VIDEO. Emeutes : très émue, elle témoigne après l'incendie de la maison de quartier à Troyes, "c'était chez moi"

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Présente sur place quelques heures après l'incendie de la maison de quartier des Sénardes, Carolle Marchand n'avait pas pu contenir son émotion.
Destruction de la maison de quartier des Sénardes, dans le 19/20 du vendredi 30 juin 2023 ©France Télévisions

Carolle Marchand a quasiment toujours vécu dans le quartier des Sénardes, à Troyes (Aube). Lorsque la maison de quartier a été incendiée lors des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, elle n'a pas pu retenir ses larmes. France 3 Champagne-Ardenne a voulu en savoir plus sur elle.

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Avant, une vieille barre d'immeuble. Depuis 2012, une place aérée donnant sur une maison de quartier flambant neuve, dite à énergie positive. Ce bâtiment est la pierre angulaire du projet de requalification urbaine du quartier des Sénardes, à Troyes (Aube).

Et depuis le vendredi 30 juin 2023, plus rien. De ce bâtiment communal incendié lors des émeutes ayant suivi la mort de Nahel, il ne reste que des tôles tordues, des poutrelles calcinées, des cendres, et une odeur âcre de plastique brûlé. 

France 3 Champagne-Ardenne s'est évidemment rendue sur place. Notre reporter, Mélanie Cousin, documente la situation au cours d'un duplex. Derrière la caméra, la journaliste reporter d'images (JRI) Olivia Garrett-Alaïs. Quand surgit soudain dans le champ une dame en bleu (à 25 secondes dans le lecteur-vidéo en haut d'article), visiblement très émue, qui ne parvient pas à contenir son chagrin, laissant libre cours à ses sanglots. "Ce n’est pas possible de voir ça. Pourquoi vous détruisez ? Pourquoi ? C'est pas croyable. C'est pas comme ça que vous allez réussir à faire bouger les choses."

Cette habitante des Sénardes a ému beaucoup de monde parmi nos téléspectateurs et téléspectatrices, mais aussi des mamans du quartier. Nous avons donc cherché à en savoir plus sur elle, et voulu lui donner la parole.

Toute une vie aux Sénardes

Elle s'appelle Carolle. C'est important, "j'y tiens à mes deux L". C'est vrai qu'avec une seule aile, les anges voleraient moins bien. Carole Marchand, 62 ans, vit là depuis qu'elle est "toute petite". C'était dans les années 60. "Je suis venue habiter dans le tout premier bâtiment construit dans ce quartier. J'ai vécu là 28 années à peu près, avec mes parents. J'ai vu toutes les constructions, les tours, même la rocade, et l'école. Mes frères et sœurs m'emmenaient à l'école Jules Guesde en attendant que les travaux se terminent dans mon école." 

Très récemment retraitée, Carolle a justement longtemps travaillé dans cette maison de quartier. "Et pas que celle-ci. J'ai travaillé à la mairie de Troyes pendant 32 ans. J'étais assistante maternelle et j'ai fini comme agent d'accueil dans ces maisons de quartier. J'étais très fière de l'être à celle des Sénardes, parce que c'est mon quartier. C'était ma maison."

Je suis très fière d'être de ce quartier.

Carolle Marchand, habitante emblématique du quartier des Sénardes

Un quartier où elle a vécu son enfance, sa jeunesse, et le reste. "J'y ai tout vécu. Je suis très fière d'être de ce quartier." Elle est partie un petit temps, pour ensuite mieux revenir. Après son mariage, comme elle, ses enfants ont étudié à l'école des Sénardes : une véritable histoire de famille. Elle est tardivement devenue propriétaire, toujours aux Sénardes, en obtenant l'un des logements anciennement occupés par les pompiers. "C'est ma première et dernière maison." 

"L'une des maisons de quartier les plus familiales qu'il puisse y avoir, c'était celle des Sénardes." Les autres étant équipées de stations utilisées pour produire des passeports et des cartes d'identité, elles pouvaient paraître plus formelles et légèrement moins conviviales.

L'accompagnement, la proximité, le social, c'était vraiment l'apanage de la maison des Sénardes : "les inscriptions à l'école, le périscolaire, il y avait de tout. En septembre, je comptais m'inscrire à l'espace intergénérationnel pour faire des activités." On peut citer, pêle-mêle, la chorale, la fête annuelle du quartier, les festivités de Noël, les sorties pour nettoyer le quartier, les travaux manuels... Il y avait même un petit jardin partagé. Et maintenant, plus rien. 

La convivialité dans les flammes

Carolle a du mal à parler de tout ça au passé. "Je n'aurais jamais, jamais, mais jamais pensé qu'on puisse toucher, s'en prendre à une maison... familiale. J'ai pensé à tout ce qu'on y a fait, aux activités, aux mamans [qui prennent parfois la parole pour montrer que leurs quartiers ne se résument pas à des violences urbaines; ndlr], aux collègues, à tout l'investissement qui a été fait par la mairie de Troyes. Elle était nécessaire, ouverte à tout le monde. Les gens venaient nous faire un petit coucou quand on était à l'accueil. Quand quelqu'un n'allait pas bien, on lui disait de venir pour parler cinq minutes. C'est une partie de ma vie. Il n'y avait que du bon là-dedans, jamais de plainte; je ne peux pas imaginer qu'on ait voulu se venger de cette maison." Comment donc comprendre la destruction d'un tel lieu ?

Ce matin-là, "plus j'avançais, plus je me demandais pourquoi. Pourquoi s'attaquer à leur petit frère, à leur maman ? C'est un lieu où tout le monde se retrouve. Il n'y a que des sourires, des rires. On s'y regroupe même quand il y a un drame dans le quartier." Pour l'anecdote, le mari de Carolle préside l'association Lève-toi, sise également aux Sénardes, "et le lendemain, elle a été cambriolée. C'est au détriment des gens du quartier." À l'image de Carolle, c'est tout un quartier qui ne comprend pas ce qui vient de lui arriver, et qui tente de se relever. 

"J'ai toujours été dans le social. J'essaye de donner de mon temps, de mon sourire. J'essaye de comprendre et d'écouter les gens. La communication est tellement importante. Alors de voir tout ça brûlé, écroulé, dans un quartier où j'ai vécu depuis toute petite... Ça m'a choqué. Plus je m'avançais, plus je me disais que ce n'était pas possible. Étant très émotive, très sensible, j'ai un peu craqué. Je n'ai pas pu le supporter." Maintenant, Carolle ne peut même plus passer devant l'édifice calciné. "J'essaye de contourner. En plus, ça sent encore le brûlé." 

Cette fameuse nuit du jeudi 29 au vendredi 30 juin, Carolle suivait la situation retransmise par les chaînes d'informations télévisées. Elle s'est ensuite couchée. "Vers 01h00, j'ai entendu des pétards. Enfin, ce que je pensais être des pétards. Puis la police qui tournait. Mais rien de plus, c'était relativement calme." C'est après que l'incendie aurait éclaté. 

Carolle a découvert l'incendie via les réseaux sociaux. "Je suis restée une heure chez moi, j'espérais que ce n'était pas trop cassé. Je pensais à une poubelle. Au bout d'un moment, je me suis dit qu'il fallait que j'aille voir." Son mari pense que ce n'est pas une bonne idée. "Quand je suis arrivée au bout de ma rue, quand j'ai vu l'arrière du bâtiment qui fumait... Je pleurais déjà en avançant." Elle est incrédule. Au point qu'elle ne se rend même pas compte des fumées qui lui prennent à la gorge. "Au bout d'un moment, la journaliste [Mélanie Cousin de France 3] a vu que je suffoquais. Elle m'a dit de rentrer."

"J'ai peut-être réagi un peu fortement... Quand je me suis vue [à l'écran], je me suis dit : ce n'est pas moi, ça ? Maintenant, ça me choque un peu de me voir." En tout cas, ce trop-plein d'émotion "déversé" grâce à la présence de la journaliste ("qui m'a bien aidée"), cette "goutte d'eau qui a fait déborder le vase", ça a "beaucoup touché". Des mamans sont venues la voir pour lui témoigner leur compassion, mais aussi exprimer leur ressenti. Une démarche presque cathartique, qui aura eu son utilité, finalement.

Des difficultés pour dormir

Tout ceci est d'autant plus difficile à admettre que Carolle ne "voit jamais de délinquants. Quand des jeunes passent devant, dans la rue, ils nous disent bonjour. On discute parfois avec eux. C'est un quartier qui est plutôt cool, on va dire. Après, il y a peut-être du trafic qu'on ne voit pas, mais jusqu'à ce jour, je n'avais jamais vu ça. J'ai pu voir ça à la télé, dans des grandes villes, mais pas dans des petits quartiers comme chez nous. J'ai déjà pu voir des gamins brûler des poubelles, mais pas une maison de quartier qui était aussi ouverte. Des jeunes, qui n'ont pas grand-chose, et qui ont justement besoin de ce lieu. Voir mon quartier se faire détruire comme ça, ça m'a submergé d'émotion."

Carolle a du mal à voir le lien entre la mort du jeune Nahel et de tels déchaînements de violence. "Ça a peut-être été un déclencheur. Mais pourquoi faire ça dans des quartiers qui sont pauvres, qui ont du mal, où il y a des associations qui aident les gens car ils n'ont pas assez à manger ? Maintenant, j'ai peur que ce soit encore plus compliqué pour ces gens."

"Et j'ai aussi peur", tout court. "Cela fait quatre ou cinq nuits que le moindre bruit que j'entends dehors : j'ouvre ma porte et je vais voir." Ses nuits ont été agitées, compliquées. "Et j'ai été cinq nuits à ne dormir que trois-quatre heures. Hier, pour la première fois, j'ai dormi 10h45, c'est mon mari qui est venu me réveiller... J'y pense beaucoup quand je vais me coucher. Je vérifie toujours les portes, je regarde les voitures dans la rue, s'il y a beaucoup de jeunes... D'habitude, je ne surveillais jamais. Maintenant, je suis sur le qui-vive la nuit."

Penser à l'avenir

Si elle croisait l'un des jeunes qui a fait ça, Carolle lui expliquerait que "s'il était dans un mal-être, il fallait venir en parler, venir communiquer, venir dire ce qui n'allait pas. Il aurait pu venir en toute confidentialité : on est sous secret professionnel. J'imagine aussi qu'il a dû être entouré par des plus grands qui l'ont poussé à casser, brûler. Si ça se trouve, on parle de jeunes qui n'ont jamais mis les pieds dans cette maison de quartier..."

"Mais c'est inutile, qu'ils réfléchissent avant d'agir : à quoi ça sert de casser des écoles, brûler des maisons de quartier? Ça ne leur apportera rien. Au contraire, ça coûtera de l'argent à l'action publique, et peut-être aux parents, et eux-mêmes. Il faut qu'ils arrivent à comprendre qu'ils sont en train de casser leur propre avenir. Ces maisons de quartier, elles ont été justement créées pour aider les gens en situation de précarité. On est là pour aider les jeunes qui ont du mal à y arriver." Elle regrette aussi "leur manque d'encadrement", pour certains.

Il faut qu'ils arrivent à comprendre qu'ils sont en train de casser leur propre avenir.

Carolle Marchand, habitante emblématique du quartier des Sénardes

Le maire (LR) de Troyes, François Baroin, a invité Carolle à la mairie dans la matinée du samedi 8 juillet. Tout le personnel des maisons de quartier a été convié. "Comme j'étais à la retraite, je n'aurais peut-être pas dû y être. Mais apparemment, Monsieur le maire a demandé à la responsable de la maison de quartier de pouvoir me rencontrer, discuter un peu avec moi." Il lui avait précédemment remis une médaille pour ses 30 ans de bons et loyaux de services rendus à la municipalité. 

En attendant la reconstruction de la maison des Sénardes, promesse du maire, les services et l'accueil seront délocalisés dans d'autres bâtiments qu'il reste à identifier. Ce sera moins convivial, ce sera minimum, mais le personnel municipal de Troyes continuera à rendre service à la population locale. Et peut-être même que Carolle, malgré sa retraite, viendra donner un coup de main. Jamais elle ne quittera son quartier. 

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