Christophe Roller est installé en Ukraine depuis 2012. Venu d'Alsace, il a ouvert une petite pâtisserie dans les quartiers ouest de Kiev, capitale d'un pays dont il vante l'ouverture et le sens de l'accueil. Les combats y font désormais rage, et impossible pour lui de partir : il doit se terrer dans son appartement entouré de sa famille, avec le bruit des bombardements et des sirènes en fond.
Loi martiale, déclaration de guerre, bombardements... Autant de choses que Christophe Roller n'aurait jamais pensé connaître lorsqu'il s'est installé en Ukraine en 2012.
Boulanger-pâtissier originaire de Reichshoffen (Bas-Rhin), il a enseigné à Haguenau et dans les pays de l'est en tant que démonstrateur international. C'est ainsi qu'il est tombé amoureux du plus grand pays d'Europe (en dehors de la Russie), et essaye depuis d'apprendre l'ukrainien (il parle déjà le russe, mais les deux langues sont loin d'être identiques).
C'est à Kiev, la capitale ukrainienne, qu'il a fondé en 2020 son propre salon de thé-pâtisserie. Il s'agit du Coquelicot, qu'on trouve dans les quartiers ouest de Kiev (voir sur la carte ci-dessous).
Une zone pour le moment relativement éloignée des combats. Mais cela ne veut pas dire que Christopher Roller ne vit pas la guerre au quotidien, terré avec sa famille dans son appartement. Il a livré son témoignage après de France 3 Alsace. "Je viens d'ouvrir ma pâtisserie, on a eu droit à deux ans de covid... et maintenant, on doit porter des casques", résume l'Alsacien dépité.
La guerre est déclarée
Comment avez-vous vécu l'entrée en guerre ?
"Jusqu'à mercredi soir, tout allait bien. On savait qu'il y aurait la guerre, mais on pensait que ça allait rester dans le Donbass. L'invasion de Kiev, c'était un scénario-catastrophe : on n'y pensait vraiment pas. Et dans la nuit de mercredi à jeudi, on a été réveillé par les sirènes et les attaques aériennes. Toute la ville était sous le choc."
Comment se sont enchaînés les évènements ?
"Je suis sorti à 06h00 comme à mon habitude, pour aller à ma pâtisserie. Là, j'ai vu l'ampleur du choc : les gens avec leurs valises qui rejoignaient les abris anti-atomiques, les voitures chargées à bloc pour quitter la ville... Vendredi, les tanks ont commencé à rentrer dans la ville et à attaquer les forces ukrainiennes. La nuit suivante, il y aurait eu une grosse invasion russe dans le centre-ville, qui a été maîtrisée par les Ukrainiens."
Comment faites-vous pour vivre avec les bombardements ?
"Les bombardements ont lieu essentiellement la nuit. La première nuit, on entendait les bombes et missiles voler et taper au loin. La sirène a retenti quatre fois dans mon quartier. Il est à la périphérie ouest de Kiev, où c'est un peu plus calme : je n'y ai pas vu de dégâts. La nuit, on peut voir les artifices des bombes; autrement en journée, on n'a que les bruits réguliers des bombes et le son des sirènes. On ressent les vibrations... Mais ce qu'on ressent le plus, c'est l'incertitude."
Quelles pénuries subissez-vous ?
"On a encore du courant et Internet comme on est dans l'ouest de Kiev. Au nord, c'est coupé toutes les deux heures. Dans les autres villes comme Kharkov et dans l'est, il n'y a plus de connexion pour le courant ou Internet."
Garder le contact
Comment vous informez-vous ?
"On est encore connecté à Internet, donc on a un petit peu de vision extérieure. Les informations qu'on y voit ne sont pas forcément vraies... Chaque Français dans son quartier se joint via des groupes WhatsApp pour qu'on se fasse des compte-rendus. On est en contact avec tout le monde : tout le monde va bien. Et on reste en contact permanent avec l'ambassade de France, qui nous appelle chaque soir en général. Elle nous dit de rester chez nous, s'isoler au maximum : l'évacuation n'est pas possible pour l'instant, et n'est pas envisageable. Après, si vraiment la situation devient catastrophique, on verra si évacuation il y aura [écouter son interview et voir des images de la situation dans notre vidéo ci-dessous; ndlr]."
Qu'aviez-vous prévu à la base ?
"Si j'avais pu, je serais parti à ma datcha dans la campagne, à 120 kilomètres de Kiev, en direction des frontières. C'était mon plan de repli, car là-bas, c'est beaucoup plus calme. Mais à l'heure actuelle, partir pour les frontières, ce n'est pas possible : c'est trop dangereux. Les routes sont coupées. Il y a des trains qui partent, mais qui mettent entre 18 et 24 heures pour arriver à la frontière. Des amis français sont partis en voiture vendredi matin, et ils ne sont arrivés que samedi matin à la frontière avec la Pologne, à environ 900 kilomètres [une sirène retentit; ndlr]."
On entend une sirène... c'est comment, toute la journée ?
"Oui. Elle annonce une attaque aérienne. On se réfugie alors dans la salle de bains, ou dans le couloir. Pour éviter d'être à côté des fenêtres. Le quotidien, maintenant, c'est prendre soin de ma femme et de son garçon. On essaye de passer le temps autant que possible sans y penser, on garde le contact permanent avec notre famille... On a l'opportunité de sortir et se promener autour de la maison pour s'aérer un petit peu, discuter avec les voisins qui sont restés. Mais la ville est vraiment vide, et il n'y a pas grand-monde dans les rues, même s'il reste des lumières aux fenêtres des immeubles. On lit, aussi, et on se prépare."
Tout quitter et sauver sa famille
Comment vous préparez-vous ?
"On fait le tri dans les affaires. Nos sacs sont prêts pour une évacuation éventuelle, visiblement terrestre. Ils pèsent sept à huit kilos et sont très rudimentaires : habits les plus chauds, documents officiels de voyage, argent en cash, beaucoup d'eau... et des tablettes de chocolat. On a un carton de réserves de huit kilos de riz, pâtes, boîtes de conserve, pour tenir quelques jours, avec une petite gazinière. Les magasins sont encore ouverts, mais les produits de première nécessité sont déjà presque tous partis. On en trouve encore juste un peu. Et pour tout le reste, on devrait l'abandonner ici : toute une vie. Mais le plus important pour nous est de vivre et de rester en sécurité."
Le plus important pour nous est de vivre et de rester en sécurité.
Christophe Roller, pâtissier alsacien expatrié à Kiev
Votre épouse est ukrainienne...
"Elle est née en Ukraine, elle a déjà connu la guerre il y a huit ans, lorsqu'elle était à Marioupol, à la frontière du Donbass. Elle a eu une première expérience avec les tirs de bombes, mortiers, et autres. Maintenant, c'est à Kiev, c'est un peu plus stressant même si heureusement, pour l'instant, le quartier reste calme. Mais elle m'a raconté des choses qu'on ne peut pas imaginer."
"Les Ukrainiens ont une côté humain, une envie de découvrir, de partager bien plus qu'en France. L'Ukraine est un pays qui a une riche culture et une belle histoire, un sens de la famille très important. C'est un pays assez froid au premier abord, mais qui est très accueillant, un petit peu comme l'Alsace. C'est un pays en pleine croissance qui se construit depuis une trentaine d'années : il ne demande qu'à se développer, et qui a toutes les capacités pour le faire lui-même, même si la situation en a décidé autrement."
Et la suite ?
"Si on devait partir, les procédures seraient prévues pour rejoindre la frontière. On verrait ensuite pour rentrer ensemble en France... J'ai des amis en Roumanie, en Pologne qui seraient prêts à nous accueillir. On reste confiant pour la suite : on n'en est pas encore là. Et pour les Français qui regardent tout ça d'un oeil lointain, je dis qu'on est là, on est fort. Slava Ukraina : vive l'Ukraine."