Des livres trouvent une seconde vie dans l'atelier de reliure de Goxwiller

Rund Um. D'anciens livres précieux, qui ont souffert au fil des ans, mais aussi des livres déchirés, à la valeur uniquement affective, peuvent trouver une seconde jeunesse grâce à l'art des relieurs. Deux d'entre eux, un oncle et son neveu, ont leur atelier à Goxwiller.

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Chaque livre confié à un relieur est un cas unique. Certains ont besoin d'être consolidés, renforcés, pour pouvoir continuer à être manipulés. D'autres, de valeur historique, nécessitent une restauration discrète, mais efficace pour qu'ils ne continuent pas à se dégrader. D'autres encore sont principalement destinés à être de beaux objets, esthétiques, qui font la fierté de leur propriétaire.   

A chaque fois, l'intervention du relieur nécessite de la réflexion, des choix et des soins appropriés, personnalisés. Mais c'est justement cela qui rend le quotidien de Gérard Grucker et son neveu Bruno passionnant. "Il y a toujours des choses à découvrir et à apprendre pour s'améliorer, ou travailler différemment" estime Gérard Grucker. Après plus de quarante ans de métier, ce maître relieur n'a pas perdu l'enthousiasme de ses débuts.

"J'ai toujours aimé lire des livres, et travailler de mes mains" raconte-t-il. "Vers l'âge de 13 ans, je me suis fabriqué un album. Et à 16 ans, une tante de Strasbourg m'a fait découvrir un atelier de reliure. Ça m'a plu, et j'y suis allé comme apprenti." Ensuite, en 1986, il a créé son entreprise à Obernai puis, dès 1992, il s'est installé à Goxwiller.

Quelques années plus tard, il a formé son propre neveu, Bruno Grucker, qui travaille aujourd'hui à ses côtés. "Je passais toutes mes vacances ici" confie ce dernier. "A l'heure du choix professionnel, j'ai d'abord emprunté une autre voie, qui ne m'a pas plu, et je suis revenu." Et sans aucun regret : "Il y a une telle diversité de tâches que je ne m'ennuie jamais."

Une vingtaine d'étapes

Selon l'âge du livre, son état, sa valeur, les souhaits et le budget du client, le relieur peut lui faire subir jusqu'à vingt étapes successives. Le plus souvent, la première consiste à désosser l'ouvrage, et séparer les cahiers qui le composent en retirant les fils, ou parfois la colle, qui les rattachent, afin de repartir sur de bonnes bases.

Les zones déchirées sont consolidées en collant un ruban de papier quasiment invisible. "Mais le scotch est interdit" précise Gérard Grucker. Ensuite, les cahiers soigneusement réassemblés subissent le grecquage : l'incision du dos du livre en plusieurs endroits, à l'aide d'une scie à main. Chaque entaille ainsi créée permettra de loger une ficelle, autour de laquelle les cahiers seront ensuite recousus.

Cette étape du grecquage "ne remonte qu'à l'époque napoléonienne, au début du 19e siècle" explique Gérard Grucker. Avant, on ne pratiquait pas d'incision. La corde ou les nerfs de bœuf utilisés au Moyen-Age restaient en relief sur le dos du livre, et le cuir était directement collé par-dessus.

Pour des raisons purement esthétiques, certains livres, même en restauration, sont agrémentés de faux nerfs saillants, également recouverts de cuirs. Leur relief est même souligné à l'aide de divers outils, "histoire qu'on les fasse un peu ressortir sur le dos du livre qui, autrement, serait un peu fade" estime Bruno Grucker.

Les livres à finition de cuir peuvent aussi être agrémentés de motifs ornementaux, ainsi que d'un titre, gaufrés à chaud à la feuille d'or. "C'est fait à la main avec un fer à dorer" précise encore le relieur. "Les titres aussi sont composés avec nos caractères." 

La couverture de carton nouvellement créée peut être recouverte de toile, de papier cuve marbré, ou de cuir, principalement de chevreau ou de veau. Les couvertures d'antan étaient en bois, et souvent équipées de fermoirs. Lorsqu'il restaure ce genre de volume à valeur historique, Gérard Grucker peut proposer de recréer ce type de fermoirs quasiment à l'identique.

Des clients très divers

Mais beaucoup de livres que les clients viennent déposer à l'atelier de Goxwiller ont avant tout une valeur sentimentale. C'est le cas de ceux de Jacques Gebhardt, un client régulier. Il vient d'apporter un petit livre broché "édité en 1929, qui contient de belles illustrations, de bâtiments qui n'existent plus." Et dont l'auteur est Hansi.

Pour protéger la fragile couverture imprimée, Gérard Grucker propose de lui en superposer une autre, en carton plus robuste. C'est ce qu'il a déjà réalisé sur la demi-douzaine d'autres ouvrages confiés par Jacques Gebhardt, principalement des alsatiques et des livres de cuisine, qui sont déjà prêts.   

Ç'aurait été dommage de les voir tomber en lambeaux et de devoir les jeter" se réjouit leur propriétaire. "Maintenant, je n'ai plus besoin d'avoir peur de les feuilleter. Un livre, il faut pouvoir le prendre en main sans craindre qu'il se disloque." 

La clientèle des deux relieurs de Goxwiller est extrêmement diverse. Beaucoup de particuliers, qui leur confient des livres auxquels ils tiennent, et parfois même des BD. "Certains font aussi des recherches généalogiques, et nous apportent le fruit de leur travail pour le faire relier" précise Gérard Grucker. Et puis, il y a des collectivités : des communes, pour les registres d'Etat civil, et des bibliothèques. Et, bien sûr, des collectionneurs, passionnés de beaux livres.   

Toutes les finitions et créations sont possibles

Les amateurs de pièces uniques, originales, se voient aussi proposer des créations de tous styles, imitation d'ancien comme contemporain. Et dans ce domaine, la créativité semble sans limites. A titre d'exemple, Gérard Grucker présente un livre de poèmes recouvert de cuir rouge gaufré, dans lequel s'enchâsse un disque de percaline verte, sorte de toile froissée et collée. Ou encore une couverture en "mosaïque de cuir", véritable marqueterie de cuirs de diverses couleurs, et "gaufrée à l'or".

L'art de la reliure est aussi vieux que le livre, et remonte vraisemblablement aux alentours du 8e siècle de notre ère. Les deux relieurs de Goxwiller savent qu'ils sont des maillons d'une longue chaîne. Et malgré la croissance du numérique, ils n'ont aucune crainte d'en être les derniers.

"Les dictionnaires, les encyclopédies, ce genre de livres ont tendance à disparaître" reconnaît Gérard Grucker. "Mais il restera toujours des personnes qui préféreront avoir un livre en main, un livre qu'on peut admirer dans sa bibliothèque, et lire sans avoir besoin de courant et d'un écran." Et de conclure : "Le livre ne disparaîtra jamais."

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