Le procès du double homicide de Bastia-Poretta a repris ce lundi 27 mai aux assises des Bouches-du-Rhône, toujours sans la présence des accusés qui comparaissent détenus. Seul Jacques Mariani a demandé à ce que sa défense soit de nouveau représentée à l’audience. Des témoins de la fusillade du 5 décembre 2017 ont été auditionnés par la cour, ainsi qu’un expert en analyse numérique.
Un box vide, deux accusés – sur 14 – présents, quatre avocats de la défense et des bancs du public désertés, uniquement occupés par une poignée de jeunes avocats stagiaires.
Bloc-notes en main, ces étudiants en droit écoutent les débats du procès du double assassinat de Bastia-Poretta se poursuivre dans une atmosphère particulière : depuis la semaine dernière, les neuf accusés qui comparaissent détenus refusent toujours de se présenter face à la cour. Ils en ont fait de même ce lundi 27 mai. Sans leurs avocats, qu’ils ont récusés, ils continuent d’exprimer leur désaccord avec le refus des magistrats de ne pas avoir accédé à la demande de renvoi du procès formulée par leurs conseils.
Ces derniers déploraient que les "auditions des enquêteurs aient été reprogrammées cinq semaines après le début du procès, ce qui portait gravement atteinte au principe de l’oralité des débats, et privait de sens toutes les dépositions pouvant être recueillies jusqu’à cette comparution", avaient-ils indiqué dans un communiqué.
Ce lundi, sur le banc des accusés libres, seuls José Menconi et François Marchioni assistent à l’audience, impassibles. D’autres robes noires représentent également des personnes poursuivies qui ne sont pas dans la salle.
Si, le matin, la plupart des accusés détenus – dont les frères Guazzelli - ont été transférés vers le palais Monclar d’Aix-en-Provence, ils ne se sont pas rendus dans la salle d’audience, restant dans les geôles du tribunal. Ils en avaient fait de même la semaine dernière. Ce lundi, seul Jacques Mariani a refusé d’être extrait de sa cellule de la maison d’arrêt des Baumettes.
Poursuivi pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime", ce dernier a cependant écrit au président Jean-Yves Martorano : "Je vous annonce que je souhaite désigner mes trois avocats au soutien de ma défense", a-t-il rédigé dans un courrier daté du 27 mai, lu par le président devant la cour.
"Monsieur Mariani a fait le choix de demander à ses trois avocats de se représenter sur les bancs de la défense de cette cour d’assises", explique Maître Hedi Dakhlaoui, l’un des conseils de l’accusé qui "cumule 38 années de détention dont douze passés à l’isolement", dixit le pénaliste parisien. "Il m’a demandé de le représenter à cette audience, c’est la raison pour laquelle je suis là aujourd’hui."
Et le conseil de Jacques Mariani de s'adresser au président Martorano :
"Cette absence du box qui perdure aujourd’hui malgré la désignation de mon client n’est ni une provocation, ni une défiance, expose-t-il. Cette absence des enquêteurs en début d’audience porte préjudice à l’intégralité des accusés et des droits de la défense. Ma crainte est le sens de l’arrêt que vous rendrez si vous allez au bout de ces débats. Cet arrêt, il sentira un peu le soufre. Cette cour d’assises n’a pas de fenêtre, mais tout le monde vous voit et vous regarde rendre la justice dans ces conditions."
"La cour prend acte de cette désignation", fait savoir le président, rappelant avec son léger accent chantant du Sud-Ouest que "ce sont les accusés qui ont pris la décision de récuser l’ensemble de leurs défenseurs".
Témoins auditionnés
Après cet épisode épistolaire qui a ouvert une audience débutée avec deux heures de retard – notamment en raison de l’arrivée tardive d’une des escortes pénitentiaires -, plusieurs témoins de la fusillade du 5 décembre 2017 à l'aéroport de Poretta se sont succédé en fin de matinée.
Certains par visioconférence, d’autres à la barre, tous évoquent "plusieurs coups de feu". L’un indique "avoir cru à un attentat terroriste". "À la suite des événements en 2015 (à Paris, ndlr), j’avais ça en tête, raconte-t-il devant la cour. Je suis resté dans le sas, je n’ai pas vu grand-chose. J’ai entendu un coup de feu puis une série de coups de feu qui ont retenti derrière moi ; j’ai vu une personne courir sur le parking, j’ai vu la silhouette d’un homme avec une arme qui avait l’air d’être un fusil d’assaut. Je n’ai pas vu autre chose que ça."
Par visioconférence, une femme, autre témoin du double assassinat, se souvient de "bruits de mitraillette". "Je suis restée tétanisée un long moment, ça a continué de tirer", se remémore celle qui était sortie sur le parvis de l’aérogare fumer une cigarette. Par écrans interposés, elle dit se "rappeler que les deux victimes discutaient avec une femme brune, pendant 4-5 minutes".
"Ça a duré plusieurs secondes, plusieurs minutes ?", demande le président concernant la fusillade.
"Pas plus d’une minute, je ne pense pas", répond le témoin qui dit "ne plus se souvenir précisément" comment était vêtu le tireur. "Je ne sais plus. Moi, ce qui ma traumatisée, c’est le type allongé par terre."
"On peut le comprendre", conclut le président Martorano, après avoir présenté des photos des deux victimes – Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni - sur les trois écrans de la salle d’audience.
Conversations décryptées
Dans l’après-midi, un expert numérique a été appelé à déposer. Par visioconférence, l’homme d’une cinquantaine d’années, habillé d’une veste de costume beige sur une chemise blanche, est assis devant un ordinateur portable.
"Je suis chargé de mission et d’expertise dans ce dossier. J’ai examiné des ordinateurs, des téléphones et des tablettes", explique-t-il en préambule, d’un ton posé. Parmi ces téléphones, il y a les fameux BlackBerry PGP, pour Pretty good privacy. Réputés indéchiffrables et inviolables, ces smartphones avaient été "craqués" par les enquêteurs, leur permettant ainsi d'avoir accès aux conversations entre les membres supposés du commando de Poretta. Ces échanges sous forme de textos constituent la pièce maîtresse de l'accusation.
Le rapport de cet expert sur l'accès à ces messages a été versé au dossier. Certaines des conversations décryptées sur ces "téléphones classiques sur lesquels a été installé ce logiciel PGP chiffré" sont datées "du 5 au 12 décembre 2017", précise-t-il. Une époque où, selon lui, "il était très compliqué de casser les codes" permettant de "pénétrer les conversations". La technique consiste en effet à extraire le contenu de chaque message en faisant des captures d'écran, après avoir rentré un code.
"D’abord, j’ai été saisi pour des faits en rapport avec les stupéfiants", confie l'expert, faisant référence au trafic ayant, selon les services d’enquête, permis de financer l’opération du 5 décembre 2017.
"J’ai examiné sept téléphones, la plupart des téléphones chiffrés, des PGP qui fonctionnent avec des clés asymétriques. En 2017, c'est le must. On est alors aux prémices du contournement des codes sur les Blackberry", fait remarquer cet ancien gendarme qui indique que son "rôle est de rendre lisible les échanges". Selon son calcul, "il y en avait plus de 2000" dans ce dossier-là. Ce qui a nécessité de refaire le code autant de fois afin d'accéder à chaque message.
"On va vous garder un petit moment, c’est une expertise très importante", lui indique le président Martorano, qui s’intéresse, pour l’heure, davantage à l’analyse technique qu’à celle du contenu des textos. "Ce sera évoqué plus tard lors des débats", glisse-t-il.
"Clé publique", "clé privée", "administrateur", "logiciel", "carte SIM", "numéro IMEI". Les termes techniques s’enchaînent. Certains jurés prennent des notes. Des échanges de messages sont projetés sur les écrans. Le président en lit certains, mot pour mot.
"C’est un matériel qui rend étanche toutes conversations extérieures ?", demande-t-il à l’expert.
"Les PGP servent d’abord aux grandes entreprises à masquer leurs informations avec une clé privée et une clé publique." Et d’ajouter : "Avant 2017, il n’existait pas de moyens de pénétrer ces téléphones et d’entrer dans ces conversations".
L’audition de l’expert suscite dans un premier temps des questions de l’avocat général sur "l’utilisation classique de ce téléphone". "Est-il géolocalisable ?"
"Oui, tout à fait", répond le technicien numérique.
"Je l’évoque car ce sera un élément que l’on abordera plus tard dans ce dossier", précise le magistrat, ajoutant que l’un des téléphones saisis "comporte les contacts de certaines personnes mises en examen" dans cette procédure.
Je ne suis pas enquêteur, je suis technicien.
Expert informatique
Viennent ensuite les premières questions des - rares - avocats de la défense présents dans la salle. Me Caroline Karanchi, qui défend Chloé Castellana, s’interroge sur la manière "d’enregistrer les contacts associés aux numéros".
"Vous allez nommer la personne comme vous le voulez", fait savoir l’expert. Dans les échanges de messages lus par le président, toutes les personnes conversent derrière des pseudonymes.
Avocat de Jacques Mariani, Hedi Dakhlaoui s’approche du micro. "Pouvez-vous rappeler qui est susceptible d’utiliser cette technologie-là (celle du PGP, ndlr) ?"
"Je vois ces téléphones dans les dossiers criminels mais, évidemment, ils peuvent être également utilisés par des industriels qui souhaitent préserver leurs dossiers", souligne l’expert avant que Maître Adrien Milani prenne la parole.
Iphone en main, le conseil de Gaëlle Sker souhaite savoir si "un téléphone comme le [sien] se connecte à la data ?" "Oui, c’est le principe d’un smartphone", rétorque laconiquement le technicien, avant d’indiquer au pénaliste qu’il "ne peut répondre" à sa question suivante sur l’éventuelle utilisation "clandestine" de ces téléphones. "Je suis expert judiciaire en informatique, fait-il remarquer une première fois. Quand on rend le rapport d’expertise, c’est aux enquêteurs de dire ensuite à quoi servent ces téléphones. Je ne suis pas enquêteur, je suis technicien", insiste-t-il.
"L'enquêteur, je ne suis pas sûr de le voir", glisse dans un sourire Maître Milani.
Selon le calendrier d’audience, les services d’enquête ayant travaillé sur le contenu des échanges décryptés dans les téléphones PGP devraient être amenés à s’exprimer face à la cour à partir du 10 juin prochain.