Le retour des premières cigognes en Alsace par des températures glaciales de moins dix degrés, en ce début février, peut surprendre. Mais il y a des raisons à leur retour précoce. Explications avec le spécialiste des cigognes en Alsace, Gérard Wey.
Si nombre d’entre nous sont surpris du retour des cigognes blanches, par -10 degrés, en ce début février, le spécialiste alsacien de ces migrateurs ne l'est pas. Explications.
Qu’est-ce qui fait migrer les cigognes ? La réponse est simple : comme pour tous les autres oiseaux migrateurs, c'est la nourriture. Trouver à se nourrir, pour ensuite nicher, pondre et élever les petits est le moteur de tous.
Concernant les cigognes, on pense en général qu'elles reviennent au printemps, et c’est presque vrai. Mais dans les faits, leur arrivée s’échelonne sur plusieurs mois. Cette année, les premières sont revenues début février, en plein grand froid. Plusieurs vagues se succèderont jusqu'en avril, en fonction des lieux d'où elles reviennent.
Le froid n’est qu’un retardateur du retour des migrateurs
Gérard Wey est Le monsieur cigogne en Alsace. Il est à l’origine de leur réintroduction, démarrée dans les années 90 avec l’association Aprécial et arrêtée en 2020. Il a étudié les cigognes sur plusieurs décennies et connait bien leurs habitudes et changements de comportements. Les cigognes reviennent en fonction de plusieurs critères : quand les journées se rallongent et que la durée d'ensoleillement est suffisante, mais encore pour d'autres raisons. "Les premières cigognes à revenir sont celles qui sont allées hiverner le moins loin. Beaucoup, qui autrefois descendaient jusqu'en Afrique, s'arrêtent désormais en Espagne, où se trouvent d'immenses décharges à ciel ouvert, dans lesquelles elles se nourrissent." Pas forcément sainement d'ailleurs. Certaines s'étranglent même, en confondant des liens en nylon avec des vers de terre. "On a constaté" fait observer le spécialiste "que les cigognes orientales vont encore jusqu'en Afrique de l’Ouest, du Nord et de l’Est, alors que les populations de Pologne, Tchéquie, Hongrie et Turquie descendent encore jusqu'en Afrique du Sud, d'où elles reviennent donc plus tard, puisqu'elles ont plus de trajet à parcourir. " Elles reviennent donc plus tôt parce qu'elles sont parties moins loin, mais pas seulement. Elles reviennent aussi parce que la concurrence est rude.
Les cigognes s'adaptent
Les cigognes ne reviennent pas seulement plus tôt parce qu'elles sont allées hiverner moins loin. C'est aussi parce que les premières arrivées sont les mieux servies. Les mâles sont d'ailleurs toujours les premiers de retour. Ils recherchent leur nid de l'année passée. Ils doivent peut-être en chasser des corneilles, des corbeaux ou des rapaces, voire d'autres cigognes qui les squattent, ensuite réparer un peu les dégâts de l'hiver. Dernier point : vérifier que les alentours sont toujours propices au nourrissage et sinon, trouver un autre logis.
Alors ils s'adaptent et ils savent se débrouiller. Ils chassent malgré la neige, ces mâles qui ne sont pas des blancs becs. Ils savent repérer les traces des petites souris et mulots qui courent sur la poudreuse et les attraper à la barbe des rapaces. Ils ont même découvert que l'eau est plus chaude que l'air, peut-être en observant les hérons.
Davantage de cigognes en Alsace, car moins de morts sur les parcours migratoires
Gérard Wey, qui a connu les années où 90 % des cigognes mourraient électrocutées dans les lignes à haute tension et tuées par des chasseurs sur leur itinéraire, a aidé à la mise en place de plusieurs techniques de protection. "Dans les corridors de vols, on a installé des systèmes d’effarouchement, ce qui évite nombre de collisions avec les câbles et on a demandé à ce que les pylônes, où certaines construisaient leur nid, se terminent en forme de sapin de Noël, donc les branchages glissent et elles vont s'installer plus loin." Voilà comment on a permis aux cigognes de revenir saines et sauves de leur zone d'hivernage, vers l'Alsace où elles avaient presque disparues. Dans les années 80, il ne restait que neuf couples d'échassiers dans le Haut-Rhin et vingt dans le Bas-Rhin. La sauvegarde et la réintroduction de ce symbole de la région a permis de grimper à 1 000 individus dans les deux départements. Et voilà, les premières sont de retour.