​​​​​​​"Le militantisme ne sert pas à grand-chose" s'insurge le fondateur de la Hulotte, écolo de la première heure

Depuis 1972, dans les Ardennes, Pierre Déom conçoit et rédige seul le journal de la Hulotte, magazine mythique des amoureux de la nature. Plus de 140.000 abonnés reçoivent dans leur boîte aux lettres cette ode à la biodiversité. L’ancien instituteur de profession a répondu à nos questions.

Installé à Boult-aux-Bois, dans les Ardennes, Pierre Déom s'exprime rarement dans les médias. Il refuse d'ailleurs d'être filmé ou pris en photo. Cet ancien instituteur, devenu l'unique contributeur du mythique journal de la Hulotte, porte un regard critique sur le monde contemporain et son rapport à la nature. Fervent défenseur de la biodiversité, il a traversé plus de quatre décennies d'engagement écologique. C'est dans sa demeure ardennaise qu'il nous a reçue.
 

L'aventure de la Hulotte a commencé en 1972?

"En fait, j'avais participé avec mes amis à la création d'une association. On était très préoccupés par ce qui, à l’époque, ne s'appelait pas encore l'écologie, et on voulait vraiment faire évoluer les esprits. Mais on prêchait dans le désert, ça n'inspirait personne, alors, un peu par la force des choses, on s'est dit qu'on allait d'abord s'adresser aux enfants. Et le journal a tout de suite trouvé son lectorat. Des familles se sont abonnées, des adultes."
 

Est-ce que vous vous engagez à travers la Hulotte ?

"Moi ce que je veux montrer, c'est la complexité, la beauté du monde. Je veux montrer que chaque animal, c’est comme un monument historique. Notre-Dame de Reims a été bombardée par les Allemands, et vous n'y voyez plus rien aujourd'hui. Il y a encore quelques pierres éboulées, mais elle a été reconstruite à l'identique. Mais, une espèce disparue ne reviendra jamais. On a un trésor merveilleux qui est là et qu'on laisse être dévasté, ruiné, éliminé de façon scandaleuse."
 
"Donc j'essaie de montrer cette complexité, cette richesse. Et le fait de le faire à l'occasion d'un animal, d'une petite bête comme une coccinelle, permet de voir toutes les interactions avec les autres animaux : ses proies, les espèces qui vont défendre ses proies comme les fourmis [qui défendent les pucerons ndlr], la concurrence entre prédateurs…. Toute cette mécanique extraordinairement compliquée et qui est en place depuis des milliers et des milliers d’année. Tout fonctionne à merveille, et puis à un moment, l’homme arrive et tout d’un coup, tout se dérègle."

"C'est ce qui s'est passé avec les coccinelles. Vous avez la coccinelle américaine qui fonctionne dans les champs à la satisfaction générale. Ils ont introduit des coccinelles étrangères en pensant qu'elles seraient plus efficaces, et les coccinelles étrangères se sont répandues et ont éliminées complètement les espèces indigènes, qui sont en train de disparaître. Et tout ça s'est passé en l'espace de dix, quinze ans."
 

Quand on a un engagement comme le votre, quel regard on porte sur le monde actuel? 

"Oui... c'est... [Il cherche ses mots] Je ne sais pas quoi vous dire en fait. La prise de conscience est tout à fait impressionnante depuis un an, c'est vraiment un tournant historique. Mais en même temps, les destructions vont dix fois plus vite. Ce qui se passe avec les abeilles, c'est quelque chose de tout à fait effrayant, personne n'aurait pu imaginer ça il y a 20 ans. Et les abeilles, c'est la partie émergée de l'iceberg. On voit qu'elles disparaissent, parce qu'il y a des apiculteurs pour les élever et constater le désastre qu'elles subissent. On commence à voir qu'il y a des milliers d'espèces d'insectes qui sont dans la même situation et qui disparaissent dans l'indifférence générale. En tout cas dans la méconnaissance générale, car ils sont peu suivis. Il y a peu de spécialistes et très peu d'argent pour les étudier."
 

Est-ce que vous êtes optimistes d'une certaine manière, ou est-ce que ces nouvelles vous angoissent?  

"Et vous?"


Elles m’angoissent, comme elles angoissent toute ma génération je pense. Je crois qu’il y a même un pan entier de psychanalyse qui se développe sur ce sujet? En même temps, c’est que l’on se sent concernés. Et vous, qu’est-ce que l’on pense quand on l’a d’une certaine manière, vu venir?

"Ce qui est effrayant, c'est qu'il y a des forces absurdes quand on y réfléchit, qui empêchent de réagir, des lobbys. Regardez, l'histoire du glyphosate. C'est incroyable. C’est un poison avéré, tout le monde le sait, et pourtant rien n'est fait. On nous dit, "par quoi on va le remplacer ?"  il y a toutes sortes d'agriculteurs bio qui ne s'en servent pas et ils arrivent tout de même."

"Il y a vraisemblablement des gens qui veulent continuer à fonctionner comme ça – je ne parle pas des agriculteurs, je parle des vendeurs, tous les gens qui sont financièrement énormément intéressés par la poursuite de ce système, qui finira par les tuer. Personne n'y échappera. Pas le glyphosate, mais au réchauffement climatique, dans le fond c’est la même chose."

"Regardez comment on fait réunion internationale sur réunion internationale. On fait des promesses solennelles et dans les faits, rien n'est tenu. La France ne tient pas du tout ses promesses. Et ce n'est pas que la France. Donc c'est difficile d'être optimiste pour ces choses-là. Par contre, c'est vrai que le peuple est en train de prendre conscience de choses et puis on ne sait pas finalement. Ce qui va se passer, on ne sait. Cette année, il s'est passé quelque chose ça c'est clair."
 

Pensez-vous avoir eu un impact pendant les 47 dernières années?

"Non, je n'ai pas ce genre de préoccupations, je fais ce que j'ai à faire. J'ai, par la force des choses, un peu dû réfréner mon enthousiasme et mes croyances. Même si les choses sont en train de changer aujourd'hui, pendant très longtemps… [il hésite] Vous savez. J'ai été frappé par une idée, dès le début de mon travail. Une chose m'a toujours frappé, c'est l'agriculture biologique. Pendant très longtemps, elle n’a pas décollé. Il y avait très peu d’agriculteurs bio. On nous a expliqué que c’était un truc qui ne marchait pas, et puis que ça marchait peut-être, mais qu’on ne pourrait pas nourrir l’humanité avec ça. Et ça a patiné, patiné. Et puis un jour, tout à coup, elle a commencé à se développer. Et qu'est ce qui a fait ça ? C'est la vache folle. Les gens ont eu peur de ce qu'ils avaient dans leur assiette. Dans toutes les classes de la société, ils se sont dit "on nous fait manger n'importe quoi". La prise de conscience a été brutale, et depuis, l'agriculture biologique n'arrête pas de monter. Et les critiques, c'est terminé, on en parle plus."

"Et le nucléaire. Dans mes premières années de la Hulotte, j’étais tout à fait opposé au nucléaire, j’avais une activité militante, j’allais manifester, etc. On était quelques écolos chevelus, qui expliquaient que les centrales étaient dangereuses, à côté des hommes en costumes cravates qui étaient des ingénieux, bardés de diplômes, qui expliquaient qu’il n’y avait aucun soucis, qu’on était des retardataires et des passéistes. Et puis un jour, vous avez eu Tchernobyl. Et là, les choses ont commencé à changer, mais seulement à ce moment-là."

"Donc je crois que malheureusement, le militantisme ne sert pas à grand-chose."

Ah oui ? Pourquoi, il faut des catastrophes?

"Ah oui je crois oui, je crois qu'il faut des catastrophes. Bon. Voilà, ça dépend des sujets aussi. On peut faire évoluer sur des petites choses… Mais voilà."
 

Il ne faut pas faire les choses en pensant à l'impact que l'on peut avoir alors?

"Oui, il ne faut pas se raconter d'histoires. Moi, j'essaie de reproduire chez le lecteur l'émerveillement qui était le mien quand j'ai commencé à découvrir les oiseaux à travers les livres d'un ornithologue très célèbre, Giroudet, qui a fait une œuvre magistrale, littéraire, très poétique. J'essaie de montrer ça : chaque animal pourrait être un chapitre d'un grand roman."

 
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