Suite aux températures élevées depuis la mi-mai, le niveau des cours d’eau alsaciens devient critique. Les poissons et la faune aquatique sont en danger de mort.
Prendre la température de l’eau avant de pêcher… une demande pas banale, mais ferme faites aux pêcheurs. «Au-delà de 18 degrés cela devient dangereux pour les truites et les ombres» explique Emilien Bordier, directeur de la fédération de pêche du Haut-Rhin. Dans son courrier aux associations de pêche, il précisait déjà mi-mai : «Nous ne pouvons que vous conseiller de vous abstenir de pêcher ces espèces si les températures dépassent ce seuil critique.»
Quand les températures sont très élevées, et qu’aucune pluie n’apporte de répit, l’eau des cours d’eau s’évapore et met les poissons en souffrance. Certains en meurent. Dans le Haut-Rhin les cours d’eau comme la Lauch, la Largue, la Doler, la Thur, la Fecht, la Weiss et la Liepvrette sont tous touchés par le phénomène d’assèchement. Et quand elles ne sont pas à sec, elles n'ont pas le niveau requis.
"Le problème" précise Emilien Bordier "n'est pas seulement d'avoir de l'eau, mais il faut aussi avoir de l'eau pas trop chaude. Sur une période courte ça peut passer, mais pas sur la durée. Il faut en même temps de l'eau de bonne qualité, car le moindre rejet dans peu d'eau, génère une pollution concentrée. La dilution ne se fait pas et les poissons, déjà en stress, meurent."
Des sondes de contrôle des températures mises en place en 2020
Dans le Bas-Rhin aussi, les rivières et leurs habitants (poissons, crevettes, larves d'insectes) sont menacés. Des sondes qui servent à relever les températures des eaux indiquent des dépassements mortels pour certaines espèces. "Dans le contexte de sécheresses répétées," explique Patrick Mathieu, président de la fédération de pêche du Bas-Rhin, "nous avons mis en place un suivi thermique des cours d'eau depuis 2020, en collaboration avec le Grand Est. Une centaine de sondes, dont une trentaine de référence, nous permettent de relever régulièrement les températures des eaux. Nous publions des bulletins deux fois par mois."
Ces spécialistes des milieux aquatiques ont constaté, sur le dernier relevé, que 62 % du réseau est en situation létale. Les truites, poissons de catégorie 1 (eau en amont par rapport à la source) et les chevesnes, poissons de catégorie 2 (eau plus en aval, dans les rivières de plaine) sont très impactés. La truite notamment est une espèce qui a besoin d'eau fraîche et bien oxygénée.
Des pêches de sauvetage pour déplacer les poissons
Pour ne pas laisser les poissons suffoquer dans des eaux peu profondes et donc facilement surchauffées, les fédérations organisent des pêches de sauvetage. "On part sur site tôt le matin, entre 5 heures et 10 heures, on prend délicatement au filet tous les poissons piégés dans des trous d'eau et on les déplace vers des endroits où ils pourront survivre." explique Patrick Mathieu.
Pour ce faire, il est indispensable que les pêcheurs qui connaissent bien le terrain fassent remonter les informations à leur fédération, en leur signalant les endroits où il faudrait intervenir.
"Nous n'avons pas les moyens d'intervenir à cinq ou six endroits le même jour," prévient le président de la fédération de pêche haut-rhinoise, "nous devons donc nous organiser." Ils font alors appel à des volontaires ciblés, qui connaissent bien le milieu aquatique, ou qui ont déjà participé à des pêches électriques ou de sauvetage. Déplacer les poissons ne se fait pas sans connaissances techniques. "Changer de milieu les stresse, il faut savoir ce que l'on fait, car les générations futures en dépendent."
Quand les poissons sont en mode survie, je renonce à la pêche
Clément Lavaux, est pêcheur dans la vallée de la Thur dans le Haut-Rhin, il n'a pas attendu l'arrêté préfectoral pour renoncer à son loisir :"J’ai arrêté de pécher depuis au moins un mois et demi, car il y a un gros manque d’eau depuis mai. Dans la vallée de la Thur on a en plus eu des travaux sur le barrage, il y avait donc déjà un manque d’eau, avec le temps c’est critique pour les poissons." Pour lui pas de doute : "Quand les poissons sont en mode survie, c’est absurde de pêcher. C’est une passion mais dans ce cas, je renonce."
Chacun à son niveau peut agir pour limiter ces dégâts : "Les préfectures pourraient anticiper et ne pas prendre les arrêtés trop tardivement pour interdire le lavage des voitures ou le remplissage des piscines" comme le souligne le directeur de la fédération de pêche du Haut-Rhin. De leurs côté, les collectivités pourraient inciter davantage les habitants à économiser l'eau grâce à des récupérateurs d'eau de pluie par exemple, les entreprises ne pas rejeter de polluants dans les rivières...Les agriculteurs pourraient ne plus arroser le maïs en plein soleil, les particuliers se souvenir que si leur eau de lavage de voiture part dans les égouts, elle finit à la rivière, que les déchets de tonte ne doivent pas être jetés dans un cours d'eau...Chaque action à un impact. Même la dé-bétonisation des villes participe à limiter ces dégâts, car les eaux de ruissellement peuvent à nouveau s'infiltrer dans les sols.
La ressource en eau, et en eau de qualité, est de plus en plus précieuse. Plus personne n'en doute, si?