Le prix Nobel de la Paix a été remis ce lundi à Oslo à deux défenseurs des droits, dont le gynécologue congolais Denis Mukwege, qui oeuvre pour soigner les femmes victimes de violences sexuelles. Parmi les invités, Pierre Yeremian, un Alsacien qui travaille avec son ONG aux côtés de ce médecin.
La première rencontre entre Pierre Yeremian, un Alsacien président de l'ONG Inter développement et solidarités et le Congolais Denis Mukwege, "l'homme qui répare les femmes", co-lauréat du prix Nobel de la paix, a eu lieu à Strasbourg en 2014, lors de la remise du prix Sakharov. Depuis, cet ancien consultant hospitalier se rend deux fois par an en République démocratique du Congo, pour travailler aux côtés du gynécologue. Il s'occupe principalement de formation avec son ONG.
Très ému d'être invité à la cérémonie il décrit le gynécologue de 63 ans comme "un homme d'une humilité incroyable. C'est un homme qui porte aussi la souffrance de son peuple dans ses tripes, c'est un enfant du pays, il n'est pas intéressé par l'argent, ni par la politique, ni par faire carrière, mais il a surgi dans l'espace médiatique international par nécessité."
Au mois de janvier, Pierre Yeremian retournera au Congo. Un concert de gospel sera organisé samedi 15 décembre à 20h au Temple Neuf de Strasbourg dans le but de récolter des fonds pour son ONG.
Les Nobel de la paix lancent un SOS pour les victimes de violences sexuelles
En recevant leur Nobel de la paix lundi, le Congolais Denis Mukwege et la Yazidie Nadia Murad ont appelé à renoncer à l'indifférence et à protéger les victimes de violences sexuelles, selon eux souvent reléguées derrière des considérations mercantiles. Le gynécologue de 63 ans et l'Irakienne de 25 ans, ex-esclave des jihadistes devenue porte-drapeau de sa minorité, ont reçu le prix des mains de la présidente du comité Nobel, Berit Reiss-Andersen, qui a salué "deux des voix les plus puissantes au monde aujourd'hui" contre l'oppression des femmes.
Lors d'une cérémonie fleurie et musicale, ponctuée de standing ovations, de larmes et de youyous, dans l'Hôtel de ville d'Oslo, les deux lauréats ont interpellé la communauté internationale et réclamé la fin de l'impunité pour les auteurs de violences sexuelles en temps de guerre. "Ce ne sont pas seulement les auteurs de violences qui sont responsables de leurs crimes, mais aussi ceux qui choisissent de détourner le regard", a afirmé Denis Mukwege dans son discours de remerciement. "S'il faut faire la guerre, c'est la guerre contre l'indifférence qui ronge nos sociétés".
Surnommé "l'homme qui répare les femmes", le gynécologue de 63 ans soigne depuis deux décennies les victimes de violences sexuelles dans son hôpital de Panzi dansl'est de la République démocratique du Congo (RDC), région déchirée par des violences chroniques.
Dans des propos aux accents politiques à l'approche d'élections prévues le 23 décembre en RDC, ce critique du régime du président Joseph Kabila a dit voir "les conséquences déchirantes de la mauvaise gouvernance". "Bébés, filles, jeunes femmes, mères, grands-mères, et aussi les hommes et les garçons, violés de façon cruelle, souvent en public et en collectif, en insérant du plastique brûlant ou en introduisant des objets contondants dans leurs parties génitales", a-t-il énoncé.
Watch the very moment Nadia Murad and Denis Mukwege received their #NobelPeacePrize diplomas and medals.#NobelPrize pic.twitter.com/Js9vwuaYBh
— The Nobel Prize (@NobelPrize) 10 décembre 2018
Comme des milliers de femmes yazidies, sa colauréate Nadia Murad a été enlevée, violée, torturée et échangée par les jihadistes après l'offensive de l'EI contre cette communauté kurdophone du nord de l'Irak en 2014. Ayant réussi à s'évader, elle se bat aujourd'hui pour que les persécutions de son peuple soient reconnues comme génocide. Les yeux humides lundi, elle a plaidé pour les femmes et enfants - plus de 3.000 selon elle - toujours aux mains de l'EI.
"Il est inconcevable que la conscience des dirigeants de 195 pays ne se soit pas mobilisée pour libérer ces filles", a-t-elle estimé dans un discours en kurde. "S'il s'était agi d'un accord commercial, d'un gisement de pétrole ou d'une cargaison d'armes, gageons qu'aucun effort n'aurait été économisé pour les libérer".
"Oligarchie prédatrice"
M. Mukwege a aussi déploré que le sort de la population congolaise passe au second plan derrière l'exploitation sauvage des matières premières. "Mon pays est systématiquement pillé avec la complicité des gens qui prétendent être nos dirigeants", a-t-il affirmé. "Pillé aux dépens de millions d'hommes, de femmes et d'enfants innocents abandonnés dans une misère extrême tandis que les bénéfices de nos minerais finissent sur les comptes opaques d'une oligarchie prédatrice". Lui en costume sombre, elle en robe bleue et noire, tous deux ont appelé de leurs voeux une réaction de la communauté internationale.
Pour M. Mukwege, les États doivent mettre fin à l'impunité "des dirigeants qui ont toléré, ou pire, utilisé la violence sexuelle pour accéder au pouvoir", soutenir la création d'un Fonds global de réparation pour les victimes de violences sexuelles, et sortir des tiroirs un rapport de l'ONU cartographiant les crimes de guerre et violations de droits en RDC. Sous le regard de l'avocate et militante des droits de l'Homme libano-britannique Amal Clooney qui a rejoint sa cause, Nadia Murad a imploré la planète de protéger son peuple.
"La protection des Yazidis (...) est la responsabilité de la communauté mondiale et des institutions internationales", a-t-elle affirmé. "Sans cette protection internationale, rien ne nous garantit de n'être pas une fois de plus exposés à de nouveaux massacres menés par d'autres groupes terroristes". Les Nobel des autres disciplines seront également remis ce lundi à Stockholm, à l'exception notable de celui de Littérature, reporté à 2019 à cause - paradoxalement - d'un scandale de viol ayant secoué l'Académie suédoise. Le prix consiste en une médaille d'or, un diplôme et un chèque de 9 millions de couronnes suédoises (871.000 euros).