Un village français. Plus encore, un village alsacien. Son cœur de bourg, ses maisonnettes, ses parcelles de jardins, ses fleurs en pots. Et ses habitants, charmants, cela va de soi. Il y a pourtant quelque chose qui cloche aux yeux de Vincent Froehly, réalisateur. Lors de l'élection présidentielle de 2022, les électeurs de Liebsdorf ont donné une très large majorité à la candidate du Rassemblement national.
Vous connaissez Astérix ? Et si on transposait l'introduction récurrente à notre époque et — osons-le – si on la délocalisait en Alsace ? Ça pourrait donner quelque chose du genre : "Nous sommes en 2024 après JC. Toute la France est occupée par les immigrés. Toute ? Non ! Un petit village d'irréductibles Alsaciens résiste encore et toujours à l'envahisseur." Vous trouvez ça drôle ? Eh bien, pas tant que ça. Car en réalité, le village de Liebsdorf, dans le Haut-Rhin, ne compte guère de migrants parmi ses habitants. Pourtant, une ambiance d'animosité envers ces supposés "envahisseurs" règne dans le bourg. Aux élections présidentielles de 2022, la candidate du Rassemblement national a recueilli 73,6 % des voix. Un constat qui émeut Vincent Froehly, réalisateur qui décide d'enquêter sur les motivations d'un tel vote de rejet dans le village où il a grandit.
Voici trois raisons de voir "Requiem pour mon village", un documentaire de Vincent Froehly. À voir en intégralité ici.
1. Pour plonger dans la France profonde
L'action se déroule à Liebsdorf, commune du Haut-Rhin, collée à la frontière suisse, où sont installés environ 300 habitants. Mais elle aurait pu se dérouler dans un petit bourg du nord de la Haute-Marne ou dans un village des Hauts-de-France. Un village paisible s'il en est, avec sa brocante annuelle, sa fête des légendes, ses fleurs colorées et ses habitants bonhommes. Ça, c'est pour la carte postale.
Pourtant, au dos de la carte s'inscrivent les résultats des élections présidentielles de 2022. Et c'est ce goût amer qui persiste dans l'esprit du réalisateur Vincent Froehly : "Putain ! 73,6 %". C'est en effet le score qu'a obtenu Marine le Pen au second tour des élections présidentielles de 2022. Un vote de rejet. De la politique ? Peut-être. De l'autre ? Probablement. Alors le réalisateur, originaire du village, qui a déjà tourné un film au même lieu 20 ans plus tôt, décide d'y retourner pour tâter le pouls des habitants.
2. Pour comprendre ce qui définit un village français
En interrogeant les habitants, le réalisateur obtient une définition : "un village, ça devrait être un endroit où il y a une école. Un village c'est quand il y avait un curé qu'était toujours là. La petite épicerie, le bistrot. Il y avait de la vie. Il y avait des gens qui se baladaient, qui discutaient et maintenant, vous pouvez regarder autour de vous : il n'y a rien. On est un peu lâché." Le classique "c'étaitmieuxavantisme". Cette image quelque peu vieille France, où le temps serait suspendu à une époque rêvée, mais totalement fantasmée.
20 ans plus tôt le réalisateur avait déjà dressé le constat, dans son documentaire, "Liebsdorf city" du changement de modèle de village. La communauté de paysans, bien ancrés dans la terre qu'ils occupaient, a dû faire face au remembrement. Les villageois sont allés chercher du travail à la ville, puis en Suisse, où les salaires sont plus élevés. La terre n'est plus nourricière et devient simple dortoir. La campagne devient lieu de repos, de répit, où les activités villageoises n'ont plus la côte. La communauté est devenue somme d'individualités.
3. Pour l'histoire et pour l'avenir
Les anciens le savent bien, qui se souviennent du bruit des bottes nazies. Ainsi, la mère du réalisateur, qui a vécu la guerre affirme : "on n'a jamais voté FN (ancien nom du Rassemblement national); nous, on pensait aux Allemands, on pensait que c'était la même chose que les SS". Mais le temps s'est écoulé et parmi les électeurs de 2022, rares sont ceux qui ont vécu la guerre. Et encore plus rares, ceux qui feraient les mêmes parallèles historiques.
Le pays n'est plus en guerre contre un oppresseur. La paix est bien établie. Les emplois en Suisse ont apporté la richesse aux villageois, qui aspirent à profiter de leurs belles maisons, de leurs grosses voitures. Il faut protéger son petit confort face à celui qui pourrait venir le menacer. Et comme il n'y a plus d'ennemi de guerre, il faut trouver un bouc émissaire : ce sera celui qu'on ne connaît pas, l'étranger, le migrant.
Quel parti repose ses fondements sur cette peur de l'étranger ? Un habitant exprime sa colère : "les Français, ils ont toujours la gueule ouverte. Mais quand il s'agit des élections, ils votent pour les mêmes cons qui les ont entubés. Qu'ils ferment leurs gueules et qu'ils continuent de se faire entuber. C'est tout ce que j'ai à dire. Faut remettre les frontières pour empêcher toute cette immigration. Ça sature. Il y en a trop". Alors pourquoi ne pas essayer un parti qui n'a jamais eu le pouvoir et qui se targue de repousser l'étranger ?
À Liebsdorf, les électeurs n'ont pas hésité. "Putain 73,6 %" souffle le réalisateur qui semble ne toujours en revenir.
"Requiem pour mon village", un documentaire à voir ici.