Le projet d'un centre d'enfouissement des déchets à Ghjuncaghju porte-t-il atteinte à la législation européenne aux directives sur l'eau, la conservation des habitats naturels et la santé publique ? L'association Tavignanu Vivu a saisi le Parlement européen sur ces questions par le biais d'une pétition. Le retour de la commission européenne est attendu fin février.
La suite d'un feuilleton engagé depuis maintenant neuf ans. Depuis le 28 septembre 2015, et le dépôt par la société Oriente Environnement d'une demande d'exploitation dans la basse vallée du Tavignanu, l'idée d'un centre d'enfouissement des déchets sur le site de Ghjuncaghju engendre de vives contestations.
En tête de lutte, l'association Tavignanu Vivu. Pour ses membres, le site, qui s'installerait sur 16 hectares, et accueillerait 70.000 tonnes de déchets et un dépôt amiantifère, aurait des conséquences néfastes, tant pour l'environnement que pour la santé publique.
Créé en janvier 2016, le collectif, désormais fort d'autours de 215 adhérents, multiplie ainsi les actions en opposition à ce projet. Dernière en date : la saisie du Parlement européen par le biais d'une pétition, en fin d'année dernière.
L'objectif, mobiliser l'institution européenne, afin "d'alerter sur les illégalités et incohérences de l'autorisation du projet, en méconnaissance des normes européennes qui gouvernement le droit des déchets, le droit de l'eau, la protection de la biodiversité et la santé des populations", indique le collectif.
Bataille judiciaire
La pétition rappelle ainsi que le projet "prévoit le stockage de plus de 2 millions de tonnes de déchets ménagers et assimilés non dangereux et de 1,3 million de tonnes de déchets d’amiante sur une période de trente ans", ainsi que "la création d’une carrière et d’une plateforme de transit des déchets avec lavage des sols pour un volume total de près de 3 millions de m³."
Ceci alors que le cours inférieur du Tavignanu "est inscrit sur la liste des sites Natura 2000 et qu’il s’agit d’une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et de floristique."
Plus encore, le collectif y rappelle que l'alors préfet de Haute-Corse, François Ravier, avait dans un premier temps refusé d'accorder son autorisation pour le dit projet. Saisi, le tribunal administratif de Bastia avait annulé cette décision, et lui avait alors demandé "d’élaborer des spécifications techniques pour l’autorisation conformément au droit de l’environnement". Une décision par la suite confirmée par la cour administrative d'appel puis par le Conseil d'Etat.
Le préfet avait à la suite pris un arrêté fixant des prescriptions réglementaires environnementales. Un document contesté par la société porteuse de projet, Oriente Environnement, puis en partie annulé en 2022 par le tribunal administratif de Bastia. Une décision pour laquelle le ministère de la transition écologique et l'association Tavignanu Vivu ont fait appel. L'affaire est désormais pendante devant la cour administrative d'appel.
La nécessité "de se conformer au droit de l'Union"
Pour le collectif, "en ne prenant pas toutes les mesures en son pouvoir pour s’opposer à un projet qui aura de graves conséquences environnementales et sanitaires pour la région, la France a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union."
Dans ce cadre, Tavignanu Vivu demande au Parlement européen de reconnaître "les manquements de la France dans la procédure d’octroi de l’autorisation, [...] que la France a enfreint un certain nombre de directives en autorisant la réalisation du projet, [...] que le projet lui-même est contraire aux objectifs de l’Union en matière de santé, d’agriculture et de protection de la biodiversité". Et enfin, "de rappeler à la France la nécessité de se conformer au droit de l’Union en annulant la décision de la préfecture".
Une pétition examinée d'urgence
Examiné par la commission des pétitions le 29 novembre 2023, le texte a été déclaré recevable, permettant ainsi sa publication sur le site du Parlement européen, et confirmant, estime Tavignanu Vivu, "le caractère flagrant des manquements et incohérences de la procédure française, notamment eu égard aux obligations de respect de l'environnement incombant aux Etats."
À 19h, ce mardi 20 février, la pétition recueillait 22 signatures de soutien. Un nombre de signatures qui n'influe pas sur le traitement de cette dernière par la commission des pétitions du Parlement européen, qui indique fonder son examen et sa décision sur le fond de la pétition, et ce quel que soit le nombre de signatures ou de personnes la soutenant.
Le caractère flagrant des manquements et incohérences de la procédure française, notamment eu égard aux obligations de respect de l'environnement incombant aux Etats.
Depuis la fin novembre, la commission des pétitions a demandé à l'exécutif européen "d'enquêter" sur cette affaire, annonce Marie-Dominique Loÿe, dépositaire de la pétition, et membre du collectif Tavignanu Vivu.
La navette judiciaire étant toujours en cours, et en l'attente de la décision de la cour d'appel administrative, la société Oriente Environnement reste pour l'heure bloquée et interdite de mettre à bien son projet. "Étant donné qu'il y a toujours une menace pendante, on préférait quand même faire examiner cette pétition en urgence".
Une demande à laquelle a accédé la commission européenne, se félicite-t-elle : "Habituellement, cela prend plutôt six mois, un an, à être examiné." Le résultat de l'enquête de la commission européenne est attendu par rapport écrit le 29 février. L'exécutif européen pourrait décider que le projet porte atteinte aux législations, et en demander sa révision.
Rapport attendu
Quoi qu'il ressorte de ce rapport, la pétition n'a pas d'effet légalement contraignant. Pour autant, cela "met la pression sur l'Etat français pour qu'il continue à maintenir sa position, reprend Marie-Dominique Loÿe. À l’heure actuelle, la seule porte de sortie de ce dossier pourri, c'est la dérogation espèces protégée. Donc on espère que l'Etat garde cette position."
Contacté, le président de la société Oriente Environnement se dit indifférent à cette enquête, qui concerne surtout les services de l'Etat. Il indique attendre la mi-mars, et la décision de la cour administrative d'appel dans ce dossier.