En Corse, les collectifs anti-mafia espèrent une prise de position du pape sur les organisations criminelles. Depuis son élection, le pape François ne cesse de multiplier les actes forts contre la mafia.
Le pape aura-t-il un mot sur l’emprise mafieuse en Corse ? C’est l’espoir des associations anti-mafia. Dans une lettre envoyée au cardinal Bustillo, le porte-parole du collectif Massimu Susini demande une audience au Saint-Père.
“Si c’est un moment historique que nous vivons en Corse, nous pensons aussi que nous sommes à un tournant notamment par rapport à l’infiltration mafieuse de l’ensemble de la société et il est urgent qu’une autorité morale, spirituelle, comme le pape prenne position comme il l’a fait en Italie, soutient Jean-Toussaint Plasenzotti. Non pas pour dissuader les mafieux d’être des criminels, mais pour que la société puisse avoir des repères moraux et éthiques.”
Dans une lettre publique adressée à Sa Sainteté, le collectif A Maffia no, A vita iè attend que le pape se positionne sans concession contre “la lèpre mafieuse”.
“Nous lui disons que beaucoup de familles ont été frappées, explique Vincent Carlotti, porte-parole du collectif. Il y a des centaines de disparus, de morts, d’orphelins et ça ne peut pas durer. Le pape étant une personnalité écoutée en Corse, je pense que s’il avait la possibilité de parler de ce problème, de l’évoquer, il ne s’agit pas qu’il en fasse de grands discours, ça fera progresser le combat que nous menons. Un combat dont nous espérons que l’Église de Corse viendra mener avec nous. Jusqu’à présent, on ne les a pas vus à nos côtés malheureusement.”
"La Ndrangheta c'est l'adoration du mal"
Les collectifs insulaires connaissent les positions du souverain pontife. Dans le sud de l'Italie, le pape a multiplié les paroles de condamnation contre les organisations criminelles.
En 2014, lors d’une messe mémorable à Cassano, en Calabre terre de la puissante mafia Ndrangheta, le pape François dénonce l’organisation devant 100.000 personnes. Jamais un souverain pontife n’est allé aussi loin. “La Ndrangheta, c’est l’adoration du mal et le mépris du bien commun. Ce mal doit être connu, chassé”, déclare-t-il.
Devant la foule, il va plus loin et décide de chasser les criminels de l’Église. “Ceux qui dans leur vie ont choisi une vie du mal, comme les mafieux, ne sont pas en communion avec Dieu. Ils sont excommuniés.”
Excommunier les mafieux, le châtiment suprême. “Il considère que les mafieux ne font plus partie de la communauté catholique et concrètement, ils n’ont plus le droit d’être enterrés religieusement, explique Loup Desmond de Senneville, rédacteur en chef adjoint du journal La Croix. C’est une annonce symbolique, parce que c’est une mesure qui est très difficile à mettre en œuvre concrètement que les évêques, les prêtres de la région vont avoir à mettre en œuvre. Mais c’est d’abord un signal très fort de dire que l’on ne peut pas être catholique et mafieux. Ce n’est pas compatible.”
En Calabre, l’assassinat d’un enfant de 3 ans
Quelques mois plus tôt, à Cassano, un drame a bouleversé l’Italie. Le corps du petit Nicola Campolongo, trois ans, est retrouvé calciné dans une voiture.
“Ce gamin était le petit-fils de quelqu’un qui devait de la drogue à la mafia. Et cette personne, le grand-père, raconte Fabrice Rizzolli, spécialiste de la mafia italienne, pensait qu’il serait protégé en baladant son petit-fils sans arrêt avec lui. Ce n’est pas du tout ce qu’il s’est passé. Les mafieux ont tué le grand-père, sa compagne, et le gamin de trois ans. Le pape a donc vraiment voulu agir de manière très volontaire, en Calabre, dans un endroit où la mafia est extrêmement puissante et en défendant le concept de victimes innocentes. Personne ne doit mourir, à trois ans, lorsqu’on est sur un territoire en Italie. Là, le pape a vraiment eu un geste fort, symbolique, courageux, de se déplacer en Calabre et de soutenir les victimes innocentes de la mafia.”
Combattre la corruption, la violence, est une obsession du pape François. En 2015, à Naples, le Saint-Père condamne les organisations qui exploitent les pauvres et les défavorisés. “Comme un animal mort pue, la corruption pue. Et une société qui est corrompue empeste”, lance-t-il à la foule.
Un groupe de travail mystérieusement interrompu
En 2018, en Sicile, le pape rend homme à un prêtre assassiné. Puis en 2021, pendant le Covid, il accuse les organisations criminelles d’exploiter la pandémie. Le souverain pontife martèle : “Les mafieux ne sont pas des chrétiens.”
Afin de mettre en application l’excommunication des mafieux, le Vatican lance en 2021, un groupe de travail composé de juristes. Mais le projet est à l’arrêt depuis plusieurs mois.
“Le travail du Vatican sur la mafia a été suspendu de manière assez abrupte, reprend Loup Desmond de Senneville. Le Vatican n’a d’ailleurs jamais expliqué cette interruption. Il y a plusieurs hypothèses. L’une d’entre elles, c’est que de tels travaux sur la mafia menaçaient un certain nombre d’intérêts au sein même du Vatican. Le pape lutte contre la corruption de manière très forte, mais il reste un certain nombre de poches un peu obscures au sein du Vatican en termes de financements. Il y a donc eu des craintes internes qu’un discours trop clair sur la mafia et un discours trop concret d’un point de vue juridique sur la mafia menacent les intérêts internes au Vatican.”
En 1993, Jean-Paul II avait violemment condamné Cosa Nostra. Avec le pape François, les actes forts contre la mafia se sont multipliés.