Une conférence de presse a été tenue ce vendredi 06 octobre dans le cabinet parisien de maître Didier Seban, l'avocat d'Éric Mouzin, le père de la jeune Estelle Mouzin enlevée par Michel Fourniret. Le procès de sa veuve, Monique Olivier, commencera à Nanterre (Hauts-de-Seine) à la fin du mois de novembre.
Il s'est préparé à toute éventualité. Éric Mouzin a pris la parole ce vendredi 06 octobre 2023. Il se trouvait dans le cabinet parisien de Maître Didier Seban, son avocat.
En janvier 2003, la petite Estelle Mouzin (la fille d'Éric Mouzin) a disparu en Seine-et-Marne. On ne l'a jamais retrouvée. Une association a été créée pour ne jamais oublier. Depuis 2018, l'implication du violeur et tueur en série Michel Fourniret, dit "l'ogre des Ardennes", est suspectée, et a été confirmée par ce dernier en 2020.
À partir du mardi 28 novembre 2023, Monique Olivier sera jugée pendant plusieurs semaines à Nanterre (Hauts-de-Seine), pour complicité dans les affaires Estelle Mouzin, mais aussi Marie-Angèle Domèce et Johanna Parrish. L'ex-femme et veuve de Michel Fourniret (mort en mai 2021) avait accusé ce dernier, puis déclaré avoir été présente lorsqu'il avait enterré la dépouille de la jeune Estelle. Elle a été présente lors de fouilles judiciaires poussées menées dans des forêts des Ardennes. Restées vaines (voir la carte ci-dessous pour les lieux clés de l'affaire).
Déclaration d'Éric Mouzin
Affaire au long cours
"On voit le caractère très particulier de ce procès. Il concerne des faits qui se sont produits, pour les premiers, il y a 35 ans [20 ans pour la disparition d'Estelle; NDLR]. L'accusée, c'est uniquement Monique Olivier. Et pas le couple impliqué dans tous ces crimes, suite au décès de Michel Fourniret. C'est donc un procès un peu tronqué, je pense. Et compliqué pour la justice, qui doit rendre un jugement avec une seule accusée. Mais elle est quand même accusée de faits significatifs."
"En ce qui concerne la personnalité de Monique Olivier, on a le sentiment, à travers les dossiers de procédure [...] que Monique Olivier est un peu passée sous les radars pendant les investigations des services d'enquête. C'est d'autant plus compréhensible que, déjà, Michel Fourniret est un petit peu passé sous les radars, comme il ne pouvait pas être considéré par les services d'enquête comme un coupable potentiel. Forcément, Monique Olivier n'a pas été interrogée avec beaucoup de conviction."
"Il a fallu l'intervention de madame [la juge Sabine] Khéris, quand le dossier a été transféré de Meaux vers Paris, pour qu'elle puisse être entendue. C'est alors que ces interrogatoires ont pu démarrer, et qu'on a vu une progression dans la démonstration de l'implication du couple. Monique Olivier avait demandé à n'être entendue que par cette juge d'instruction."
Le bien-fondé du pôle des "cold cases"
"Après la création du pôle consacré aux dossiers non élucidés [dit pôle des cold cases; NDLR], Madame Khéris a poursuivi l'instruction du dossier. Elle a obtenu des compléments d'aveux et a essayé d'arriver à un des points essentiels du dossier : savoir où Estelle avait été mise en terre. Là, c'est un échec."
"Monique Olivier part de Michel Fourniret qui lui a dit que ce n'était pas lui pour Estelle, avec le fameux alibi téléphonique du 9 janvier 2003. Puis fait un aveu [qu'elle a en fait passé ce coup de téléphone, et pas son mari]. Elle part du fait qu'elle n'a jamais vu Estelle, puis qu'elle l'a en fait gardée, puis qu'elle a conduit la camionnette quand ils sont allés se débarrasser du corps. Puis, après, qu'elle ne se souvient plus de rien : ça, c'est la dernière partie qu'il reste en creux."
Qu'est-ce que j'attends de ce procès ? Ce n'est pas le procès de la justice, même si le procès, tel qu'il est, est déjà la démonstration de toutes les erreurs commises.
Éric Mouzin, père d'Estelle Mouzin
"Qu'est-ce que j'attends de ce procès ? Ce n'est pas le procès de la justice, même si le procès, tel qu'il est, est déjà la démonstration de toutes les erreurs commises. Je pense que Madame Khéris est citée comme témoin. Elle va intervenir; ce sera, je pense, l'occasion de démontrer l'utilité de ce pôle cold cases, pour lequel [...] on avait toujours demandé une mutualisation des dossiers, des formations spécifiques pour les juges. On ne comprenait pas le cloisonnement entre ces dossiers, qui a abouti à une impossibilité de parvenir à démontrer un parcours criminel."
"Maintenant, c'est en partie résolu grâce à la création de ce pôle. On n'en a pas encore parlé avec [mon avocat], mais on va peut-être leur proposer un logo avec trois M : comme motivation, comme méthode, comme moyens. Je ne sais pas si ce sera bien reçu, mais on peut leur faire la proposition, avec un graphiste qui fait quelque chose de beau... [quelques rires dans la salle] Plus sérieusement, ce pôle démontre aujourd'hui pourquoi on en est là."
"Ce n'est donc ni le procès de la justice. Ni le procès de Michel Fourniret, puisqu'il est mort : on n'en parle plus. Mais toutes les difficultés qu'on va rencontrer pendant le procès, elles sont le résultat des erreurs précédentes. Je n'ai pas beaucoup d'idées d'à quoi ressemble un procès d'assises. Ce sera une découverte."
Déclaration de Maître Didier Seban
Des ramifications en Bourgogne
"Le cabinet représente les parents de Marie-Angèle Domèce et sa sœur de lait. L'ensemble de la famille de Johanna Parrish. Et la famille d'Estelle [Mouzin], avec [son père], Éric, [ici présent]. C'est l'issue d'un très long combat. Qui part peut-être, et le procès sera peut-être l'occasion d'en parler, de l'affaire des disparues de l'Yonne. Peut-être qu'un lien sera fait. Ça paraît bizarre, ça paraît ancien. Mais à cette époque, trois criminels en série agissent sur ce département. Émile Louis, Michel Fourniret..."
"La première personne que nous avons demandé à auditionner, c'est un inspecteur des services judiciaires. Il nous avait aidé, à l'époque, dans l'affaire Émile Louis. Il avait rendu un rapport qui expliquait que la justice dans l'Yonne avait résolu 0% des meurtres de femmes. Et qu'aucune des affaires n'avait été élucidée. Pourtant, Michel Fourniret était en conditionnelle à Auxerre, et était suivi par un juge d'application des peines. C'est la période où se situent les disparitions et les meurtres de Marie-Angèle Domèce - le troisième meurtre de Michel Fourniret et Monique Olivier - et puis Johanna Parrish, qui est le septième meurtre."
"On est dans la première période de l'activité criminelle du couple pour ces deux affaires. Et 0%, ça veut dire que si à l'époque, il n'y avait pas eu la bagarre menée par les parents, notamment ceux de Johanna Parrish qui venaient chaque année à Auxerre depuis la Grande-Bretagne pour rappeler la mémoire de leur fille, le dossier aurait été abandonné. On n'aurait jamais su qui avait causé le malheur de cette famille."
"On commence par là. Car à peine sorti de prison, Michel Fourniret tuera Isabelle Laville. Avec évidemment la complicité Monique Olivier, qui était seule dans son véhicule pour y embarquer la pauvre Isabelle, Michel Fourniret faisant du stop plus loin."
Toutes les facettes de l'affaire
"Et il y a l'affaire qui a ému toute la France. Celle d'Estelle. Qui est la dernière affaire... en tout cas connue. [...] On a donc le troisième, le septième, et le onzième meurtres imputés aujourd'hui au couple. On va être amené à retranscrire l'histoire, à l'occasion du procès, de ce couple criminel."
"Nous avons tenu à ce que tous les acteurs soient là. Ce n'était pas ce qu'avait prévu, au départ, le parquet de Nanterre, qui voulait se concentrer sur la partie de l'enquête des gendarmes à la fin - la section de recherches de Dijon - mais nous voulions que toutes les étapes de l'affaire soient [étudiées]."
"C'est pour ça que nous avons demandé que soit entendu monsieur Bazler, un des inspecteurs qui a rendu le rapport qui concluait au 0%. Nous avons voulu que soient entendus les enquêteurs belges qui, dès le départ, donnaient à la France la conviction que c'était le couple. [...] Nous avons demandé que les acteurs du procès de Charleville soient là. [...]"
"Évidemment, c'est le procès de Monique Olivier. Michel Fourniret ne répondra pas de ses actes, parce qu'on n'a pas su mener l'enquête comme elle aurait dû l'être. L'affaire n'a pas été instruite comme elle aurait dû l'être; ce sera l'un des sujets du procès."
Questions en série
"On aura un certain nombre de questions à poser. Il y a des blancs dans l'affaire. Vous savez que Michel Fourniret était suivi, au moment de ces meurtres, par la section antiterroriste. On a un rapport de synthèse, avec des procès-verbaux, que personne n'a jamais obtenu, pas même Madame Khéris. Il faisait l'objet de filatures, on rapportait ce qu'il se passait au château du Sautou. Mais ces éléments-là n'ont jamais été donnés."
"On se posera la question de ce qui a pu se passer lors de cette fameuse garde à vue. Quand, après avoir avoué deux fois les meurtres de Johanna Parrish et Marie-Angèle Domèce, Monique Olivier va revenir sur ses aveux; ce qui fera que ces deux affaires ne seront pas jugées à Charleville."
"On interrogera les enquêteurs sur pourquoi on n'a pas considéré la lettre de Michel Fourniret comme un élément décisif. Alors qu'il avait écrit pour demander à être jugé pour ces trois affaires - Parrish, Domèce, Mouzin - mais on n'a pas enquêté sur leur participation à ces faits."
"On posera aussi des questions à Monique Olivier. C'est probablement une des dernières fois qu'on pourra l'entendre en longueur sur la fameuse baby-sitter qui a disparu à leur domicile. Sur l'affaire de 1997, quand Monique Olivier décrit une scène où une jeune fille est amenée au domicile des Fourniret : on n'a jamais su qui c'était."
On posera aussi des questions à Monique Olivier. C'est probablement une des dernières fois qu'on pourra l'entendre en longueur.
Didier Seban, avocat d'Éric Olivier
"On s'interrogera sur la disparition de Lydie Logé, puisqu'on retrouve sa trace ADN sur un des éléments recueillis chez Michel Fourniret. On s'interrogera sur les 20 traces ADN féminin trouvées dans les affaires des Fourniret. Il faudra évidemment répondre à ces questions."
"Il y a longtemps eu une petite musique complotiste comme quoi c'était les coupables idéaux. Mais on va discuter des preuves, des aveux - 40 - de Monique Olivier, de l'ADN retrouvé sur le matelas dans la maison de la sœur de Michel Fourniret..."
"Et on va discuter de l'évolution de Monique Olivier dans ses aveux. Elle a commencé par dire qu'il n'y était pour rien, évidemment. Puis qu'elle avait passé le coup de téléphone qui avait servi d'alibi à Michel Fourniret. Pourquoi en avait-il besoin ? Dans d'autres affaires, il n'a pas cherché à en avoir. C'est l'une des questions qui sera posée. Puis elle a avoué sa présence sur les lieux, avoué avoir gardé Estelle, avoir été présente lorsque le corps a été enterré. Elle pourra répondre au pourquoi on n'a pas pu retrouver ce corps, ni celui de Marie-Angèle Domèce. Personne d'autre que Monique Olivier ne peut répondre à ces questions, il n'y avait pas de témoins ni d'éléments."
"On reviendra sur les autres crimes du couple. Pas pour les rejuger, ils l'ont été. Mais chacune de ces affaires permet de comprendre ce qui a pu arriver. [...]"
Juger Monique Olivier, pas la justice
"On va juger Monique Olivier. Ce ne sera évidemment pas le lieu pour faire le procès de l'État. Mais on a d'autres procédures en cours, dont une pour faute lourde contre l'État. Elle a été suspendue dans l'attente de la fin de l'instruction. On a une procédure devant la Cour européenne des droits de l'Homme sur l'idée que l'État ne protège pas, ne permet pas de donner les réponses aux familles : on attend son issue dans les prochains mois."
"C'est aussi le premier procès du pôle cold cases. Madame Khéris a travaillé sur ces dossiers comme nous souhaitions qu'ils soient travaillés. C’est-à-dire en considérant que le parcours d'un tueur de série était comme une forme de puzzle, et que chaque pièce permettait d'en expliquer une autre."
"On nous pose beaucoup la question de l'importance du rôle de Monique Olivier. Ça a été beaucoup débattu. Et ce sera peut-être encore débattu : son intelligence, sa capacité à dire non. C'est sans doute la détenue en France qui a été la plus expertisée psychologiquement. Toutes les expertises, de toute nature, disent qu'elle est parfaitement responsable, capable de comprendre ce qu'elle fait. Qu'elle est encore suffisamment en forme pour passer devant une cour d'assises. C'est évidemment important."
"J'ai coutume de dire qu'évidemment, sans elle, rien n'aurait été possible dans ces parcours meurtriers. Que ce sont des meurtres qui ont été commis à quatre mains. Elle sera seule face à ses responsabilités, elle ne pourra plus se replier derrière la parole de Michel Fourniret. Elle pourra dire que c'était lui si elle veut [mais on connaît son rôle proactif dans les affaires précédentes]."
"Peut-être que parce que Madame Khéris a su inscrire ce meurtre dans une série, et peut-être gagner une forme de confiance, ce qui a pu permettre à Monique Olivier de faire un pas. Mais elle n'a pas fait tout le chemin. Il y a un certain nombre d'affaires dont on se doute qu'elles ne sont pas, aujourd'hui, élucidées mais qu'elle pourrait aider à élucider. Elle n'a pas aidé à trouver le corps d'Estelle. Pour quelle raison : je n'en sais rien. C'est à elle qu'il faudra poser la question."