À l'heure où les reconversions explosent, dopées par la crise sanitaire, Georges Villeval a franchi le pas il y a 10 ans. Ancien restaurateur à Charleville-Mézières, il a tout plaqué pour vivre de sa passion : les chevaux de trait. Il ne regrette jamais d'être devenu cocher-charretier.
Il a le regard rieur et le bagou de celui qui a traversé des tempêtes et des déserts aussi. Chacune des ridules sur son visage raconte les 1.000 vies qu'il a eues. Georges Villeval a 55 ans et une barbe qui ferait pâlir d’envie le capitaine Haddock. Ils ont en commun une verve intarissable : “Il y a 10 ans, j’ai fait une crise de la quarantaine qui a bien tourné !”, s’exclame-t-il.
Ce natif des Ardennes dirige à l’époque l’équipe d’une brasserie de la place Ducale à Charleville-Mézières. Un poste à responsabilités acquis après de multiples expériences dans la restauration et la grande distribution. Sa carrière, il la commence comme apprenti-cuisinier au restaurant “Au tout va bien” dans la capitale ardennaise, avant de grimper les échelons dans d’autres entreprises. Mais petit à petit, le ciel s’obscurcit et cette ascension se transforme en épreuve.
J’en avais marre de ce que je faisais, de mes responsables. Moi, je suis un peu un loup, rarement un chien. Et le collier me serrait trop.
Commence alors une quête de sens. “J’ai porté un costume, j’ai été un dandy pour ma grand-mère. Mais quand elle a disparu, que je n’ai plus eu à lui plaire, j’ai remis en question beaucoup de choses”, se remémore-t-il.
“Avoir les reins solides”
Georges Villeval décide de vivre de sa passion. Il troque les chaussures cirées et les chemises blanches contre les bottes et les imperméables et se lance dans la traction animale. Ses nouveaux collègues : des chevaux de trait. “Moi, j’étais du genre à sortir de l’autoroute pour aller admirer un cheval que j’avais aperçu sur le bord de la route”, raconte-t-il, dans un sourire.
Il devient cocher-charretier. Un nom désuet pour un métier venu d’une autre époque. Accompagné de ses chevaux de trait, il effectue de nombreux travaux, comme du débardage en forêt pour déplacer des troncs d’arbres ou encore du ramassage d’ordures à Charleville-Mézières. “Je suis un anachronisme, j’aurais dû naître 30 ans plus tôt. Pas dans les années 60 mais dans les années 30. Le cheval avait alors toute sa place”, confie l’Ardennais.
Mais c’est aux codes de notre époque qu’il doit se confronter lorsqu’il se reconvertit, il y a 10 ans. Pas facile de se lancer dans un métier qui renoue avec le rythme de la nature à l’heure où le temps se monnaye. “Il faut avoir les reins solides, être prêt à manger des patates à l’eau pendant un moment. Et de la vache enragée aussi, car le parcours est rude."
Les premières difficultés sont d’ordre financier. Georges Villeval doit s’équiper : les chevaux bien sûr mais aussi le matériel de traction et tous les frais annexes comme les soins médicaux ou la nourriture. Un coût minimum de 50.000 euros au départ. “Il ne faut pas se lancer une main devant, une main derrière. Moi, je n’avais pas les moyens de faire autrement mais honnêtement, je le déconseille. Il faut un peu de trésorerie au départ, sinon, c’est dur.”
Changer de vie, beaucoup en rêvent aujourd’hui, à l’heure où la crise sanitaire bouscule beaucoup de certitudes. Selon le 2e baromètre CentreInffo/CSA publié en février, un actif sur cinq préparerait une reconversion professionnelle. Une nouvelle page qu'il est important de ne pas idéaliser selon Georges Villeval.
La plus belle des récompenses
“Si j’ai un conseil à donner à tous ceux qui pensent à se lancer, c’est d’être sûr de soi et de son entourage. C’est lourd à porter, chronophage. Il y a les difficultés financières, le manque de temps libre… Ça ne peut pas être vécu comme un simple projet personnel”, analyse le cocher-charretier.
Plusieurs fois, le Carolomacérien pense à arrêter. Un pas en arrière, simple à franchir, surtout lorsque d’anciens collègues l’appellent pour lui proposer du travail : “À chaque fois que j’y ai songé, ma réponse a toujours été la même : “C’est impossible”. Je suis pugnace. Et surtout, mes chevaux n’ont rien demandé, eux. Si j’arrête, ils deviennent quoi ?”
Aujourd’hui son quotidien est rythmé par les missions de ses huit compagnons. Chaque semaine, ils assurent, ensemble, le ramassage des ordures dans les rues de Charleville-Mézières. En été, l’heure est aux balades touristiques. Au printemps, direction les vignes de champagne pour des travaux de labour. L’image est belle. Bucolique. Une fierté pour Georges Villeval, qui ne se lasse jamais d’admirer ses chevaux.
La quête de sens aura été tumultueuse. Au bout du chemin, la certitude d’être au bon endroit. Et la plus belle des récompenses. Son fils, Valentin, 22 ans, a lui aussi chaussé les bottes de cocher. “Avoir mon fils qui travaille avec moi aujourd’hui donne une nouvelle dimension à tout ça. Je me dois de préparer l’entreprise pour lui laisser un cadre de travail serein. Et je n’ai plus aucun doute : j'ai trouvé une raison de me lever tous les matins”, lâche-t-il dans un dernier regard espiègle.