 

Dix ans après avoir vécu une fausse couche, Laurence est de nouveau enceinte. Elle a alors 28 ans. Après neuf mois d'alitement et de contractions, Maxime naît par césarienne. Suzy verra le jour cinq ans plus tard. 

"Après, j'ai perdu deux autres enfants, à 7 et 8 mois de grossesse. Des fausses couches également", raconte Laurence. Cette fois, des funérailles ont été possibles.

Sa dernière grossesse, à l'âge de 41 ans, lui permettra de comprendre, enfin, pourquoi trois de ses enfants sont décédés en cours de grossesse. "J'ai failli perdre ma dernière fille. Grâce à elle, on sait très certainement de quoi mes autres enfants sont partis."

Émeline. La petite dernière a aujourd'hui 21 ans. "Elle va bien", confirme sa maman. Pourtant, au moment de la diversification alimentaire, la petite fille fait trois comas. En réalité, Laurence est porteuse saine d'une maladie génétique rare. 

"On tue nos bébés à la diversification", lâche Laurence. Plus précisément en ingérant du fructose, le sucre naturellement présent dans les fruits et légumes. Cette maladie, la fructosémie, une intolérance héréditaire, touche une personne sur 40 000.

On m'a dit que de toute façon, ma fille ne vivrait pas très vieille, qu'il valait mieux lui choisir un institut pour la placer dedans.

Laurence

"J'ai pris six ans sabbatiques pour pouvoir aider ma fille à se développer", explique Laurence, dont le métier est de s'occuper de jeunes personnes habitant dans les quartiers de sa ville, en Eure-et-Loir. 

De son côté, sur le plan psychologique, Prudence avoue ne pas avoir voulu être suivie. "On parle beaucoup dans notre couple, on se soutient", justifie Prudence. Pour aider ses petites filles, là aussi, la communication est importante. "Mes filles étaient au courant depuis le début. On leur a tout dit. Je travaille dans la petite enfance et je sais qu'il ne faut rien cacher."

L'aînée comme la cadette semblent éprouver des difficultés à faire leur deuil."C'est compliqué. La grande, elle ne veut pas en parler. Ma petite, elle, en parle tous les jours", résume Prudence. 

"Quand il y a des frères et sœurs, on prépare tout, il faut expliquer", indique Laurence. "On avait acheté les lits, tout le matériel. On était obligé d'anticiper", confirme Prudence.

On est devenus des égoïstes, on a beaucoup voyagé. Mais tout le monde ne peut pas se le permettre.

Laurence

Au moment de notre rencontre, Prudence est toujours en congé maternité. Elle reprendra son activité en septembre 2023. Son mari, lui, allait reprendre le travail sous peu. "Je vais être toute seule, ça va être compliqué", s'inquiétait alors Prudence.

Pour que la douleur soit moins intense, chaque famille trouve ses propres solutions. "On est devenus des égoïstes, on a beaucoup voyagé. Mais tout le monde ne peut pas se le permettre." confie Laurence. Prudence et son mari ont fait le choix de retenter rapidement l'aventure de la maternité.

Prudence et son mari sont de nouveau en "essai bébé"

"On espère que cela fonctionne vite. Je pense que c'est cela qui va nous aider à aller de l'avant. Ce sera ma dernière grossesse, normalement", souligne Prudence.

"C'est un acte irréparable de perdre un enfant", résume quant à elle Laurence. Alors, avec son mari, pour se "venger sur la vie", elle a beaucoup voyagé. Jusqu'au décès de son compagnon.

La solitude au loin, pour Laurence, devenue grand-mère

Heureusement, Laurence n'est pas seule. Elle est devenue grand-mère. En guise de promesse à son père avant qu'il ne perde la vie, l'aîné de la fratrie, Maxime a offert à sa mère le plus beau des cadeaux.

Une maison qu'elle partage avec son fils. Pour ne pas connaître la solitude. "Dans mon malheur, j'ai beaucoup de chance", conclut Laurence. 

Si vous êtes en situation difficile, vous pouvez vous faire accompagner :

Parmi les associations en soutien aux familles endeuillées : 

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