Ardennes : qui était le photographe Éric Guglielmi, inspiré par Arthur Rimbaud, mort à 51 ans

Un artiste des Ardennes s'en est allé. Le photographe Éric Guglielmi originaire de Revin, est mort le 19 juin à l'âge de 51 ans. Reconnu pour son talent, il avait produit notamment une série remarquée sur sa région de coeur. 

Les Ardennes, c'était son territoire. Le photographe Éric Guglielmi y est né, à Revin, il y a 51 ans. Ancien photojournaliste, sa mort le 23 juin 2021, laisse un vide d'autant plus profond qu'il fourmillait de projets. Cet artiste de la photographie au sommet de son art, reconnu par ses pairs et par le public cherchait par exemple à installer près de Charleville un centre de production photographique pour accompagner les photographes, de la réalisations du tirage argentique à la production d’un livre. Un lieu de création, d'exposition, et de savoir-faire artisanal. Une exposition était aussi prévue autour de son travail, au musée Rimbaud de Charleville-Mézières. Elle aura bien lieu en novembre 2021, sans doute sous une forme différente suite à son décès.

Car Éric Guglielmi était aussi un grand admirateur du poète ardennais Arthur Rimbaud. Dans la galerie parisienne Maubert qui l'accompagnait depuis ses débuts, les Ardennes résonnent de manière particulière. Son directeur, Charles Rischard, le confirme. "Éric fut l’un des tout premiers artistes de la galerie. Il laisse une œuvre monumentale, passant plus de 30 ans à sillonner le monde (...) Fidèle à ses origines ardennaises, il a signé deux séries cultes autour du poète Rimbaud et de la forêt ardennaise. La plus récente, "Ardenne" était un projet transfrontalier dans la zone forestière des Ardennes pour créer une sorte de "couture photographique pour réunifier ce territoire". L'occasion de superbe clichés. Empreints de poésie.  

"J’ai fait 800 bornes en quatre jours sans voir personne", s’est étonné le photographe à la fin de l’hiver 2016. Et pourtant, nous sommes au cœur de l’Europe et les rares individus que nous croisons dans ces images sont des solitaires". Dans un texte de Michaël Houlette, directeur de la Maison de la Photographie Robert Doisneau, publié à l'occasion de l’exposition "Ardenne" (sans s, Ndlr) d’Éric Guglielmi, ce territoire où la population se fait rare et que l'artiste a vu évoluer, est parfaitement décrit.

Un intime de la crise ardennaise

"L’Ardenne, tout le monde le sait, s’est peu à peu désertifiée : « contraction de la population » peut-on lire dans certains articles, « hémorragie industrielle » disent les économistes, « une région qui tombe dans un déclin silencieux et irréversible » constate l’administration. Le 19ème siècle a courtisé le territoire ardennais comme un eldorado, louchant sur ses ressources, ses sols et ses bois. Le siècle suivant s’en est peu à peu détourné comme on se désintéresse d’une vieille envie : les logiques industrielles, les mécaniques de marché et de rendements sont passées par là.

L’Ardenne d’Eric Guglielmi est étrangement vide mais pas inhabitée, plutôt déshabitée. Car l’empreinte de l’homme est constante dans le paysage comme dans le relief.

Michaël Houlette, directeur de la Maison de la Photographie Robert Doisneau

Restent un décor marqué par des traces indélébiles et un drôle de goût en bouche chez les habitants qui, sourdement, s’est transmis de génération en génération. Éric Guglielmi quant à lui connaît intimement la crise ardennaise, cette crise qui n’en finit pas ou qui est toujours sur le point de finir. Il est né en 1970. Il a grandi à l’époque des chocs pétroliers et de l’ultime dégringolade minière puis sidérurgique. Il sait ce que chômage, fins de mois difficiles et combats sociaux veulent dire".

Éric Guglielmi s’est toujours posé des questions géopolitiques, se souvient le directeur de la galerie Maubert. Avec le transfrontalier en ligne de mire. "Les Ardennes étaient pour lui son pays natal, il a vu sa décrépitude. Les usine partir. Il y a travaillé, il a vu ces lieux désoeuvrés. La forêt est aussi très présente dans cette série. Il montre la nature reprendre ses droits, la trace humaine qui repart. C’était un homme engagé, un profond engagement politique, il luttait contre l’indifférence. Il voulait réfléchir au territoire, réapprendre l’artisanat. Pour pouvoir remonter une activité, il aimait le temps long, la construction". Arte lui a consacré un reportage, où l'on découvre son amour du travail artisanal et le sens qu'il donnait à ses séries de photos. 

Fils d’ouvrier, il a fui les Ardennes sous l’impulsion de Rimbaud, selon le directeur de la galerie Maubert à Paris, cette fuite à 16 ans, serait largement inspirée du parcours du jeune poète. "L’omniprésence d'Arthur Rimbaud à Charleville et la découverte de ses textes l’a toujours inspiré. Il est toujours revenu aux Ardennes. Avec son projet de labo, il essayait de réactiver les techniques anciennes de tirage. Créer un lieu de résidence pour le photographe de A à Z". Ce projet ne verra pas le jour. 

Éric Guglielmi a toujours travaillé autour de l’argentique, car pour lui, la prise de vue était une étape. Le tirage marquait pour lui une partie artisanale indispensable. Ainsi pour chaque série il utilisait une technique différente. "Sur une série autour de la déforestation au Cameroun, il avait appris à travailler le platine palladium. Une technique ancienne de tirage avec une émulsion à base d’oxyde de fer, réalisée pour le noir et blanc qui permet de la subtilité dans les nuances de gris". Il avait même créé un laboratoire argentique pour tous les artistes qui souhaitaient s’y essayer : "du tirage aux sels d’argent au platine palladium ou bien à la gomme bichromate qu’il venait tout juste de dompter, tous les collectionneurs, directeurs d’institution, amis de musée venaient l’écouter avec passion", rappelle le galeriste. 

Passionné et généreux

Il raconte un artiste "franc, engagé, honnête, passionné, généreux, aimant refaire son monde. Son amour de l’autre, son engagement et sa lutte contre l’indifférence resteront à jamais gravés dans sa magnifique oeuvre que nous continuerons à faire vivre grâce à vous". Photojournaliste pour Libération et Jeune Afrique, inspiré par la photo américaine, Éric Guglielmi voulait laisser une trace de ce qu'il voyait dans son objectif. La photo à la fois comme oeuvre d'art et pièce documentaire. 

Eric Guglielmi fait partie de collections publiques (CNAP, BNF, Musée Rimbaud) et privées (Neuflize OBC). En 2014 et en 2018, l’UNICEF lui a donné carte blanche pour traiter des problématiques de l’enfance au Cameroun. En 2015, il est nominé dans différents prix et reçoit l’aide à la photographie documentaire du Centre national des arts plastiques (CNAP) pour son projet Ardenne. Ce projet a fait l’objet d’une résidence de 18 mois dans les Ardennes (Belges, Luxembourgeoises et Françaises) ainsi que d’une publication et d’une exposition personnelle à la Maison de la photographie Robert Doisneau en 2018. Il a été lauréat de la commande photographique nationale « Flux, une société en mouvement » 2018. En 2020, deux expositions ont montré ses séries Paradis Perdus au CRP (Centre régional de la photographie Hauts-de-France) et Touba  à l’Institut des Cultures d’Islam.

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