438,25 euros la tonne. Nouveau record établi lundi 16 mai à la clôture du cours du blé sur le marché européen. Les prix flambent. Mais cela n’entraîne pas de pénurie de cette céréale. Ni en France, ni en Alsace. Mais cela aura des conséquences néfastes à moyen terme pour les acheteurs.
Ce nouveau record du prix du blé survient après une annonce de l'Inde samedi 14 mai. Le pays interdit désormais les exportations de blé. Deuxième producteur au monde, l’Inde a vu sa production baisser après des vagues d’extrême chaleur.
L’embargo sur ses exportations de la céréale a provoqué un record absolu du prix du blé sur le marché européen. Si le blé se vend à prix d’or, la céréale ne manque pas. La France est autosuffisante dans sa production.
L’Alsace en produit beaucoup et vend même 50% de sa production à l’étranger. Il n’y a donc pas de risque de pénurie. Le problème, c’est le prix.
Le prix du blé est le même pour tout le monde
Prenons un moulin alsacien, celui de Hurtigheim, au cœur du Kochersberg. Son dirigeant achète son blé uniquement en Alsace et en Moselle. Raoul Becker paye le prix de la céréale tel qu’il a été défini par le cours du marché. "Même sans être dépendants des deux gros pays exportateurs que sont l’Ukraine et la Russie, on ne fait pas le distinguo entre ceux qui vont être inquiétés et ceux qui ne vont pas l’être. Le coût du blé n’a rien de local mais est défini quasi mondialement."
Raoul Becker n’a pas tout le temps les yeux rivés sur le cours du blé, trop déprimant. Même s’il va devoir s’approvisionner prochainement.
"On est impacté par cette surenchère sur la céréale. A priori, j’avais assez de blé jusqu’à la prochaine récolte. Mais cette explosion de la demande conduit le particulier au sur-stockage. Le phénomène s’amplifie. Nous on vend beaucoup de petits conditionnements au consommateur, on a observé ce phénomène de stockage. L’activité est plus intense que la normale ce printemps donc ce que j’avais prévu ne suffit pas."
Problème, Raoul Becker doit acheter au prix du marché, soit plus du double du prix du blé l’année dernière. A son échelle, cette flambée du prix est totalement inédite. Elle l’a obligé à augmenter le prix du paquet.
"Selon les farines, il y a une hausse de 10 à 50 centimes le paquet. Par exemple, en augmentant de 10 centimes un paquet d’1,80 centimes, cela correspond à une augmentation de 6%. Pour l’instant."
Le blé alsacien se vend bien
Le comptoir agricole collecte, stocke et vend des céréales alsaciennes depuis plus d'un siècle. Clairement, cette flambée des prix du blé est plutôt intéressante pour cette entreprise. D’autant que le blé est actuellement recherché car il y a moins d’offre. Le comptoir agricole se retrouve donc en position de force pour écouler une partie de son blé alsacien à l’export. C’est ce que nous confirme Antoine Wuchner, directeur d’Eurépi, l’organisme chargé de commercialiser la collecte du Comptoir Agricole et de sa filiale, la société Gustave Muller.
"Ça se gère bien. Je suis actuellement en Hollande chez l’un de mes gros clients. On discute du prix. Aujourd’hui, il convient d’être prudent car on n’a jamais connu ce type de situation."
Une situation imprévisible. Antoine Wuchner vend toute une récolte de blé sur une durée de 18 mois. Dans des temps incertains, c’est long, très long. Il se doit de rester très attentif à ce qu’il se passe sur les marchés. Il y va de l’intérêt des 500 producteurs alsaciens qui travaillent avec le comptoir agricole. Sa mission, évaluer le marché avec l’aide des clients, des courtiers. Et ne pas prendre trop de risques. Ne pas vendre par exemple 300 euros la tonne de blé si celle-ci risque d’augmenter à 400 euros quelques jours plus tard. Les enjeux sont énormes, et de l’aveu du vendeur, le métier aussi palpitant que stressant.
De quoi susciter aussi des inquiétudes. Car avec cette augmentation croissante du prix, quelles conséquences pour les éleveurs ? Antoine Wuchner est conscient qu’eux subissent la situation, quand lui en tire un bénéfice.
"Avec cette hausse du prix du blé, on peut imaginer à terme une baisse de la demande, des crises alimentaires, une mise en danger de certaines industries et des faillites. C’est anxiogène pour plusieurs maillons de la chaîne."
Si le marché fait son travail, la guerre en Ukraine ne semble pas se calmer. Et cela va créer un déséquilibre mondial selon le directeur d’Eurepi aussi président de la bourse des céréales de Strasbourg. Selon lui, "à court terme, la situation logistique ne reviendra pas à une situation normale avant plusieurs mois."
Il n’y aura pas de risque de pénurie en France, même après la nouvelle récolte, car on est autosuffisant.
Raoul Becker, directeur du moulin de Hurtigheim
Raoul Becker tient à faire passer ce message fort : "Il faut rassurer les gens sur la quantité disponible de blé. Il n’y aura pas de risque de pénurie en France, même après la nouvelle récolte (cet été, NDLR), car on est autosuffisant."
En revanche, ce blé à prix d’or peut mettre en péril les moulins les plus fragiles économiquement. C’est l’empilement des coûts qui pose un problème. Il y a l’augmentation du prix du gazole pour livrer les camions. Et les moulins tournent à l’électricité. Une énergie toujours plus chère.
"L’empilement des surcoûts risque de faire des dégâts dans plein d’entreprises. Moi je ne suis pas inquiet pour les deux ans à venir. On est capable d’absorber, de réduire des marges sur quelques mois. Clairement on réduit nos marges en espérant que le prix du blé après la nouvelle récolte devienne plus raisonnable. Mais il ne faudrait pas que cela perdure sinon ça deviendrait vraiment problématique."
Désormais, au-delà du prix du blé, l’autre inquiétude, c’est la sécheresse. A quoi ressembleront les prochaines récoltes ? En Alsace et ailleurs ? C’est la grande question qui hante toute la filière céréalière.