Attentat de Conflans : "qu'est-ce qui nous différencie de ces barbares? C'est la raison!"

Le monde enseignant et la société toute entière est encore sous le choc. L'attentat de Conflans, un acte odieux, qui rappelle la suspension durant quelques jours d'un enseignant à Mulhouse en 2015. Il avait montré les caricatures de Mahomet à ses élèves. Paroles de profs.

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L'attentat de Conflans hantera encore longtemps les têtes des Français, parents, élèves et bien sûr enseignants. Vendredi 16 octobre, Samuel Paty enseignant en histoire-géographie à Conflans Sainte-Honorine dans les Yvelines, était décapité à la sortie de ses cours. Son crime : avoir eu un débat avec ses élèves sur les caricatures de Mahomet.

Un crime odieux qui n'est pas sans rappeler l'histoire vécue en janvier 2015 par un enseignant en arts plastiques au collège Villon de Mulhouse.
Au lendemain de l'attentat contre Charlie Hebdo qui avait fait 12 morts et 11 blessés, cet enseignant décide de montrer les caricatures incriminées à ses élèves, pour avoir un débat avec eux autour de la liberté d'expression. Le cours est houleux, certains se plaignent d'avoir été forcés à regarder ces dessins, des parents menacent de manifester devant le collège si rien ne se passe. Le rectorat décide alors de suspendre provisoirement l'enseignant pour quatre mois le temps d'éclaircir l'affaire. Mais suite à la vague de soutiens qui déferlent alors, manifestations citoyennes entre autres, l'enseignant, durablement traumatisé, est finalement blanchi, réintégré mais pas au collège Villon, à sa demande.

Le professeur ne souhaite plus aujourd'hui évoquer cet épisode douloureux. A l'époque, nous l'avions rencontré et il avait raconté son histoire sous couvert d'anonymat. Durant ce cours, "La plupart des élèves participent aux débats, en comprenant les principes de la liberté d’expression, d’opinion, et de laïcité. Cependant deux élèves manifestent durant le cours leur mécontentement et notamment le fait que je n’ai pas le droit de diffuser des images du prophète. Je leur rappelle les notions fondamentales de la République et le fait qu’à l’école les préceptes cultuels n’ont pas leur place, bien qu’évidemment je respecte l’ensemble des religions. Une discussion s’engage et à aucun moment le climat de la classe ne dérape. Dans un état de Droit et une République démocratique, il me semble que la présomption d’innocence et une enquête en toute transparence sont les moteurs de la vérité. Les services déconcentrés de l’Education nationale ne devraient-ils pas appliquer ces principes fondamentaux avant de jeter à la vindicte populaire un enseignant qui fait son travail normalement ? Quel message doit-on comprendre ?" Sollicité par nos soins, le rectorat n'a pas souhaité revenir sur cette affaire, arguant que le ministère avait déjà réagi.
 

La laïcité, la Shoah, ou le génocide arménien, autant de sujets délicats à aborder

"Je me souviens, j'étais enseignant au lycée Lavoisier de Mulhouse, raconte Angel Martin, aujourd'hui prof d'histoire à Strasbourg. A ce moment là, on a cherché le soutien de notre hiérarchie qu'on a fini par obtenir mais ça a été dur. Sans notre mobilisation, (manifestation et menace de grève, NDLR), notre collègue aurait sans doute été sanctionné, ce qui est proprement scandaleux. Le quartier est noyauté par les prédicateurs et c'est bien le problème. De toutes façons, 2015 ça a été une année noire. Je suis abonné à Charlie Hebdo depuis 25 ans alors les attentats de janvier ça a été traumatisant. J'ai passé une semaine avec mes élèves à faire des cours sur la liberté d'expression en leur montrant des caricatures depuis celles, féroces, du XIXe siècle jusqu'à celles de Charlie. Et franchement je pense que ça a payé."

Angel Martin donne de sa personne, il aime son métier, ça se sent dans ses mots malgré la lassitude qui perce, malgré les années, malgré tout ça. Au point, à l'été 2015, sur ses deniers et son temps, de suivre un séminaire d'une semaine au mémorial de la Shoah. "Pour avoir les armes, explique t-il, pour pouvoir être efficace." Parce que les sujets polémiques, quand on est prof d'histoire ne manquent pas. La Shoah donc mais aussi le génocide arménien entre autres. L'annonce de la décapitation de Samuel Paty a été dure à vivre. "Je ne sais pas si vous l'écrirez mais j'ai pleuré, avoue-t-il. Et de réclamer des mesures. "Il faut identifier les radicaux, les punir et surtout redonner des moyens à l'éducation nationale, il faut plus d'enseignants parce que les classes de 35, ce n'est pas possible."
 

Plus de moyens et de formation

Et c'est bien là que le bât blesse. Des moyens, c'est bien sûr ce que réclament les syndicats depuis des années. "Cela passe aussi par une augmentation des salaires, revendique Jean-Marie Koelblen, secrétaire général du SNUipp-FSU 68. Et un soutien de la hiérarchie. Déjà en 2015 au moment de l'affaire du collège Villon, les syndicats avaient dénoncé un "lâchage" en règle. "Pour la hiérarchie, un enseignant est présumé coupable avant même de connaître les faits, explique Jean-Marie Koelblen, on ne sent ni protégés ni soutenus et ça n'a pas changé depuis 2015, déplore-t-il encore. Sur les questions de laïcité, il ajoute que "les jeunes enseignants sont parachutés notamment en région parisienne sans aucune formation. J'ai l'exemple là d'une jeune enseignante qui va y faire sa rentrée et ne sait pas du tout comment s'y prendre, comment aborder au mieux ces thèmes délicats, comment aborder les parents aussi. Des formations solides sur le sujet pourraient être une solution."

Justement les formations, c'est l'un des leviers mis en avant par l'inspection académique. En 2017, le ministère de l'Education Nationale crée des équipes académiques "valeurs de la République". Une quinzaine de professionnels sont mis en place dans chaque académie, aux expertises juridiques, pédagogiques et éducatives pour lutter avec les enseignants contre les atteintes aux valeurs de la République telle que la laïcité ou la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. "Dès qu'un fait est dénoncé, l'équipe se déplace, analyse la situation et propose une réponse immédiate, explique Christophe Marchand, inspecteur pédagogique régional en histoire-géographie et coordinateur de l'équipe strasbourgeoise. Plus généralement nous proposons des formations notamment continues sur la pédagogie de la laïcité par exemple. Nous avons des outils comme eduscol à disposition sur le site du ministère. Enfin, nous proposons un accompagnement personnalisé par des inspecteurs". L'inspecteur tient par ailleurs à saluer le travail des enseignants sur le terrain. "Il y a des difficultés, mais surtout une grande conviction de la part du corps enseignant qui n'abandonne pas sa mission".
 

C'est la raison qui nous différencie de ces barbares

"Au contraire, ce type d'événement montre à quel point il est indispensable de continuer!, s'exclame Vincent Guinebretière, prof d'histoire-géographie au lycée à Strasbourg et militant pour le Sgen-CFDT. Qu'est-ce qui nous différencie de ces barbares finalement? C'est la raison, c'est ce que nous devons expliquer à nos élèves". Sur l'attentat de Conflans, l'enseignant, du tac au tac : "ça aurait pu être moi", souffle t-il. "Ce qui m'effraie le plus, c'est le pouvoir des réseaux sociaux, ça interroge parce que c'est nouveau. On peut mourir d'exercer le métier d'enseignant, ça aussi c'est nouveau." A la question, est-ce que selon vous la situation s'aggrave dans les rapports avec les élèves, les sujets que l'on peut aborder ou non, Vincent Guinebretière pèse ses mots.

"C'est évidemment une question que nous nous sommes posés au lendemain de l'attentat, alors certes il y a une crispation sur ces questions de laïcité mais je me méfie des interprétations." Comme beaucoup, l'enseignant a dû faire face à certaines réactions, prendre des décisions. "J'ai exclu un élève de mon cours au lendemain de l'affaire Merah parce qu'il avait dit Merah, il a raison ou il a ses raisons. C'est de l'apologie de crime, j'ai fait un rapport et voilà." Et de conclure, "finalement ce qui est important, c'est que l'on sache de quoi on parle, il faut que l'on maîtrise nos sujets, nous sommes écoutés de nos élèves si nous sommes précis".

Garder la foi malgré l'horreur, c'est ce qu'il ressort donc. Mais avec plus de moyens et de considérations, ce serait quand même mieux.




 
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