Elles s'appellent Océane, Anaïs, Lina et Rachele. Elles ont subi des agressions sexuelles. En 2020, elles ont participé au mouvement #IwasCorsica pour enfin briser le silence. Devant les caméras de Lavinie Boffy, elles témoignent sur ces violences et sur le combat qu'elles ont mené pour se faire entendre.
Été 2020, le mouvement #IwasCorsica déferle sur la Corse. Ce "cri", d’une ampleur sans égale dans l’île, est l’expression de la libération de la parole de victimes d’agressions sexuelles. Que reste-t-il de ce combat ? Qui sont ces jeunes femmes qui ont osé briser le silence ? Dans le documentaire "#Iwas, le cri", la réalisatrice Lavinie Boffy a donné la parole à quatre d'entre elles.
"Je pleurais, c'était compréhensible sur mon visage. Je me rappelle qu'ils disaient ouais vas-y baise-la !"
Océane, 19 ansVictime de cyberharcélement et de viol
"Je pleurais, c'était compréhensible sur mon visage, je me rappelle qu'ils disaient vas-y baise-la ! ". Elle s’appelle Océane et a 19 ans. Depuis ses 13 ans, elle a subi du cyberharcèlement, des agressions sexuelles et un viol. Tout est parti d’une relation amoureuse classique d’adolescente. Lorsqu’un garçon plus âgé lui demande des photos dénudées et les diffuse sur les réseaux sociaux, c’est le début de la descente aux enfers. Une réputation de fille facile aux mœurs légères qui n’a que ce qu’elle mérite. Elle sera victime par la suite d’une tentative de viol en réunion.
Anaïs, 24 ans, a aussi été victime d’agressions sexuelles dans son adolescence et a été violée à ses 20 ans. Elle parle du profil de son agresseur. Un homme qu’elle connaît, que tout le monde apprécie. Il est pourtant l’auteur de plusieurs agressions et n’a jamais été condamné. Anaïs tombera dans l’alcool et rentrera alors dans un processus d’autodestruction "on m’a détruite, je n’accepte pas qu’on me détruise, donc moi j’ai le droit de me détruire toute seule".
Mêmes histoires pour Lina 20 ans et Rachele 19 ans : un viol lors d’une soirée, un sentiment de honte, un déni, une remise en cause de ce qu’elles ont vécu… Lina évoque la domination de l’homme : « une femme c’est le truc où tu peux te vider et elle n’a rien à dire en fait ». La culpabilité après un viol, c’est ce que Rachele a ressenti longtemps : "On apprend toujours à excuser les agresseurs de ce qu'ils nous font". Des témoignages poignants, dénigrés, minorés et souvent remis en cause à l’époque, que la réalisatrice Lavinie Boffy a recueillis. Son documentaire "#Iwas, le cri" est un espace d’expression dédié aux victimes pour une meilleure compréhension de leur combat sur la scène publique.
Des réseaux sociaux aux manifestations, #IwasCorsica réveille la société insulaire sur les violences sexuelles
C’est en 2017 que le mouvement #MeToo initia la libération de la parole des femmes, dans le milieu du cinéma, à travers la révélation d’agressions sexuelles commises par le puissant producteur Harvey Weinstein. D’ampleur mondiale, #MeToo n’est pourtant pas arrivé jusqu’en Corse. Ce n’est que durant l’été 2020 que de nombreuses femmes ont révélé sur les réseaux sociaux, les viols et les agressions sexuelles dont elles ont été victimes. Sous le hashtag #IwasCorsica, lancé sur Twitter par Laura Paoli-Pandolfi, des milliers de témoignages ont déferlé : "I was 6 ans et c’était mon cousin", "I was 15 ans et c’était un ami", ou tout simplement "I was 13 ans". D’importantes manifestations ont ensuite envahi les rues des grandes villes insulaires. Faire entendre leur voix avec des slogans comme "Victimes on vous croit, violeurs on vous voit" ou encore un chant, presque un hymne qui résonne comme un cri : "Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes, et radicales, et en colère".
Rompre le silence sur les violences sexuelles en Corse, c’est ce qui réunit aujourd’hui Océane, Anaïs, Lina et Rachele. Elles ont répondu au mouvement #IwasCorsica et ont monté un collectif qui a permis de déposer 15 plaintes. Un parcours périlleux pour ces jeunes femmes, qui du statut de victimes sont devenues accusées ! La liste des noms de leurs agresseurs présumés a été divulguée sur les réseaux sociaux et elles ont reçu près de 47 plaintes anonymes pour diffamation.
Il se passe quoi après la libération de la parole ?
Lavinie Boffy s'interroge : "Il se passe quoi après la libération de la parole ?" Elle était l'invitée de Davia Bourgeois dans "À Doc ouvert". En compagnie de l'avocate Johana Giovanni, elles ont évoqué les suites du combat mené par le collectif #IwasCorsica. Pourquoi est-il encore si difficile en Corse de briser le tabou des violences faites aux femmes, pourquoi une certaine mythologie insulaire reste tenace sur la supposée place protégée des femmes ou encore des enfants en Corse ? Qu’en est-il sur l’île de la culture du viol, un comportement de la société visant à banaliser, excuser les viols et agressions sexuelles commises par des hommes ? La prise en charge des plaintes a-t-elle évolué ? Les lois sont-elles réellement appliquées ?
La mauvaise prise en charge des victimes, l’impunité des violeurs ou encore le coût de la procédure sont autant d’éléments qui peuvent dissuader bien trop souvent les victimes d’intenter une action en justice (entre 1 et 2% des violeurs seraient condamnés). L’occasion de rappeler les combats de l’avocate Gisèle Halimi pour faire reconnaître le viol comme un crime. En 1978, elle défendra devant les assises des Bouches-du-Rhône deux touristes belges violées par trois hommes. C’est ce procès très médiatisé, comme le souhaitait Gisèle Halimi, qui permettra le vote de la Loi de 1980 reconnaissant ainsi le viol comme un crime en France. Depuis, les femmes ont pris la parole, ouvrant la voie à une reconnaissance du combat féministe pour davantage d'égalité.
💻📱 Disponible sur France.tv
👉 "#Iwas, le cri", un documentaire suivi d’un débat "À Doc ouvert" animé par Davia Bourgeois sur la libération de la parole des femmes, en compagnie de Lavinie Boffy et l’avocate Johana Giovanni.