Alors que la Collectivité européenne d'Alsace avance sur la mise en œuvre de sa taxe poids lourds, les entreprises de transport routier accentuent leur pression. Elles lancent une pétition pour dénoncer une mesure inacceptable et dangereuse pour l'économie locale.
Elle était annoncée pour 2025, son déploiement a pris du retard, mais la taxe poids lourds devrait bien voir le jour en 2026. C'est en tout cas la volonté de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA), qui poursuit son travail dans ce dossier. Avec un objectif affiché : réguler le trafic des camions étrangers sur les routes alsaciennes.
"Lorsque l'Allemagne s'est dotée d'une taxe - la LKW Maut - des milliers de camions se sont reportés chez nous, explique Jean-Philippe Maurer, vice-président de la CEA en charge des réseaux et mobilités. Cela a des conséquences directes sur nos infrastructures. Il faut que ceux qui circulent assument les coûts". Et c'est d'autant plus urgent, selon lui, depuis que l'Allemagne a voté une augmentation de 80% de sa taxe en décembre 2023. Avec le risque pour l'Alsace de devoir accueillir encore plus de véhicules.
Mais l'argument ne tient pas, selon la Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR) Alsace. "Seul 15 % du trafic de poids lourds qui traverse le territoire est issu du trafic étranger. 85 % des flux sont donc liés à l'activité de nos entreprises", estime ses membres. Elle vient de lancer une pétition : "NON à la Taxe Poids Lourds ! OUI au pouvoir d’achat des consommateurs !"
La survie d'entreprises alsaciennes serait en jeu
Pour les transporteurs de la région, ce "R-Pass" impacterait avant tout les entreprises locales. Brigitte Kempf, trésorière de la Fédération, a évalué les conséquences sur la société qu'elle dirige à Scherwiller (Bas-Rhin). Elle s'est pour cela basée sur le principe d'une taxe à 19 centimes par kilomètre, appliquée sur les routes fréquentées par plus de 900 véhicules chaque jour, tel que stipulé dans la loi. Résultat, un surcoût qui représenterait 7 % de son chiffre d'affaires, soit 90 000 euros.
"On n'a pas les moyens de le prendre en charge. Derrière tout cela se joue la survie d'entreprises alsaciennes", martèle-t-elle, affirmant que tout le tissu économique local ferait les frais de la taxe : "Si on voulait plomber une économie, on ne s'y prendrait pas autrement. Nous, Transports Kempf, ne transportons pratiquement que des produits agricoles et viticoles qui ne sortent pas du territoire alsacien. On sera obligés de répercuter la hausse des coûts sur nos clients".
Des clients qui devront à leur tour augmenter les prix de leurs produits... D'où l'idée de la pétition : ouvrir les yeux des consommateurs. "Les Alsaciens sont ceux qui consomment le plus de produits locaux, on se tire une balle dans le pied. Il faut que les gens comprennent qu'à la fin, ce sont eux qui paieront. La CEA avance que 80 % des citoyens sont favorables à la taxe poids lourds, sauf qu'eux ne sont pas au courant qu'ils devront assumer les 40 millions d'euros dont elle dit avoir besoin", alerte Brigitte Kempf.
Les transporteurs routiers croient en l'abandon de la taxe
Jean-Philippe Maurer, vice-président de la collectivité, reconnaît un impact sur les transporteurs, mais un impact "modéré". "Les tarifs ne vont pas doubler, conteste-t-il, tout en réaffirmant l'utilité du R-Pass. Nous avons ciblé des axes précis sur lesquels près de 50 % des poids lourds sont des étrangers, à savoir le réseau Nord-Sud A35, A36 et la RD83 dans le Haut-Rhin."
La Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR) Alsace soupçonne surtout la CEA de vouloir gagner de l'argent. Avec un tarif inférieur aux 34 centimes en vigueur en Allemagne, la taxe française ne serait pas dissuasive selon les professionnels de la région. Et si le montant s'alignait sur celui pratiqué outre-Rhin, il serait encore plus difficile à supporter pour eux. Autrement dit, ils estiment qu'aucune solution n'est la bonne, si ce n'est l'abandon pur et simple de cet "inacceptable R-pass".
"Notre but n'est pas de frapper trop fort sur les Alsaciens, mais bien d'endiguer le report de circulation qui détériore la qualité des infrastructures, du trafic et de la vie en Alsace. On ne peut malheureusement pas distinguer les poids lourds en fonction de leur origine, ce serait de la discrimination et c'est interdit par la loi", rétorque encore Jean-Philippe Maurer.
La CEA, qui est d'ailleurs la seule de France à avoir le droit d'instaurer une taxe pour les poids lourds sur son territoire depuis une loi du 28 février 2022, finalise actuellement une étude d'impact sur la question. Le concessionnaire n'a pour l'heure pas été choisi. Dans les prochains mois, une délibération sera soumise aux conseillers d'Alsace, tandis qu'une consultation citoyenne pourrait être organisée.
D'ici là, les transporteurs alsaciens, qui se disent déjà suffisamment éprouvés par l'inflation, promettent de maintenir la pression. Des manifestations pourraient avoir lieu dans les prochaines semaines.