Y aura-t-il un vrai sapin à Noël se demandent les producteurs belges et français, avec l'interdiction des jardineries et des magasins de vendre autre chose, que des produits de première nécessité ? Le Grand Est est beaucoup approvisionné par la Belgique.
Le sapin naturel a une saison de commercialisation uniquement de cinq semaines et la saison débute à partir du 15 novembre en plein confinement. La crise sanitaire liée au Covid-19 inquiète énormément les producteurs de sapin aussi bien en Belgique qu'en France. L'inquiétude grandit chaque jour, car certains craignent que le confinement ne soit prolongé à la date du 1er décembre.
C'est le cas de Lorenzo Sandri, pépiniériste à Chimay dans les Ardennes belges. Son activité familiale a débuté, il y a 3 ans et la vente de sapins est son chiffre d'affaires annuel.
" Nous avons cinq semaines pour concrétiser une année de travail, mes commandes sont maintenues et je reçois tous les jours des réservations, mais pour l'instant nous ne savons pas si nous pourrons les livrer, car le sapin n'est pas un produit de première nécessité ,donc pour l'instant nous attendons le 1er décembre" confie Lorenzo. L'entreprise est une entreprise familiale qui produit 25.000 sapins, son avenir dépend des ventes de Noël.
Novembre est le mois de la coupe des sapins. Les commandes s’anticipent, se préparent afin que les arbres puissent être acheminés vers les différents points de vente. Lorenzo Sandri travaille toute l'année pour ce mois de novembre.
" Si la réponse tarde pour savoir dans quelle catégorie, rentre le sapin, nous tarderons aussi à préparer nos commandes et nos livraisons en France" prévient-il.
Seulement, compte tenu des nouvelles mesures sanitaires annoncées par le gouvernement, le risque que les enseignes de distribution ne puissent pas vendre de sapins de Noël est à prendre en compte. Ceci a pour conséquence des annulations de commandes de la part des grandes enseignes de distribution alerte Frédéric Naudet, Président de l’Association Française du Sapin de Noël Naturel (AFSNN).
Le sapin privé de restaurant
La filière a déjà été touchée par l'annulation des commandes sur certains événements, mais aussi chez certains restaurateurs qui ont reporté leur commande de sapin. " Normalement, les restaurants commencent à décorer pour la période de Noël et les sapins trônent toujours à l'entrée des établissements, si leur fermeture est poursuivie, nous aurons 100 % de perte sur ce chiffre d'affaires" se désole Frédéric Naudet. En ce qui me concerne, l'annulation des marchés de Noël sur l'hexagone et les événements autour de la période de novembre à Noël" auront des conséquences sur ma trésorerie souligne Lorenzo Sandri.Mais, paradoxalement, Lorenzo continue à avoir des commandes des magasins spécialisés en jardinerie. " Je suis content de voir qu'on nous appelle, mais je ne sais pas s'ils pourront être livrés si le confinement se poursuit en France".
Autre signe qui préoccupe Didier Ernould, gestionnaire de l’UAP, l’union ardennaise des pépiniéristes, l'absence d'installation des chapiteaux à l'extérieur ou dans les centres commerciaux en France.
À cette époque, les spécialistes de cette filière du sapin savent où ils se situent. " Tout risque d'arriver en même temps, prolongation ou levée du confinement et nous nous retrouverons à devoir, ou mettre la clé sous la porte pour des petits producteurs ou devoir courir après le temps pour couper tous les sapins" s'indigne Didier Ernould.
Cette saison sera particulière pour les pépiniéristes. Normalement, à cette époque, 3 ou 4 millions de sapins belges doivent être coupés et acheminés pour être vendus. Avec ses épines résistantes et épaisses, le Nordmann domine toujours le classement. Didier Ernould ne comprend pas qu'en France le sapin ne soit pas reconnu comme un produit de nécessité." Nous sommes dans l'attente des annonces gouvernementales si des annonces précises vous nous parvenir concernant la catégorie dans laquelle s'inscrit le sapin en France" , alerte Didier Ernould, gestionnaire de l’UAP, l’union ardennaise des pépiniéristes.
" Chez nous, un décret royal a été signé pour inscrire la plante comme un produit de nécessité qui fait du bien au moral des personnes" rappelle Didier.
Les producteurs belges n'auront donc aucun souci pour livrer en Belgique, mais en France cela n'est pas possible pour le moment.
" Nous ne sommes même pas sûrs que des chapiteaux seront installés dans les centres commerciaux en France pour stocker nos sapins alors que d'habitude à cette date nous le savons" ajoute Didier Ernould.
La Belgique livre en grande partie la région du Grand Est. La production du sapin de Noël se concentre principalement en province du Luxembourg, en province de Namur et sur les hauts plateaux liégeois. En termes de superficie, celle-ci occupe 3120 ha.
"Il y aura un Noël en Belgique, c'est certain dit Didier, mais nous souhaitons aussi pouvoir livrer nos voisins français," confie-t-il.
Entre la sècheresse et la Covid-19, le sapin
Le chiffre d’affaires généré par les producteurs professionnels de Sapins de Noël, dont la majorité est affiliée à l’UAP, est estimé à près de 50 millions d’euros. Cette activité, comme toutes celles de l’horticulture, a besoin d'une main-d'oeuvre importante et génère aux alentours de 1000 emplois équivalents temps plein dans la région (environ 450 emplois directs et 550 emplois indirects).La haute saison du sapin de Noël commence, et la crise sanitaire aura un impact sur les récoltes cette année et la filière a déjà été impactée par la sècheresse.
Louis Brasseur est un très grand producteur de sapin installé à Corbion s/Semois en Belgique. Lui, est affairé et ne sait plus quoi répondre. Il emploie plus de 140 personnes et tout repose sur la législation française.
" Je ne sais plus quoi faire, je livre énormément en France. Normalement, début Novembre, nous commençons à couper nos arbres et à les emballer pour les livrer et là nous attendons " constate, dépité Lorenzo.
Lorenzo comme Louis se demandent quoi faire de tous ces sapins. " On les regarde et on se demande si on va les couper ou pas" s'alarment-ils.
Les dernières mesures gouvernementales en France limitent l’ouverture de points de vente ou des rayons des points de vente aux produits dits « essentiels », dénonce Frédéric Naudet. Le sapin pourra être livré chez des particuliers, mais le marché des gros points de vente est toujours incertain, rappelle le Président qui précise que le sapin n'est pas un produit qui fonctionne avec le dispositif mis en place " click and collect". " Ce n'est pas évident de pouvoir stocker un sapin dans un endroit de retrait, tous ne se prêtent pas à accueillir un sapin de 2 mètres" précise-t-il.
Pour le Président comme tous les producteurs de sapins, en France comme en Europe, le sapin n'est certes pas un produit dit "essentiel", mais il le devient pour célébrer Noël.
" Le risque est de voir les particuliers commander des sapins artificiels et ainsi faire la part belle à des sites en ligne au profit de nous, les producteurs et de nos emplois". Tous espèrent que le gouvernement français entend leur cri d'alarme.
Pour Didier comme pour Frédric , la réponse doit arriver rapidement, car sinon les délais ne pourront pas être respectés et les commandes ne pourront être honorés.
Les producteurs sont en train de couper les sapins, car il faut qu'ils se préparent à livrer en fonction des annonces du gouvernement français, on espère qu'ils ne coupent pas pour rien espère Didier Ernould.
La Belgique, et donc la Wallonie, est le 2e pays exportateur européen, et la qualité de ses produits est reconnue. Nous estimons que 80 % des sapins produits en Wallonie partent pour l’export relate Didier Ernould.La Belgique, et donc la Wallonie, est le 2e pays exportateur européen, et la qualité de ses produits est reconnue.
Pour Frédéric Naudet, "Noël est une fête traditionnelle et familiale à laquelle les Français sont très attachés. Mais, dans ce contexte sanitaire inédit, Noël 2020 sera des plus particulier. Nul doute que cette année, les familles et les enfants attendront davantage ce moment où ils décoreront leur sapin avant de célébrer les fêtes. Mais, si on annonce le 15 novembre aux producteurs qu’ils devront proposer des sapins pour le mois de décembre, il sera déjà trop tard compte tenu des travaux de coupe et de la logistique à mettre en œuvre ".
En France, 6 millions de sapins de Noël sont vendus chaque année, dont 80 % sont issus de la production française. Grandes surfaces alimentaires, enseignes de bricolage et jardineries représentent la plus grande part des ventes annuelles de sapins. "Les ventes de sapins se font en extérieur, donc dans des conditions compatibles avec le contexte sanitaire. Si les espaces de vente habituels sont inaccessibles, la plupart des producteurs ne s’en relèveront pas. Il n’y a pas de plan B pour la profession, nous avons à peine un mois pour écouler le fruit de 10 années de travail"explique Frédéric Naudet.
Le sénateur de la Haute-Marne Bruno Sido vient de co-signer un courrier avec d'autres élus pour soutenir cette filière, au ministre de l'Économie, Bruno Lemaire.
" Le sapin est une tradition importante pour tous les Français, symbole des festivités de Noël et qui a une résonnance particulière en cette période difficile.
C'est également une activité économique importante dans les zones rurales forestières. Il y a urgence à donner de la visibilité à ces professionnels qui réalisent la quasi-totalité de leur chiffre d'affaire en un mois, et qui vont démarrer leur période d'exploitation et de préparation. Selon les dernières informations, des dispositions réglementaires doivent être prises afin de rendre possible la vente des sapins de Noël selon les circuits de distribution habituels".
Les producteurs croisent les doigts pour avoir une réponse avant le 15 novembre.
Peut-être un beau cadeau pour cette filière qui fait vivre l'esprit de Noël.