Au-dessus de trente-cinq degrés, certains métiers sont plus contraignants à exercer que d'autres. Trois employés et artisans nous expliquent comment ils s'adaptent quand les températures s'envolent, au plus chaud de l'été.
Au-delà de trente-cinq degrés dehors, nous sommes nombreux à nous organiser dans nos métiers pour réduire notre activité physique et nous abriter au frais. Mais dans certaines professions, ce n'est simplement pas possible.
Neslie Velten tient un pressing à Oswald, près de Strasbourg. Elle est blanchisseuse depuis de longues années et connaît bien les avantages et inconvénients du métier. En hiver, il fait bon repasser et nettoyer à sec dans sa boutique et les clients viennent avec plaisir s'y réchauffer. Mais en été, tout change.
"Il y a deux ans, on avait des périodes où il faisait plus de 40-42 degrés l'après-midi. J'étais obligée de fermer la boutique, ce n'était plus possible de travailler. Les fers à repasser chauffent, les sèche-linge et machines de nettoyage à sec chauffent. J'ai fait installer deux climatisations, une seule ne suffisait pas."
"Quand on passe en canicule orange, ce n'est plus possible de travailler dans un pressing, alors je ferme."
Neslie Velten, gérante de Stop Pressing à Ostwald
En plus de ses deux climatisations, la gérante a investi dans des ventilateurs sur pied. "Ils brassent du chaud bien sûr, mais au moins ça fait bouger l'air. Et puis on boit beaucoup, beaucoup d'eau et on se vaporise le visage et les bras, même les jambes, avec des brumisateurs d'eau." Pour elle, la meilleure solution consiste à commencer tôt le matin, à la fraîche, pour vivre mieux les périodes les plus chaudes.
Dans l'entreprise de chaudronnerie De Dietrich à Zinswiller, l'augmentation des températures estivales (et parfois dès le printemps, en Alsace) a engendré de nouvelles mesures. "L'été dernier, nous avons mis en place des fontaines à eau fraîche, plate et gazeuse, un peu partout dans l'entreprise, indique le service des ressources humaines de l'entreprise. Et pour inciter les employés à aller boire, nous avons rajouté des sirops de grenadine et de menthe juste à côté."
Des fontaines à eau partout et des horaires de nuit possibles
"Nous sommes également passés en horaires de nuit pour les soudeurs et chaudronniers qui le souhaitent. Les administratifs peuvent venir plus tôt le matin et partir plus tôt l'après-midi. Une campagne d'affichage complète le dispositif "vague de chaleur" avec des conseils de type "comment reconnaître les signes d'alerte, que faire, manger léger, etc"
Régis Haehn, responsable et formateur de l'école de chaudronnerie, exerce lui-même le métier depuis 27 ans. Il forme désormais les nouvelles générations. "Dans notre travail, on porte un bleu de travail, pantalon et veste, des chaussures de sécurité en cuir, fermées. C'est très contraignant, mais on ne peut pas s'en passer."
Leur veste est en cuir épais, pour les protéger du rayonnement et de la chaleur de l'arc de soudage. "Nous portons aussi des gants en cuir épais, une cagoule pour protéger la tête et le cou du rayonnement et le masque de soudage qui est encombrant."
"Dans les modèles de masques à souder les plus récents, les concepteurs ont intégré un petit ventilateur."
Régis Haehn, soudeur et formateur en chaudronnerie/ De Dietrich
Les concepteurs de masques, ont eu l'idée d'intégrer un petit ventilateur sur la ceinture. "Il ne rafraîchit pas mais filtre l'air, ce qui donne tout de même une petite sensation de fraîcheur, même s'il brasse l'air ambiant", précise le responsable de l'école de chaudronnerie.
Impossible de travailler sans tout cet épais et lourd attirail de sécurité alors, en fonction des ateliers, les ouvriers choisissent de venir travailler de 20h30 à 5 heures du matin ou de 5 heures du matin à 13 heures. Parfois, lors des très grosses chaleurs, personnes ne fait les horaires de journée qui vont de 13 heures à 20h30.
Une salle de pause climatisée a aussi été mise à disposition du personnel. Dans les bâtiments de l'entreprise De Dietrich, construits il y a une centaine d'années, les murs n'étaient pas spécialement isolés. On n'avait pas encore les mêmes températures.
Un recrutement difficile
Les bitumiers, qui couvrent de goudron les routes, travaillent aussi dans des conditions particulièrement suffocantes par temps chauds. "J'ai posé du goudron et du bitume à la main pendant 40 ans. On a des chaussures spéciales et des gants, mais ceux qui sont à la raclette pour l'étendre et au cylindre pour l'aplanir sont le plus exposés", explique un maître en application d'enrobé. "Le bitume est chauffé entre 100 et 170 degrés, il faut le poser au bon rythme, parfois vite pour que l'enrobé ne refroidisse pas, sinon on ne peut plus l'étirer."
Heureusement pour ces ouvriers, ce travail s'exécute à l'air libre et parfois la nuit. "Il y a toujours un minimum de vent, on n'est pas dans des halls fermés", précise ce bitumier expérimenté. En été, le métier est encore plus dur. "Il faut savoir ménager son corps, s'arrêter un peu quand c'est possible, on n'est pas des esclaves. Et s'hydrater bien sûr !"
Aujourd'hui, on recrute difficilement pour ces postes, alors les entreprises offrent des primes et des horaires aménagés. Dans les entreprises de BTP, on privilégie la pose d'enrobé dit "tiède" à 130 degrés, plutôt qu'à 170. Il existe même de la pose d'enrobé à froid, mais elle n'est pas (encore ?) usitée en Alsace.
Bientôt une loi qui tiendrait compte du changement climatique ?
D'autres professions encore sont particulièrement exposées aux fortes chaleurs, les cuisiniers derrière leurs fourneaux, les vendeurs de doners kebab devant leur grill, les verriers dans les cristalleries et quelques autres. Il n'existe pas, en France à ce jour, de texte de loi permettant aux employés de ne pas venir travailler en cas de chaleurs caniculaires. Mais les entreprises s'adaptent au fur et à mesure et selon les cas dans leurs domaines d'activité. Les employeurs ont des obligations d'informer les employés sur les risques et doivent prévenir au mieux leur santé.
Dans le BTP, depuis un décret paru fin juin, en cas de vigilance canicule orange ou rouge, les employeurs peuvent mettre leurs ouvriers au chômage. Ceux-ci toucheront 75% de leur salaire brut. Ce dispositif était déjà possible en cas de gel, de neige ou de vent.
Une proposition de loi a également été déposée en juillet 2023 par la députée Mathilde Panot (LFI/NFP) et Caroline Fiat (aujourd'hui ancienne députée) pour "adapter le Code du travail aux conséquences du réchauffement climatique". Les écologistes proposent d'y introduire "un droit de retrait dès 33 degrés." Que deviendra cette proposition de loi ? Réponse dans les prochains mois.