La Provence et Corse Matin annoncent sur leurs sites, le 8 Février, que « le tribunal de commerce de Marseille s'apprête à ordonner à Corsica Maritima de suspendre sans plus attendre sa ligne Bastia-Marseille ouverte début janvier. »
C’est une confirmation des informations diffusée sur France 3 Corse dès le vendredi 5 Février, dans le journal télévisé Corsica Sera et complétées sur ce site.La Corsica Linea a-t-elle réellement le droit de transporter du fret entre Marseille et Bastia ? On pensait que oui mais un document du tribunal de commerce de Marseille pourrait remettre en question cette certitude.
La Corsica Linea a-t-elle le droit de naviguer entre Marseille et Bastia ? On pensait que le problème était réglé de façon positive. Un document du tribunal de commerce de Marseille semble remettre en question la légalité, ou du moins la légitimité de cette ligne. L’intersyndicale de la MCM (ex-SNCM) demande au tribunal de faire " cesser la ligne ".
Mais cette information ne fait que mettre en relief la gestion pour le moins surprenante du dossier maritime. Aujourd’hui, la SNCM n’existe plus depuis le 5 Janvier et déjà la compagnie qui la remplace est menacée de liquidation judicaire. Le projet de " compagnie régionale " lancé par la Collectivité Territoriale de Corse ne réglera, s’il voit le jour, qu’une partie du problème économique et social.
Depuis le 5 janvier, le cargo Stena Carrier, de la Corsica Linea, effectue trois rotations par semaine entre Bastia et Marseille. Cette ligne ouvre le jour de la reprise officielle de l’ex-SNCM, devenue MCM, par le groupe Rocca Transports. La première rotation de ce navire avait été bloquée, un temps, par des syndicalistes de l’ex-SNCM. La Justice avait demandé aux syndicats de débloquer la navigation, sous peine d’amende. Forts de l’avis de l’administration maritime, les élus de l’Exécutif de Corse ont estimé que l’ouverture de la ligne était tout à fait légale. Le 9 janvier, le Stena Carrier reprend ses rotations.
Mais le jeudi 4 février, le journal en ligne, Le Marin que l’on peut lire ici, annonçait que " Corsica Línea " s’est lancé malgré une clause de non-concurrence ". Le document que France 3 Corse s’est procuré, est un " engagement de confidentialité " en treize points, signé par les quatre candidats à la reprise de la SNCM en date du 28 Novembre 2015.
Le document est à l’en-tête des deux Administrateurs Judiciaires en charge de la vente de la compagnie. La SNCM est donc désignée sous le terme " d’administrée ". A l’article 8, on peut lire, notamment, que les quatre candidats ne doivent pas "… solliciter ou offrir des services pour votre compte aux clients de notre administrée ". Cette clause engage les signataires pour six mois.
Pourtant, dès le 5 janvier, Corsica Linea transporte des remorques de sociétés qui appartiennent aux actionnaires du Consortium Corsica Maritima. C’était précédemment, des clients de la …. SNCM.
De plus, l’article 8 de ce même document rappelle aux signataires : " vous reconnaissez que la violation de vos obligations pourrait porter un préjudice lourd à notre administrée ". De fait, la ligne de la Corsica Linea va se faire au détriment des deux opérateurs déjà en place, La Méridionale et l’ex-SNCM. En peu de temps, les deux compagnies " historiques " perdent leurs clients, qui sont souvent des actionnaires de… Corsica Maritima. Dans ces conditions le groupe Rocca qui a repris la SNCM ne peut plus suivre. Il faut savoir que Patrick Rocca n’est toujours pas propriétaire des navires, ils appartiennent toujours au liquidateur du tribunal.
Qu’est ce qui a changé ?
Le 20 novembre, le tribunal de commerce de Marseille attribue la compagnie au groupe Rocca Transports. Ce dernier était en concurrence avec trois autres candidats. Le tribunal a mis quasiment un an à rendre un jugement définitif. Le dossier de reprise connaîtra de nombreux rebondissement : changement de candidats et jugements " d’étapes ". A travers ses différents jugements, le tribunal dresse un constat accablant. Aucun des candidats n’a les moyens de ses ambitions, ni sur le plan social, ni sur le plan financier. Finalement, le 20 novembre 2015, le tribunal de commerce de Marseille désigne un repreneur, c’est le groupe Rocca Transport. Mais déjà, l’on découvre que c’est un choix par défaut. On peut lire le jugement définitif ici.
Une concurrence " mortifère ", un dossier biaisé
L’intersyndicale de la MCM (ex SCNM), à l’exception du STC, parle d’une " concurrence mortifère " dans un courrier envoyé le 5 février aux Administrateurs Judiciaires. Les syndicats demandent aux AJ " d’engager toutes les poursuites juridiques et judiciaires (…) pour faire cesser la ligne pur fret Marseille-Bastia ". Il n’est pas sûr que l’intersyndicale soit entendue. De plus, certains observateurs estiment que l’objectif recherché par les initiateurs de la ligne est déjà atteint. On peut lire le courrier de l’intersyndicale ci-dessous.
Le silence des intéressés
Le document " confidentiel " signé par tous les candidats était, par définition, connu des signataires, du tribunal et donc des services de l’État. Pourtant personne n’a bougé, avant l’ouverture de la ligne :
-Corsica Maritima (initiateur de la Corsica Linea) a débuté les rotations en toute connaissance de cause.
-Le tribunal de Marseille n’a rien dit. Le procureur de Marseille connaissait parfaitement la clause n° 8. Les services de l’État ont même donné un avis positif au moment de la grève.
-Le repreneur, la MCM n’a pas soulevé ce point. Pourtant, il savait parfaitement quelles seraient les conséquences d’une concurrence, qui plus est " non réglementaire ".
Un connaisseur du dossier parle de ' conjuration du silence ".
La question est : pourquoi ?
Une reprise impossible ?
Quand Patrick Rocca reprend la compagnie, début janvier, il sait déjà que les conditions du marché ont changé. Son offre de novembre repose sur la perspective d’un service public subventionné sur toutes les lignes entre Marseille et la Corse. Ce service doit débuter, normalement, en Octobre 2016. En décembre 2015, la donne n’est plus la même. La nouvelle majorité nationaliste élue à l’assemblée de Corse veut appliquer son programme :
-Il y aura moins de subventions sur le futur service public.
-Un projet de " compagnie régionale " sous forme de SEML (Société d’Economie Mixte Locale) est lancé.
Toujours pas propriétaire des navires (voir plus haut) et assuré de toucher moins de subventions, le repreneur voit moins d’intérêt à défendre " sa " compagnie dans ces conditions.
Plus surprenant, le silence de l’État s’explique quand même. Sur le plan politique, il laisse la CTC (Collectivité Territoriale de Corse) gérer le dossier à sa manière. Quitte à intervenir " en dernier rideau ".
Actuellement, sur ce dossier, l’Exécutif de Corse discute plus avec la Commission Européenne qu’avec l’État.
Une « compagnie régionale » en gestation
La forme juridique définitive de cette entité n’est pas encore définitive. En gros, les deux termes de l’alternative sont les suivants :
-Une SPL (Société Publique Locale). La CTC serait entièrement propriétaire. Cette version s’approche du souhait du STC-marins de lancer une " compagnie régionale publique ".
L’avantage de cette formule est que la CTC ne serait pas obligée de lancer un appel d’offres européen. La SPL aurait la certitude d’avoir le marché. L’inconvénient, c’est que la CTC n’a pas d’argent. Comment devenir, tout seul, propriétaire d’une flotte qui coûte une fortune ?
-Une SEML (Société d’Économie Mixte Locale). La CTC y détiendrait un minimum de 51%, elle serait associée à des partenaires privés. Comment se ferait l’opération de reprise des actifs navals (la flotte) de la MCM ? Pour l’instant, rien n’est encore établi. L’avantage serait une plus grande souplesse financière. Encore que des interrogations demeurent :
Vu que les actionnaires privés insulaires, actuellement intéressés, n’ont pas une énorme trésorerie (voir jugement du tribunal, plus haut), vu que la CTC ne roule pas sur l’or, comment boucler le tour de table d’une SEML ?
C’est là que l’on pourrait reparler de l’État dans les prochains jours.
Il reste un obstacle, la SEML sera obligée de passer par une mise en concurrence à travers un appel d’offres.
Le danger est limité, car il n’est pas sur qu’il y ait de candidats sérieux sur les rangs. Mais alors, certains pourraient considérer que le futur appel d’offres sera construit " aux petits oignons "pour la SEML. Pour l’instant on n’en est pas encore là.
En tout cas, quelle que soit la forme juridique d’une " compagnie régionale ", elle aura une activité limitée et un personnel plus réduit que la MCM, qui et déjà une version réduite de la SNCM. Aujourd’hui le marché maritime corse est dominé par la Corsica Ferries France (CFF) qui transporte 83% des passagers entre la Corse et le continent français.
Demain, CFF pourrait accentuer sa position dominante avec une " compagnie régionale " à l’activité forcement limitée.
En tout cas, il faut rappeler que les actionnaires de la défunte SNCM (Transdev et l’État) avaient motivé la mise en redressement judiciaire de la compagnie par ces termes : " c’est le moyen de sauver la compagnie ".
Pour l’instant le bilan ressemble à un gâchis.
Retrouvez le reportage d'Alain Verdi à ce sujet ci-dessous :
Un reportage d'Alain Verdi.
Et son intervention en plateau dans le JT 19/20 de vendredi 5 février, ci-après :
Une intervention d'Alain Verdi dans le Corsica Sera du 5 février.