La ministre de la transition écologique Barbara Pompili a confirmé, ce 23 février, que la future centrale du Ricanto à Ajaccio, fonctionnera au biodiesel plutôt qu'au gaz naturel, comme initialement prévu. Un changement de carburant qui pourrait encore plus retarder les travaux, estime la CGT Energie, qui redoute un futur "black-out" en Corse.
Une "énième tergiversation du gouvernement". Pour Xavier Nesa, secrétaire général de la CGT Energie, la confirmation par la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, le 23 février dernier, que la future centrale électrique d'Ajaccio fonctionnera aux biocarburants pourrait impliquer un nouveau "point de blocage à la construction de la centrale".
Adopté en 2015, dans une feuille de route corédigée par l'Etat et la Collectivité de Corse, la centrale du Ricanto devait initialement sortir de terre en 2023. Un horizon depuis revu à jour, du fait notamment des divers changements technologiques. Au grand dam de la CGT Energie. "Cette centrale, elle devait déjà être inaugurée en 2012. Là, on arrive en 2022 et on n'en a toujours pas posé la première pierre."
Le principal problème, indique Xavier Nesa, n'est pas tant le changement de carburant pour alimenter la centrale. Mais plutôt les diverses études qui devront être réalisées pour déterminer l'effectivité et la possibilité d'utilisation des biocarburants, résultant en un nouveau frein dans le lancement des travaux. "Chaque jour qu'on passe à rediscuter des plans, ce sont des jours perdus de construction", soupire-t-il.
Et le temps presse : à en croire la CGT Energie, la Corse serait aujourd'hui en "risque industriel". "En ce moment, il fait beau, nous ne sommes donc pas en difficulté, car les demandes en énergie restent contrôlées. Mais il ne pleut pas non plus, donc les barrages hydroélectriques ne sont pas remplis. Si demain, les températures viennent à chuter, ce qui donnerait lieu à des pics de consommation, on a peur de se retrouver dans une situation de clash énergique".
La crainte d'un prochain black-out
Au risque, souffle Xavier Nesa, d'un scénario catastrophe, comme en février-mars 2005, au cours desquels les Corses avaient dû faire face à des coupures d'électricité généralisées, durant parfois plusieurs heures, et durant une vingtaine de jours. En cause, selon les services EDF, des carences de livraison de fioul domestique, et le niveau très bas des barrages hydroélectriques de l’île. En pleine vague de froid, des groupes électrogènes avaient dû être importés d’Ecosse, des Pays-Bas ou encore de Grèce.
"Je pense que les gens ne se rendent pas compte de la possible catastrophe qui se prépare, reprend Xavier Nesa. Tant qu'ils appuient sur le bouton de l'interrupteur et l'électricité arrive, ils se disent que ça ira. C'est quand la lumière ne s'allumera plus qu'on va se poser des questions. Il y a cette idée que nous crions au loup, mais ce n'est pas vrai. Si on en fait rien, on risque de foncer droit dans le mur."
Un biocarburant jugé trop polluant
Si la CGT Energie ne s'exprime pas sur le choix du biocarburant pour alimenter la future centrale, estimant "ne pas avoir à statuer dessus", en Corse, les voix sont nombreuses à décrier son potentiel usage.
L'association de défense de l'environnement Sentinella dénonce des futures pollutions : "Lorsqu'on parle de biocarburant, il faut savoir que ça n'a rien de bio, souffle Dominique Lanfranchi, son porte-parole. Parce que ce qui est prévu, c'est un carburant qui est une huile, à base de colza probablement, mais aussi de graisse animale et d'huiles usagées. Et ça pollue autant que l'huile diesel."
L'association favorise le gaz naturel, qui avait été voté dans la programmation pluriannuelle de l’énergie de mars 2015. Même son de cloche du côté de l'Assemblée de Corse, par la voix de Julien Paolini, en charge de l'agence d'aménagement durable, d'urbanisme et d'énergie. Le conseiller exécutif pointe dans ce dossier la responsabilité de l'Etat, en charge de l'appel d'offre, "lancé en février 2020, et on apprend seulement en février 2022, c'est à dire deux ans plus tard, qu'il est infructueux, sans nous donner aucun élément des raisons de cet échec". Le conseiller exécutif souhaite désormais la tenue prochaine d'un conseil de l'énergie et du climat réunissant tous les acteurs.
Depuis 1972, il y a une centrale qui fonctionne au fioul lourd sur ma ville, je ne l'accepte pas, et je veux qu'on soit sur une transition dans la matière.
Laurent Marcangeli, maire d'Ajaccio
Également opposé à l'usage du biocarburant, le maire d'Ajaccio, Laurent Marcangeli, évoque lui d'autres options. Comme celle, déjà envisagée, d'un gazoduc entre Lucciana et Ajaccio. Plus généralement, le maire appelle à la mise en route d'une réelle alternative à la centrale au fioul du Vazzio, qu'il "n'accepte plus". "Moi, j'aimerais bien qu'on apporte une solution qui soit celle qui avait été choisie [le gaz naturel, ndlr], et qu'on tranquillise la population. Depuis 1972, il y a une centrale qui fonctionne au fioul lourd sur ma ville, je ne l'accepte pas, et je veux qu'on soit sur une transition dans la matière."
Gaz naturel ou biocarburant, la mise en service définitive de la future centrale du Ricanto ne devrait pas intervenir avant au moins 2027.