Le procès en appel d’Antony Perrino, Pascal Porri, et Valérie Mouren pour des faits d’abus de biens sociaux et recel d’abus de biens sociaux s’est tenu ce mercredi 5 janvier. L’avocate générale a requis la confirmation des peines de première instance. Le délibéré est attendu le 16 mars.
Antony Perrino, magnat ajaccien de l’immobilier, a-t-il volontairement loué un appartement à un tarif "très largement inférieur au prix du marché" à Pascal Porri, membre présumé de la bande du "Petit Bar" et Valérie Mouren ?
C’est la question à laquelle la cour d’appel de Bastia s’est attelée à répondre, ce mercredi 5 janvier. Dans cette affaire, la justice s’intéresse à la location d’un appartement de standing, situé sur le front de mer ajaccien, résidence Albert 1er, quartier Trottel, dans un immeuble détenu par la société d’Antony Perrino.
Un tarif "très largement inférieur au prix du marché"
Un logement d’une superficie de 197m2 avec deux terrasses selon le bail de location, et de 162m2 selon la loi carrez, loué d’août 2016 à mars 2019 à raison de 1500 euros par mois à Valérie Mouren. Cette dernière y a habité avec son époux, Pascal Porri, et leurs deux enfants.
Problème, ce tarif est en deçà des prix observés au sein de la cité impériale : une première estimation l’a ainsi évalué à 2750 euros par mois, 2125 euros par mois selon France Domaine, rappelle la présidente de la cour, Véronique Maugendre.
Plus encore, relève-t-elle, aucun dépôt de garantie n’a été demandé aux locataires, et sur les 30 mois durant lesquels le couple a occupé le logement, il ne leur a jamais été réclamé de payer des charges. Enfin, les 3 premiers mois de location auraient été "offerts" sans justifications.
Au total, conclut la présidente, le préjudice pour la société dirigée par Antony Perrino est estimé à 46.700 euros. "C’est sur la base de ces éléments que monsieur Perrino est poursuivi" pour abus de biens sociaux, tranche Véronique Maugendre.
"Les expertises qui ont été menées n’ont aucun sens"
Des accusations dont se défend fermement le concerné : à la tête d’une soixantaine de sociétés, il indique ne pas être en mesure de suivre avec précision l’ensemble des biens qu’il met à la location.
Pour autant, assure-t-il, le prix du loyer n’a pas été aussi amoindri que les expertises semblent l’indiquer : le bien, poursuit-il, devait être loué pour 1700 euros. "Compte tenu d’une situation de chantier dans l’immeuble, j’ai arrondi en dessous, ce qui arrive à 1500 euros. Qu’on me dise, vous avez enlevé 250, 300 euros, je veux bien l’entendre. Mais pas plus. Les expertises qui ont été menées n’ont aucun sens."
Le non-paiement des charges, continue Antony Perrino, "c’est une erreur, un oubli" de sa part. Pour autant, le montant dû a depuis été versée dans son intégralité par les locataires, et ce peu après la garde à vue de Valérie Mouren dans cette affaire, en 2019, souligne-t-il.
C’est du commerce de louer un appartement, et des fois, on n’applique pas forcément des choses parce qu’on a un bon feeling avec le client.
"L’absence de dépôt de garantie, c’était aussi une erreur ?", l’interroge la présidente. "Non, c’était un choix personnel, reprend l’entrepreneur. Ce n’est pas une obligation légale, c’est une mesure pour se couvrir d’un défaut de paiement. C’est du commerce de louer un appartement, et des fois, on n’applique pas forcément des choses parce qu’on a un bon feeling avec le client."
Quant aux trois premiers mois de location décomptés, "ce sont des franchises de loyer qui sont étayées par des faits de chantier", insiste-t-il. L’appartement, décrit-il, souffrait ainsi de plusieurs "défauts". Des problèmes dont ni les locataires ni le propriétaire n’avaient connaissance avant l’emménagement de la famille, et qui ont nécessité plusieurs mois de travaux, clame-t-on collectivement du côté de la Défense.
"En apparence, il semblait habitable, mais il y avait plein de petits soucis"
"J’ai commencé à louer l’appartement en août, mais en réalité, je n’y ai quasiment pas habité les trois premiers mois, détaille Valérie Mouren à la barre. En l’apparence, avant d’emménager, il semblait habitable, mais il y avait plein de petits soucis. On avait des gens pour les chantiers qui étaient sur notre terrasse, presque comme s’ils étaient dans l’appartement, tous les jours. Ce n’était pas possible."
"Mais vous n’avez pas visité l’appartement avant d’emménager ?", s’étonne Catherine Levy, l’avocate générale, peu convaincue. "Si, en juin, deux mois avant", répond Valérie Mouren. "Et vous n’avez pas vu à ce moment-là qu’il n’était pas habitable ?" "Non, je n’ai pas vu les problèmes. Je n’ai pas pris de douche lors de la visite pour vérifier l’étanchéité, rien de tout cela".
Je vendais mon appartement, et j’avais besoin d’un logement de transition. J’en ai parlé à Antony Perrino, et il m’a montré cet appartement qu’il comptait garder pour lui, mais qu’il voulait bien me louer pour quelque temps.
Accusée, comme son époux, de recel d’abus de biens sociaux et blanchiment de fraude fiscale, cette mère de deux enfants, directrice adjointe à la Chambre de commerce et d’industrie de Corse, nie catégoriquement les faits qui lui sont reprochés. "Je vendais mon appartement, et j’avais besoin d’un logement de transition. J’en ai parlé à Antony Perrino, et il m’a montré cet appartement qu’il comptait garder pour lui, mais qu’il voulait bien me louer pour quelque temps."
"On nous a demandé de payer un loyer, on l’a payé"
Les 1500 euros de loyer, poursuit-elle, "je pensais que c’était charges comprises. Comme on ne me les a jamais réclamées, c’est ce que j’en avais déduit. Mais si on m’avait demandé de payer des charges, je l’aurais fait."
Un discours confirmé par Pascal Porri. "On nous a demandé de payer un loyer, on l’a payé. On nous a dit que c’était tant, on a payé tant", résume-t-il, avant de poursuivre : "Je pensais qu’on se retrouvait devant vous (les instances de justice, ndlr) quand on ne payait pas les loyers, pas quand on les paye."
Lui est le seul des trois prévenus à ne pas comparaître libre. Présenté par les services d’enquête comme l’un des principaux acteurs du gang dit du "Petit Bar", le quarantenaire, interpellé en septembre 2021 à Porto-Vecchio après près d'un an de fuite, est mis en examen dans deux dossiers de la JIRS de Marseille - portant sur la tentative d’assassinat contre Guy Orsoni et le système de financement de la bande du Petit Bar -, et est placé en détention provisoire.
Amende et peines de prison requises
Pour l’avocate générale, les justifications des prévenus demeurent insuffisantes, et les explications fournies aux divers questionnements soulevés par l’enquête inconsistantes. "On a ici un locataire à qui on fait des cadeaux, un loyer bas, sans aucune contrainte et avec beaucoup de bienveillance. Les charges ne sont pas réclamées. On peut se demander quelle est la contrepartie de ses actes", indique Catherine Levy.
"Monsieur Perrino, vous êtes un actionnaire, vous connaissez la valeur du marché. Je pense que vous n’êtes pas quelqu’un qui solde les choses. Vous êtes un professionnel, vous connaissez les prix", souligne-t-elle.
Il est incontestable que vous tirez profit de cette location avantageuse et de cette remise de loyer qui n’a aucun fondement.
"Madame Mouren, vous êtes une femme intelligente, vous savez quand vous prenez cet appartement ce que vous signez et ce que vous faites. Les déclarations que vous avez faites à la barre, c’est votre défense, mais elles ne peuvent pas être crédibles. Il est incontestable que vous tirez profit de cette location avantageuse et de cette remise de loyer qui n’a aucun fondement, que vous aviez forcément connaissance du fait que vous louiez un appartement pour un prix inférieur au prix normal."
Conclusion similaire pour Pascal Porri, termine l’avocate générale, qui requiert, dans ce cadre, "la confirmation du jugement de première instance en toutes ses dispositions", à savoir la condamnation d’une amende de 15.000 euros pour Antony Perrino, une peine de seize mois d’emprisonnement pour Pascal Porri, et six mois de prison avec sursis pour Valérie Mouren.
"La relaxe s’impose dans ce dossier"
La Défense plaide unanimement la relaxe. "On est en train de reprocher à Antony Perrino d’avoir loué son appartement pas assez cher, et dans des proportions ridicules, 10 à 14% de moins. Ce n’est pas sérieux de dire que cela est largement inférieur au prix du marché !", s’offusque Me Jean-Paul Petreschi, conseil du promotteur immobilier. "S’il n’avait pas loué son appartement, il aurait pu rester tranquille."
Même diagnostic pour Me Julien Pinelli, également conseil d’Antony Perrino, qui estime que dans cette affaire, on essaye avant tout de relier son client à Pascal Porri, et donc à de possibles activités de grand banditisme.
Me Lia Simoni, avocate de Valérie Mouren, a elle insisté sur le profil de sa cliente "mère de deux enfants, sous-directrice de la CCI, et au casier judiciaire vierge qu’on a tenté d’émailler dans le cadre de cette affaire, en première instance au tribunal correctionnel d’Ajaccio. Une condamnation pourrait avoir des conséquences terribles sur son avenir professionnel".
C’est un dossier pitoyable qui prend ses sources dans une enquête lamentable, poisseuse.
Me Emmanuel Molina, conseil de Pascal Porri, s’est enfin inquiété "qu’on puisse encore piétiner la présomption d’innocence, ignorer la charge de la preuve".
"C’est un dossier pitoyable qui prend ses sources dans une enquête lamentable, poisseuse", soupire-t-il, s’adressant à l’avocate générale : "Vos réquisitions sont à l’image du jugement rendu en première instance. Vous avez succombé à l’ivresse judiciaire, à l’hubris judiciaire. La justice telle qu’elle a été vendue en première instance est un monument d’indignité. La relaxe s’impose dans ce dossier qui n’aurait jamais dû donner lieu à des poursuites", pointant, lui aussi, l'ombre du "Petit Bar" dans le jugement de cette affaire.
Le délibéré est attendu le 16 mars prochain.