Lieux publics inaccessibles, aides techniques et humaines trop coûteuses : les associations de personnes handicapées dressent un bilan amer de l'ambitieuse loi de 2005, qui devait leur assurer "égalité des droits et des chances", à l'occasion de ses dix ans.
Le 11 février 2005, la promulgation de la loi Handicap donnait beaucoup d'espoir aux personnes handicapées. Dix ans plus tard, la déception est grande. L'Association des paralysés de France a déployé une grande banderole noire sur la façade de ses locaux de Strasbourg. Elle dénonce la non application de la loi mais aussi les très grandes difficultés économiques et financières auxquelles ces personnes sont confrontées.
Le reportage de S. Pfeiffer-Schiffer - Y. Ledig - I. Hassid-Guimier - P. Bailleul. Interviews : Rolf Ensminger, association Paralysés de France 67 - Isabelle Scheuer, représentante APF 67
"Nous sommes encore loin du compte", assène l'Association des Paralysés de France (APF), affirmant que les personnes handicapées "sont toujours considérées comme des citoyens de seconde zone". Selon l'Insee, 9,6 millions de personnes sont concernées au sens large par le handicap.
La loi du 11 février 2005 "pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées" devait donner à chacun la possibilité de choisir son projet de vie. Principale loi sur le handicap depuis 1975, elle visait à rendre les lieux publics
et transports accessibles dans un délai de 10 ans, soit au 1er janvier 2015. Elle a aussi créé un droit à compensation, permettant la prise en charge par la collectivité de dépenses liées au handicap.
Elle comportait des mesures pour l'intégration scolaire et l'insertion professionnelle et, dans un souci de simplification administrative, a créé les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), guichet unique pour toutes les démarches. "A partir du moment où dans un texte de loi on est très ambitieux, il est rare qu'au bout de dix ans on ait tout réalisé", tempère Jean-Louis Garcia, président de l'Apajh (fédération des Associations pour adultes et jeunes handicapés). Il estime qu'"il faut faire vivre cette loi dans tous ses potentiels, qui sont considérables puisque le texte balaie tout le trajet de vie".
Plus virulent, le président de l'APF, Alain Rochon, estime que "tout reste à faire. Ce qui nous inquiète est qu'on détricote cette loi de 2005, plutôt que de la conforter". Premier motif de colère, les délais supplémentaires (trois à neuf ans) accordés par le gouvernement pour rendre les établissements recevant du public (ERP) et les transports accessibles à tous. En effet, en raison du retard accumulé depuis 2005, seulement 40% des ERP sont aujourd'hui accessibles.
Barrières d'âge
Le gouvernement plaide le pragmatisme et fait valoir que le délai supplémentaire sera limité à trois ans maximum pour "80% des établissements", mais plusieurs associations, rendues furieuses notamment par les possibilités de dérogation, ont saisi le Conseil d'Etat. Parmi elles l'Unapei (fédération de familles de personnes handicapées mentales), dont la présidente, Christel Prado, a le sentiment que les besoins des déficients intellectuels en matière d'accessibilité - la simplification de l'information en français +facile+" - ont été "laissés sur le côté".Les associations déplorent également que la prestation de compensation de handicap (PCH) instaurée par la loi de 2005 ne suffise pas à couvrir les dépenses. "Les restes à charge sont très importants, en matière d'aides humaines mais également techniques", souligne M. Rochon. "On a toujours une prestation qui est morcelée en fonction de l'âge", déplore-t-il par ailleurs. La loi de 2005 prévoyait de supprimer les "barrières d'âge" dans un délai de cinq ans, mais elles existent toujours.
"Si votre handicap survient après 60 ans, vous êtes considéré comme une personne âgée dépendante, et non comme une personne handicapée, et touchez des prestations inférieures", souligne M. Garcia. Les MDPH pour leur part sont "fragilisées" face à une "explosion" du nombre des demandeurs, selon l'APF. Résultat: il faut compter "jusqu'à 18 mois d'attente" pour voir son dossier traité. En ce qui concerne l'éducation, la loi affirmait que tout enfant handicapé devait être inscrit dans l'école de son quartier.
"Si depuis 2005, le nombre d'élèves scolarisés en classe ordinaire a augmenté d'un tiers et le nombre d'étudiants doublé", l'accessibilité des locaux, la formation des enseignants, l'adaptation des manuels sont encore à améliorer, juge l'APF. Quant à l'emploi, malgré tous les dispositifs existants, le taux de chômage des personnes handicapées, à 22%, est le double de celui des personnes valides. Lors de la Conférence nationale du handicap du 11 décembre, François Hollande a réaffirmé la mobilisation, mais sans donner l"impulsion nouvelle" attendue par les associations.