Un an et demi après la découverte du corps d'Anaïs Guillaume, les experts éprouvent toujours des difficultés à déterminer les circonstances exactes de sa mort.
Des termes techniques mais essentiels. Ce mercredi 7 avril, des enquêteurs et des experts ont défilé à la barre de la cour d'assises de Reims, lors du procès de Philippe Gillet, accusé de l'assassinat d'Anaïs Guillaume et de "violences ayant entraîné la mort" de son épouse en janvier 2012. Ces derniers ont longuement développé leur expertise concernant les téléphones des deux victimes et de l'accusé, ainsi que sur les ossements d'Anaïs Guillaume. Ces indices sont cruciaux pour éclaicir les zones d'ombre qui planent toujours sur les derniers instants de la vie de la victime, dont le squelette n'a été retrouvé qu'en octobre 2019. Soit plus de six ans après sa disparition.
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Les circonstances de la mort d'Anaïs Guillaume encore floues
Dans la salle d'audience, une question est sur toutes les lèvres. Dans quelles circonstances Anaïs Guillaume a-t-elle perdu la vie ? Franck N., expert en ossements et dans la recherche des causes de la mort, exprime les difficultés rencontrées pour y répondre, même si très vite, les analyses ADN confirment que les ossements retrouvés en octobre 2019 appartiennent bien à Anaïs Guillaume.
Ce qu'il peut affirmer avec certitude, c'est que la substance blanchâtre qu'il découvre à ce moment-là est bien de la chaux. En revanche, l'état du corps et la présence de la chaux empêchent les experts de savoir depuis quand le corps se trouve sous un tas de fumier situé sur l'exploitation de Philippe Gillet. Impossible également de savoir de quoi est morte la jeune femme. Strangulation ? Asphyxie ? Médicaments ? Coups de couteau (deux couteaux sont retrouvés à proximité du corps) ? Mais il n'y a aucune trace de lésions d'arme blanche, aucune lésion. La chaux brouille toutes les pistes envisageables. "Est-il possible que la cause de la mort soit une hémorragie interne par exemple ?", demande la cour. "Il m'est impossible de le dire à cause de la dégradation du corps", regrette l'expert.
Mais cette présence de chaux vive questionne. C'est un indice important, car Philippe Gillet en avait acheté deux sacs de 25 kg le 16 avril 2013 au matin, le jour de la disparition d'Anaïs Guillaume. Une quantité "dérisoire pour un agriculteur", selon l'adjudant-chef de gendarmerie interrogé mardi. "Un témoin dit que Gillet a évoqué la possibilité de faire disparaître un cadavre à l'aide de la chaux", avait-il ajouté. "Aujourd'hui, Philippe Gillet est renvoyé pour des faits d'assassinat. Il faut donc prouver qu'il y a préméditation : il faut des éléments qui montrent qu'il était préparé, rappelle Damien Delavenne, l'avocat de la famille Guillaume, avant de préciser, "c'est la cour d'assises de la Marne qui sera déterminée à répondre à cette question."
Une autre interrogation reste sans réponse. "Vous dîtes qu'il n'y avait aucune trace de vêtements, est-ce que cela voudrait dire qu'Anaïs a été enterrée nue ?", demande Damien Delavenne à l'expert. Des éléments le laissent à penser, mais là encore, aucune certitude. "Quand bien même la chaux aurait dégradé les textiles, on aurait retrouvé des éléments métalliques, comme des fermetures éclairs", répond-il, sans toutefois apporter de réponse tranchée.
La téléphonie au coeur de l'affaire
Un autre aspect technique a préoccupé la cour, mercredi matin. Les échanges de cartes sim dans les téléphones d'Anaïs Guillaume et de Céline Gillet, l'épouse de l'accusé alors décédée, durant la nuit de la disparition d'Anaïs. Le premier expert, un gendarme spécialisé en téléphonie, est catégorique. Contrairement à ce que dit Philippe Gillet, le téléphone de son épouse "n'a pas été utilisé depuis longtemps". "Il a été mis sous tension à 3h58" ce 17 avril 2013, précise le gendarme.
Le militaire détaille méticuleusement cette nuit. A 4h18, la ligne de Philippe Gillet appelle la ligne de son épouse. L'appel est alors redirigé vers la messagerie vocale. A 4h20, un nouvel appel de Philippe Gillet à Céline Gillet est détecté. "En deux minutes, deux appels", résume l'expert. La carte sim de Céline Gillet est insérée dans le téléphone d'Anaïs Guillaume. La ligne est alors localisée à Margut, où se trouve l'exploitation de Philippe Gillet. A 4h26, la ligne d'Anaïs Guillaume tente d'envoyer un sms à son amant. Elle reçoit alors un message technique disant que l'envoi est impossible car elle n'a plus de crédit. "Coucou ça va, j'ai perdu ma carte chez toi, tu peux regarder si tu l'as stp ?"
Plusieurs éléments interrogent dans ces échanges de SMS et de cartes sim. Tout d'abord, une faute d'orthographe. Les experts mentionnent une faute d'accord (sans qu'elle soit précisée lors de l'audience, c'est pourquoi notre citation n'en comporte pas). L'analyse de plusieurs centaines de messages ont révélé qu'Anaïs Guillaume n'avait jamais fait cette faute. En revanche, Philippe Gillet la commet de manière récurrente. "On a l'impression qu'une conversation se fait avec trois téléphones mais que c'est la même personne qui est derrière les messages", analyse le gendarme.
La question de l'ADN
Autre point d'interrogation : l'absence d'ADN d'Anaïs Guillaume sur les cartes sim échangées. En revanche, celle de Philippe Gillet est bien présente. "Si cette nuit là, deux personnes les avaient touchées, on aurait trouvées des traces d'ADN", affirme l'enquêteur. ce qui conforte le premier enquêteur dans l'idée que c'est bien l'accusé qui a échangé les cartes sim. Une hypothèse que partage le second enquêteur, Stéphane R. "C'est typique de ce genre d'affaires, que ces manipulations tentent de faire croire à une conversation", explique-t-il. "Mais ce n'est qu'une hypothèse ?", lui demande Hugues Vigier, un des deux avocats de Philippe Gillet, défendant qu'Anaïs Guillaume aurait elle aussi pu intervertir les cartes. L'enquêteur ne démord pas. Pour lui, cette thèse "n'est pas cohérente".
Depuis le début de cette affaire, l'accusé Philippe Gillet clame son innocence. Une position qui semble de plus en plus difficile à tenir. Jeudi, sa fille Victoria qui avait découvert les premiers ossements de la victime le 29 octobre 2019 est attendue à la barre.