"Ma rencontre avec le mal", quand le procureur Francis Nachbar raconte dans un livre l'affaire Fourniret

Francis Nachbar, procureur général dans les Ardennes lors de l'Affaire Fourniret-Olivier, sort un ouvrage le 26 octobre intitulé "Ma rencontre avec le mal". Il se confie avec sincérité sur ces longues années d'enquêtes, d'interrogatoires et d'horreurs.

"Bien pire que Dutroux". C'est ainsi que se qualifiait, lui-même, Michel Fourniret. Francis Nachbar, l'ancien procureur général de Charleville-Mézières, l'a bien connu. Il a beaucoup travaillé sur cette affaire. L'une des affaires les plus marquantes et sordides de sa carrière et de l'histoire judiciaire française. L'Affaire du tueur en série Michel Fourniret et de son épouse Monique Olivier. Il lui consacre un livre à paraître ce jeudi 26 Octobre. 

Environ vingt ans après l'arrestation de "l'ogre des Ardennes", Francis Nachbar, nommé procureur en janvier 2003 à Charleville-Mézières, livre sa vérité. Il était évident, pour lui, de laisser passer quelques années et avoir le recul nécessaire avant de pouvoir enfin en parler en toute honnêteté. Ce livre est "une forme d'exutoire et de catharsis" écrit-il. Des scènes de crimes jusqu'au procès, en passant par l'ouverture de l'enquête et l'information judiciaire, en 15 chapitres, tout y passe dans les moindres détails. Le récit de ses relations avec les enquêteurs français et belges. Ses échanges avec Michel Fourniret. Ses nombreux contacts avec les familles de victimes. Ses démêlés avec les magistrats et les journalistes. Tous ces détails plongent le lecteur dans son intimité.

Jacques Dallest, proche de Francis Nachbar et magistrat honoraire, le considère dans la préface comme un homme engagé, déterminé, simple, respectueux et modeste, marqué par des crimes innommables. "Rares sont les magistrats qui ont connu une affaire d'ampleur comme celle-ci, par le nombre d'atrocités commises mais aussi par la perversité des actes" souligne-t-il.

Son "pacte" avec le monstre

"Personne ne sortira indemne de l’affaire Fourniret, pas même vous, Monsieur le Procureur." C'est par ces mots que Michel Fourniret engage la première conversation avec Francis Nachbar, le 3 juillet 2004 lors des fouilles pour trouver les corps de deux de ses victimes : Jeanne-Marie Desramault et Élisabeth Brichet.

Une scène déstabilise le magistrat. Après la découverte du corps de Jeanne-Marie, il remercie Michel Fourniret pour sa collaboration et lui précise que Monsieur Desramault va pouvoir enfin lui donner une sépulture digne. Puis le criminel lui lâche : "Vous avez raison, Monsieur le Procureur, c’est important pour les familles des victimes, et cette scène est assez difficile à visualiser. Rendez-vous compte, cette jeune fille a l’âge de la vôtre". À cet instant, le procureur se sent sidéré par cette remarque malveillante. Elle donnera le ton des prochains mois. 

Francis Nachbar avoue qu'il a "volontairement pactisé avec le monstre" dans un double objectif : retrouver les corps des victimes et le faire parler pour connaître toute la vérité. Face à l'extrême cruauté des crimes et de ses détails atroces, le procureur reste de marbre pour ne pas paraître "faible" aux yeux de Michel Fourniret et perdre sa "confiance". "Je l’ai toujours écouté, feignant montrer de l’intérêt pour ses délires mégalomaniaques. Je l’ai parfois rudoyé, souvent flatté, prenant garde de ne pénétrer si peu soit-il dans ce cerveau malade"  confie-t-il. "Il fallait créer les conditions de cet état d’esprit, et notamment se laisser volontairement manipuler par lui, lui laisser croire qu’il restait le maître du jeu et du temps. C’est à lui que devait appartenir la décision de révéler certains éléments". Le tueur en séries suggérait de fausses pistes sous prétexte de "stimuler" la justice. C'était "un grand jeu pervers et une jubilation certaine de sa part" tout au long de ces années.

Lors d'un interrogatoire, Monique Olivier déclare que son mari lui disait certains soirs qu'il avait repéré "un beau sujet ou une MSP (une membrane sur pattes)", des mots abominables que le couple utilisera à maintes reprises. Mais comment réagir face à tant d'horreurs ? Ce fut tout le travail de Francis Nachbar pour arriver à ses fins et rendre justice aux familles.

Sa ténacité face aux critiques

Les enquêteurs de la police judiciaire belge ont souligné son entêtement face à l'envie de certains d'arrêter les recherches et les fouilles. Il n'a jamais eu l'intention de laisser les familles sans réponse. C'était un devoir, pour Francis Nachbar, de continuer quoi qu'il en coûte.

Tout au long de l'enquête, il a considéré Michel Fourniret et Monique Olivier comme des monstres. Il a eu des mots vifs à leur propos mais il ne les regrette pas une seule seconde malgré les critiques de ses "censeurs"Les ragots sur sa manière de faire l'indifféraient complètement jusqu'au jour où il a "entendu le procureur général Charpenel déclarer qu'il était à l’origine de la découverte des corps de Jeanne-Marie et d’Élisabeth" alors qu'il lui avait demandé de cesser les fouilles. Dix-neuf ans plus tard, Francis Nachbar est toujours stupéfait de l'entendre, notamment dans une série documentaire Netflix, "affirmer avec assurance que Fourniret lui avait donné l’indication de la profondeur du trou lors d’une conversation entre eux" alors que "Yves Charpenel n’a, tout au long de cette journée et pendant ces quatre années d’enquête, pas eu la moindre conversation avec Fourniret" écrit-il.

Lors de l'accusation du meurtre d'Estelle Mouzin en 2003, son engagement pour le rétablissement de la justice était tellement fort qu'il a envoyé un courrier à la Direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la Justice, pour faire part de sa conviction de l'implication de Fourniret dans l'enlèvement de la jeune fille. Son témoignage reposait seulement sur quelques "indices troublants" et son "sentiment personnel évidemment subjectif" mais sa connaissance du fonctionnement psychologique du meurtrier était un grand avantage pour l'enquête.

Son profond respect pour les familles

Dans son récit, Francis Nachbar ne cache pas son émotion en évoquant les nombreuses familles endeuillées. Les parents de Fabienne Leroy, étudiante de 20 ans - son corps ensanglanté est découvert dans un chemin du camp militaire de Mourmelon-le-Grand (Marne) en août 1988 - l'ont particulièrement touché : "Leur dignité conjuguée à une détresse qu’ils ne parviendront jamais à masquer, m’a profondément ému".

Immédiatement après les aveux de Monique Olivier à propos de l'implication de son mari dans le meurtre de Jeanne-Marie Desramault, survenu en 1989, le procureur s'est rapidement rendu, de sa propre initiative, au domicile du père à Béthune pour lui annoncer la nouvelle avant que la presse s'en charge : "Je n’en informe personne car c’est en dehors de toute règle procédurale, un trajet officieux donc, "à titre privé"." avoue-t-il. "Je ne pourrai jamais oublier ces quelques instants passés dans cette maison de brique rouge tassée au pied d’un terril". Lors du procès en 2008, il a "souvent baissé la tête et fait semblant d’écrire ou de lire pour ne pas laisser voir (ses) yeux humides".

Michel Fourniret a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible et Monique Olivier à la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté de 28 ans. Cette dernière sera jugée le 27 novembre prochain devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine pour complicité dans l'enlèvement d'Estelle Mouzin, en 2003.

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