Même s’il n’a pas retrouvé son volume de production d’avant la crise, le groupe sidérurgique indien réalise une très bonne année 2021. Notamment grâce à son site lorrain de Florange, ArcelorMittal a compensé un volume de ventes plus faible par des prix jamais atteints jusque-là dans l’histoire de l’entreprise.
"Mittal fait ce qu’il sait faire le mieux : maintenir ses prix contre vents et marées", sourit un bon spécialiste de la sidérurgie "et en 2021, il est parvenu au sommet de son art".
L’entreprise ArcelorMittal, née en 2006 du rachat d’Arcelor par le groupe indien, est aujourd’hui entre les mains de Mittal fils, Aditya, nommé directeur général en 2016. Lakshmi Mittal reste Président exécutif, à la tête du conseil d’administration du groupe. "Mais l’ADN est le même", grimace ce même spécialiste "et il est difficile de dire qui décide quoi, tant les deux hommes semblent mener exactement la même stratégie".
Le marché de l’acier a traversé 2021 comme si la crise liée au coronavirus n’existait pas. La production mondiale a battu un nouveau record absolu, avec 1,752 milliard de tonnes sur la période janvier-novembre selon WorldSteel.
Mais ArcelorMittal n’a pas beaucoup contribué à ce record. Sa production et ses livraisons sont en repli net par rapport à 2020. En Europe, tous ses segments décrochent lors des trois premiers trimestres, notamment à cause de la crise des semi-conducteurs qui pénalisent le secteur automobile, gros client de la sidérurgie.
"Mais l’entreprise a profité à fond de l’envolée des prix, ce qui compense largement", précise un cadre du groupe. "ArcelorMittal n’a pas besoin de vendre beaucoup, mais de vendre avec les meilleurs marges".
Le prix de vente moyen du groupe a atteint des sommets historiques, à plus de 1.100 dollars la tonne d’acier en novembre 2021, une hausse de 64% par rapport à l’année précédente. La profitabilité à la tonne crève le plafond dans les mêmes proportions : +546% en Europe au troisième trimestre 2021, en comparaison avec 2020 ! S’il manque encore les données du dernier trimestre 2021 pour confirmer cette tendance, le résultat net d’ArcelorMittal pour les neuf premiers mois est en hausse de 15%. "On a rarement vu ça" confirme ce cadre du groupe.
Dette au plus bas
"Ce qui me frappe le plus, c’est le niveau très bas de la dette du groupe (3,9 milliards de dollars en novembre 2021)", explique Pascal Raggi, maître de conférence en histoire contemporaine à l’université de Lorraine. "La sidérurgie française a été plombée pendant des années par sa dette, ce qui a poussé le gouvernement à la nationaliser deux fois le siècle passé. Voir Mittal réussir à la contenir, c'est une performance à signaler dans une industrie où les investissements sont très lourds".
Le groupe indien n’est pas le seul à sourire. La plupart des groupes sidérurgiques mondiaux connaissent le même succès. La forte reprise de la demande d’acier, après une année 2020 marquée par les arrêts d’usines, a poussé les sidérurgistes européens à tirer le maximum de leurs installations. Les quatorze hauts fourneaux continentaux d'ArcelorMittal ont fonctionné à pleine capacité, de même que les installations en aval.
"Franchement, on était à bloc toute l’année", résume la CGT d'ArcelorMittal Florange. A part un ralentissement à l’automne, les lignes de galvanisation de la vallée de la Fensch ont été chargées à presque 100% : "la chute des commandes de l’automobile a incité Mittal à faire des stocks pour répondre à la demande attendue, lorsque la crise des semi-conducteurs sera passée" explique un délégué syndical central. "Et encore, la direction nous dit qu’on aurait pu faire mieux ! Limite elle est déçue", rigole la CGT, "mais ça s’explique par plusieurs grosses casses à Dunkerque et à Florange, qui ont posé des problèmes de fiabilité : en tournant à fond, on s’expose à des soucis de la sorte, c’est logique".
Flambées
La forte augmentation du coût de l’énergie a eu un impact assez limité sur ArcelorMittal en 2021.
"Ils ont essayé de nous mettre ça sur la table pour calmer nos ardeurs, lors des négociations annuelles sur les salaires, mais on n’a pas été dupe" s’amuse Jean-Marc Vécrin, responsable syndical national CFDT. A juste titre : l’ex numéro 1 mondial de l’acier n’achète pas son électricité au même tarif que ses concurrents. En tant que membre fondateur du consortium Exeltium, il bénéficie de tarifs négociés et sécurisés avec son fournisseur EDF.
De plus, l’acier ne fait pas partie des industries les plus "électro-intensives". En clair, le poids de l’électricité dans ses coûts reste contenu. Selon nos informations, chez Mittal, il ne dépasse pas aujourd’hui 7% à la tonne d’acier brut pour la filière électrique, et 3,8% pour la filière fonte. Une multiplication par trois du prix du megawatt ne représenterait que 21% de son coût total de production, et "on en est encore loin" estime notre bon spécialiste de la sidérurgie.
Recherche à la traîne
Ses bons résultats, Mittal les obtient en délaissant pourtant un secteur stratégique : la recherche et le développement.
La baisse de budget atteindrait 27% en 2021, alors même qu’elle représente des sources de revenus importants, liées à la vente de brevets notamment. Mais l’ex-numéro un mondial continue à réduire les effectifs de ses centres de recherche. "Mittal privilégie les projets pour lesquels il bénéficie de subventions", explique l’ingénieur du centre de recherche de Maizières-les-Metz que nous avons interrogé.
Décarbonation
La même démarche semble s’appliquer aux projets verts du groupe, qui en fait sa principale stratégie de communication auprès du grand public.
Tenus par des engagements serrés, Mittal ne semble pourtant pas faire de la réduction des émissions de CO2 un enjeu prioritaire. L’Europe exige une neutralité carbone à l’horizon 2050 et, depuis juillet 2021, une réduction de 55% d’ici à 2030, contre 40% auparavant. Tous les sidérurgistes devront faire un effort supplémentaire et Mittal n’est pas en reste a priori avec ses projets d’investissements à Hambourg (Allemagne), Gijon (Espagne), Gand (Belgique), ainsi qu’à Dunkerque et Fos-sur-Mer pour l’hexagone.
Mais l’industriel conditionnerait la réalisation de ses projets à l’obtention de subventions de l’Etat et de l’Europe. Ce qui fait douter notre spécialiste : "le plan de Mittal n’est pas assez ambitieux pour atteindre l’objectif de 2030, qui nécessite des investissements massifs notamment dans le renouvellement des équipements de production, et pas seulement dans les projets de rupture technologique".
La forte hausse du prix du CO2, qui est passé de 43 euros la tonne en mars à 74 euros en décembre 2021, pourrait inciter le groupe indien à accélérer ses efforts. Mais ce dernier reste loin de pouvoir produire de l’acier vert : seul le groupe suédois SSAB est aujourd’hui capable de produire de l’acier sans énergies fossiles en Europe.
Le continent
Tendance nette : c’est l’Europe qui constitue toujours la machine à cash du groupe, mais ArcelorMittal poursuit sa volonté de s’étendre ailleurs et d’être moins dépendant du vieux continent. Ses joint-ventures, ces co-entreprises avec des groupes asiatiques, montent en puissance. A l’heure de la ré-industrialisation promise et vantée par le gouvernement français et une partie des candidats à la présidentielle, Mittal ne montre aucune intention d’investir en Europe dans une augmentation de ses capacités de production. Il est même, parmi tous les groupes installés en Europe, celui qui a le plus fermé d’installations ces dix dernières années.
Conséquence : la sidérurgie européenne est importatrice nette d’acier depuis 2014, avec 19 millions de tonnes en 2021. Même avec des usines qui tournent à pleine charge…
Bonne année pour les salariés ?
Mis à contribution pour faire tourner les usines à plein régime, les sidérurgistes ArcelorMittal de Florange ont obtenu deux primes de 1.000 euros en 2021, une augmentation de 2% : "c’est correct", estime Jean-Marc Vécrin, mais "on espérait quand même que les excellents résultats du groupe, les meilleurs depuis la fusion en 2006, auraient incité la direction à se montrer un peu plus généreuse vis-à-vis de ceux qui ont travaillé dur cette année et en pleine pandémie". La CGT espère "pouvoir renégocier l’accord sur la prime d’intéressement et la participation aux bénéfices, qui est bloqué à 3% aujourd’hui. Vu les résultats du groupe, les salariés méritent mieux !"
Les effectifs au niveau mondial poursuivent leur baisse : -1.500 équivalents temps plein (ETP) entre 2020 et 2021, -410 en France. "Les sidérurgistes ArcelorMittal de Florange et d’ailleurs réussissent l'exploit de produire à pleine charge tout en étant de moins en moins nombreux… Leurs bonnes performances ne plaident pas pour des embauches", ironise un autre délégué syndical central.
Contactés, les services de presse français du groupe n’ont pas souhaité répondre à nos questions sur cette année 2021 : "ArcelorMittal est en période de réserve ("quiet period") puisque nous sommes tout juste à un mois de la publication de nos résultats annuels. Ce n’est donc pas le bon moment pour une interview bilan de 2021". Une fois les résultats publiés, le montant des dividendes versés aux actionnaires sera également connu. La famille Mittal, qui possède 40% des actions du groupe, devrait elle aussi battre un record.