Moins de 24 heures après le départ du pape François d’Ajaccio, le cardinal François-Xavier Bustillo a accordé un entretien à France 3 Corse ViaStella. Il revient sur la journée historique du dimanche 15 décembre.
Une journée qui restera dans les mémoires des Corses pour longtemps. Dimanche 15 décembre, le pape François a réalisé un voyage apostolique à Ajaccio.
Au lendemain de ce déplacement historique, le cardinal François-Xavier Bustillo a accordé un entretien à France 3 Corse ViaStella.
Nous venons de revoir toutes les images de ferveur, d’émotion, qui ont gagné la ville d’Ajaccio hier. Est-ce que vous aussi vous ressentez encore cette joie quelques heures après le départ du pape ?
J’ai eu le privilège d’être avec le pape dans la papamobile. Donc, là, on voit quelque chose d’unique sur le visage des personnes, leur regard. Il y avait des personnes âgées, de jeunes parents avec leurs enfants, il y avait des jeunes, j’ai vu beaucoup d’émotion, beaucoup de joie. Et quand on traversait les foules, c’étaient vraiment des foules en liesse. Il y avait de la joie, de l’espérance et c’est très motivant pour la Corse et pour moi en tant qu’évêque.
Vous avez vu cette joie, l’avez-vous ressentie ?
Je l’ai vue et je l’ai sentie. Je gère assez bien mes émotions, il y a eu des moments où j’ai été très touché, très ému et ce n’était pas juste de l’euphorie un peu émotionnelle. C’était vraiment sentir qu’un peuple était dans la joie.
Vous avez accompagné le pape toute la journée, que vous a dit le pape sur la Corse et sur sa visite ?
Le pape était heureux. Il l’a dit à la fin de la messe, je crois que ce n’est pas une banalité de dire : “Je me suis senti chez moi.” Donc il était à l’aise, il y avait une atmosphère de famille. Il y avait une simplicité et en même temps une intensité, une densité, dans la manière d’être avec les autres.
Le pape a une belle intelligence relationnelle, ce contact avec les personnes, avec les enfants, avec les bébés, avec les personnes âgées, avec le milieu politique et le milieu économique, c’est une manière de dire le pape est un pasteur au service de tous. Pas d’une élite, pas de certains, il n’y a pas de sectarisme dans l’Église, on est ouvert à tous et le pape l’a bien montré.
Est-ce qu’il s’est senti chez lui, parce que comme il l’a dit, les Corses peuvent être un exemple dans leur façon de vivre leur foi, la religion, la laïcité aussi ?
On a entendu dans vos reportages qu’en Corse, il y a quelque chose de paisible. Le danger de la laïcité, la laïcité est importante pour la société, mais le danger, c’est qu’elle est idéologisée. Elle doit être un idéal.
Ici, en Corse, la laïcité est un idéal, on la vit avec beaucoup de sérénité, beaucoup d’intelligence et d’une manière paisible et cela peut s’exporter aussi à l’extérieur.
Le pape dessine, malgré tout, des lignes rouges, on parlait de superstition, de folklore de communautarisme, de risque d’exclusion pour des motifs religieux. Vous le suivez sur ces points ? D’autant que l’on voit apparaître ce type de phénomènes en Corse en périphérie des cérémonies religieuses.
Quand on énonce un principe vital où idéal important, on doit dire aussi le type de dangers qui vont avec. Le pape, c’est son devoir aussi, ce n’est pas de condamner, mais de dire attention il y a des points de vigilance.
L’idéal chrétien est magnifique, mais il peut y avoir des dérives par les idéologies. C’est important que le pape soit toujours cohérent et qu’il soit d’accord pour présenter une religiosité populaire libre et authentique.
Le pape est également un chef d’État, il y a donc une dimension politique à cette visite. Connaissons-nous la teneur et le ton de l’entretien entre le pape et le président de la République ? C’est la première fois qu’ils se revoyaient depuis la cérémonie de réouverture de Notre Dame de Paris.
Il y a eu deux moments, je n’ai pas assisté à ces deux moments. Le premier, de rencontre entre le Saint-Siège et l’État français et le second, plus personnel, où le pape et le président de la République ont échangé entre eux en privé.
Je ne sais pas exactement ce qu’ils ont dit, mais je pense qu’il est beau de respecter aussi ce moment d’intimité, de mystère. Ils ont parlé dans la confiance et dans la liberté. Tous les deux sont très libres, donc ils ont dû se dire les choses de manière très claire et très libre.
C’est malgré tout le Vatican qui a choisi le lieu de cette rencontre, l’aéroport. Une zone neutre, difficile de ne pas y voir malgré tout un symbole de distance peut-être entre les deux hommes.
Pas nécessairement. C’est plutôt une question d’opportunité compte tenu de ce constat. Il y avait la messe, après la messe, le pape ne voulait pas rester et ne pouvait pas rester trop longtemps donc tout était étudié et le timing millimétré.
Donc le lieu le plus adapté que le président de la République et le pape ont souhaité pour échanger, c’était l’aéroport.
On attendait le pape sur certains sujets comme les migrants, la lutte contre la mafia. Pourquoi ces sujets n’ont-ils pas été évoqués ?
Le pape doit parler à un peuple précis. Et il s’est déplacé pour un sujet précis. Beaucoup de personnes l’attendaient sur certains domaines, par rapport à la mafia, il a été clair quand il a parlé en Sicile, son discours n’a pas changé.
Par rapport à la responsabilité politique, il a été clair dans tous ses discours. Son magistère est public et il le dit depuis longtemps. Il n’y a pas eu de changement. Puisqu’il est venu pour un sujet précis, il faut tenir compte de tout ce qu’il a dit sur l’euthanasie, l’avortement, la mafia depuis longtemps.
Il est cohérent avec son magistère. Mais il ne pouvait pas tout dire lors de cette rencontre. Il a ouvert une dimension nouvelle, la laïcité apaisée. Je trouve qu’il est intéressant aussi d’ajouter un élément important dans son magistère.
L'entretien en intégralité :