Témoignage. Cette médecin voit sombrer l'hôpital public "un peu comme le Titanic"

Publié le Écrit par Vincent Lemiesle
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Médecin au sein d'un hôpital public depuis quelques années, elle voit la situation se dégrader de plus en plus. Fuite du personnel, dégradation des soins, elle raconte le dur quotidien d'un praticien hospitalier confronté à une réalité méconnue du grand public.

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Elle a la quarantaine, est praticien hospitalier depuis 2019, responsable d'unité d'hospitalisation dans un service de médecine polyvalente d'un hôpital alsacien. Parce qu'elle aime son métier et est attachée au milieu hospitalier, elle dit vouloir porter à la connaissance du plus grand nombre la façon dont l'hôpital public est en train de sombrer. Pour en parler, elle ne peut le faire qu'en gardant l'anonymat.

D'emblée, le constat tiré est alarmant : "il se passe des choses gravissimes à l'hôpital, l'état des hôpitaux et des médecins est catastrophique. Les médecins travaillent d'arrache-pied pour une rémunération ridicule au regard du nombre d’années d'études passées, 10 ans minimum".

Et surtout, "plus les hôpitaux se vident de leurs médecins, plus la charge de travail est énorme. Or, en ce moment, les hôpitaux de France sont en train de se vider. De moins en moins de médecins veulent devenir praticien hospitalier". Elle nous dit pourquoi.

Quelles sont les étapes pour devenir praticien hospitalier ?

"Souvent, quand on veut se lancer dans un parcours hospitalier après les années de spécialisation, il faut faire deux années qu'on appelle soit assistant des hôpitaux, soit chef de clinique. Cela avec une rémunération ridicule. Dans tous les services, vous avez des internes qui gagnent 1600 euros par mois, avec des semaines qui vont largement au-delà des 35 heures. Quand vous êtes assistant, la rémunération en première année ne monte pas plus haut que 2100 euros net, sans gardes. 

Après, on a un poste contractuel qu'on renouvelle tous les six mois, le temps d'avoir un poste fixe, en tant que praticien hospitalier. Pour ça, il faut passer un concours d'un grotesque extrême où on présente tout ce qu'on a fait dans notre carrière.

En fait, il s'agit juste de se présenter devant une commission, des gens assis autour d’une table, et de raconter votre vie pendant 10 minutes. Ils décident si vous êtes apte ou pas à travailler dans un hôpital. Je vous avoue que quand vous avez des collègues qui ont été refusés, vous vous demandez où on en est, alors qu'on manque de médecins. 

L'année dernière, j'ai des collègues qui n'ont pas eu leur poste de praticien hospitalier parce qu'ils n'ont pas pu passer le concours. La lourdeur bureaucratique dans toute sa splendeur.

Au bout du parcours, quand on a passé le concours et qu'on a le poste de praticien hospitalier, là, on est tranquille, c'est-à-dire qu'on va rentrer dans le monde hospitalier. Si tout s'est bien passé pendant la période probatoire d'une durée d’un an".

Comment s'est dégradé l'hôpital public ?

"Les grilles ont été relativement augmentées depuis la loi Ségur, mais il n'y a aucune attractivité, en fait. Dans notre service, cela fait 7 mois qu'on recherche un médecin thésé (qui a passé sa thèse). Personne ne veut venir et c'est comme ça dans tous les hôpitaux de France, c'est un vrai problème.

Et c’est pire à l’hôpital universitaire alors qu’avant, il fallait batailler pour avoir un poste. Pour être chef de clinique dans un hôpital, comme celui des hôpitaux de Strasbourg, tous les coups étaient permis. Maintenant les postes ne sont pas pourvus.

Depuis 2015, date à laquelle j'ai fini mon assistanat, je vois la qualité des soins se dégrader. C'est quelque chose que le public doit savoir. Elle s'est beaucoup dégradée sans espoir d'amélioration si les postes d’assistant ou de chef de clinique restent sous-payés : quand vous êtes assistant des hôpitaux, vous êtes une main d'œuvre bon marché.

Le public pense qu'on est nombreux et surpayés, mais non. Non, malheureusement, ce n'est pas le cas. Les hôpitaux cherchent toujours une manière de moins nous payer et d'avoir des postes pas chers, comme "faisant fonction d'interne" ou assistant des hôpitaux, des postes peu rémunérés par rapport à un praticien hospitalier. Quand on est à l'hôpital, on fait des week-ends qu'on ne récupère pas, on est d'astreinte le soir. Le travail à l'hôpital est un travail en continu.

Les médecins, maintenant, veulent aller en clinique privée où ils sont payés jusqu'au double et où la charge de travail est répartie correctement, parce qu'il y a plus de médecins. Le problème aujourd'hui dans les services de médecine, notamment de médecine polyvalente, c'est qu'il n’y a pas assez de médecins thésés, du coup la charge est excessive".

Selon vous, qu'est-ce qu'il faudrait faire pour rétablir le niveau ?

"Il faudrait rendre attractif le milieu hospitalier, surtout au niveau de la rémunération. C’est en train d'évoluer, ça va un petit peu mieux, mais on est encore loin du but. Il faudrait aussi améliorer le travail en soi. Je suis dans un hôpital de périphérie, avec un bassin de population énorme. L'absence de neurologue, de pneumologue, par exemple, est un vrai souci.

Il faut donc injecter du personnel médical thésé et améliorer la qualité des soins au sein de l'hôpital. Aujourd'hui, on envoie souvent les patients faire des examens dans le privé, à Strasbourg notamment, parce que dans le public, les délais sont énormes.

On a du mal à remplacer les médecins qui partent. Tout le monde veut travailler dans le privé parce que la rémunération est plus attractive, parce que chaque heure est payée et parce que les horaires à rallonge sont correctement payés. À l'hôpital, vous n'avez pas d'heure de fin. Vous avez une heure d'entrée, mais vous ne savez pas à quelle heure vous allez sortir".

Quel est le sort des médecins étrangers ?

"En France, ils sont soumis à une forme d'esclavage. Si les hôpitaux tiennent encore la route, notamment dans les petits hôpitaux périphériques, c’est grâce aux médecins étrangers. Les médecins ont souvent des accords, avec les internes d'autres pays, particulièrement ceux du Maghreb, l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, mais également d'Afrique noire. La manière de les traiter est scandaleuse, ils sont payés une misère et on les fait poireauter lamentablement.

Il y a beaucoup de médecins spécialistes qui veulent venir travailler en France et qui finissent avec un statut qui s'appelle "faisant fonction d'interne" où ils sont payés littéralement 1350 euros, alors qu'un interne est payé 1600 euros.

Les collègues venant d'Algérie ou de Tunisie travaillent vraiment bien, ils sont excellents. Certains doivent attendre cinq ou six ans avant que leur dossier passe devant la commission.

Mais le problème avec les médecins étrangers, même s'ils travaillent très bien, c'est qu'ils n'ont pas de numéro RPPS (identifiant unique et pérenne attribué dès l'inscription à l'ordre des médecins). Donc, ils doivent être sous couvert d'un médecin, ce qui veut dire qu'il faut signer tous leurs comptes rendus, comme pour de simples étudiants. Il y a des services où il n'y a que deux ou trois praticiens hospitaliers pour 30 à 33 lits, avec des consultations ambulatoires qu'il faut superviser. Ce n'est pas tenable.

Il faut en finir avec ça. Je vous avoue que l'hypocrisie de la société française est insupportable. Sans les médecins étrangers, les praticiens hospitaliers seraient tous partis depuis longtemps".

Qu’est-ce-ce qui vous fait tenir malgré tout ?

"J'aime enseigner. Il faut bien qu'il y ait une relève. J'ai été formée pendant mon internat par des gens extraordinaires qui étaient à mes côtés et je me dois de transmettre ça à mon tour. On est un service apprécié, il y a plein de choses positives.

Je voulais vraiment alerter sur le piteux état des hôpitaux en général, mais il y a un amour quand même pour le milieu hospitalier. On l'aime un peu comme le Titanic qui est en train de couler : on aime le bateau, on ne veut pas le voir sombrer, on s'y accroche".

 

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