La télémédecine a pris son essor lors de la crise sanitaire. Ce mode de consultation peut apparaître comme une solution à la désertification médicale. Mais en Champagne-Ardenne, certains médecins se battent pour éviter les dérives et pour que cette pratique ne devienne pas un fonds de commerce. Ils veulent que l'éthique reste au cœur de la pratique.
Consulter un médecin alors que l'on fait ses courses. C'est possible par exemple dans un supermarché de Troyes, dans l'Aube, où une cabine de téléconsultation a été installée entre les rayons.
Nous avons tenté l'expérience en caméra discrète, après plusieurs demandes de tournage restées sans réponse. La promesse est d'obtenir une consultation en sept minutes. De notre côté, pour avoir un médecin pour examiner notre mal de gorge, nous avons attendu bien plus longtemps.
Au bout d'une demi-heure, un visage est enfin apparu sur l'écran de l'ordinateur installé dans la cabine. Vient alors le moment de manipuler les instruments disposés devant nous pour permettre au médecin d'observer le fond de notre gorge. Mais pour quelqu'un qui n'a pas l'habitude, il est bien difficile de positionner correctement la caméra pour permettre au médecin de faire son diagnostic.
Finalement, le praticien nous délivre une ordonnance, qui s'imprime comme un ticket de caisse. Il prescrit à plus de 500 kilomètres de distance du paracétamol et un antibiotique.
Une réponse efficace aux déserts médicaux ?
Il n'en demeure pas moins qu'il peut être séduisant de pouvoir se faire soigner à toute heure de la journée, dans un territoire qui manque cruellement de médecins. En Champagne-Ardenne, aucun département n'est épargné par la désertification médicale, principalement dans les zones rurales.
Mais pour Amandine Rauly, économiste de la santé à l'Université de Reims Champagne-Ardenne, qui a travaillé sur le développement de ses cabines, elles ne permettent pas de répondre efficacement aux défis que pose la désertification médicale.
"Si le public visé, ce sont les personnes les plus démunies et celles qui vivent en zone rurale, donc potentiellement des personnes plus âgées, on rate le coche, affirme-t-elle. Parce qu'on a des personnes réfractaires à déposer une empreinte de carte bleue et des personnes qui ne peuvent pas forcément avancer les frais d'une consultation."
Car ces consultations dans des cabines sont souvent plus chères, à cause de dépassement d'honoraires. En décembre 2022, une étude de la Drees, le service statistique des ministères sanitaires et sociaux, pointait que la téléconsultation était essentiellement utilisée par les habitants des grandes villes. "Sept téléconsultations sur dix sont réalisées avec des patients résidant dans les grands pôles urbains", notait la Drees qui ajoutait que "les patients qui consultent à distance sont en moyenne plus jeunes, plus urbains et moins précaires que ceux qui se rendent chez le médecin".
Des modèles alternatifs se développent
Pour lutter contre les dérives, un modèle différent a été développé au sein de la technopole de l'Aube. Il a été imaginé par Jérémy Goudour, ancien médecin urgentiste et il bénéficie du soutien de l'Ordre des médecins.
Chez Omedys, les praticiens consultent à distance uniquement des patients basés en Champagne-Ardenne. Leur priorité est de connaître l'environnement du patient et de conserver un parcours de soins coordonné.
"Si je vous vois aujourd'hui et que je vous prescris un antibiotique, si un autre médecin vous voit dans quinze jours et qu'il n'a pas la notion de l'antibiotique que je vous ai prescrit, on peut faire des bêtises", explique Jérémy Goudour, le cofondateur d'Omedys.
La grande différence est surtout que de l'autre côté de l'écran, un soignant accompagne le patient. Ce binôme complémentaire est rassurant, confirme David Hollard, venu consulter pour une douleur à l'épaule dans la salle de téléconsultation de Saint-Dizier, en Haute-Marne. Mais le dispositif est presque indispensable pour accéder aux soins. "C'est vraiment très compliqué, je vais à Bar-le-Duc, à Nancy pour l'hôpital. Je n'ai rien à Saint-Dizier à part la téléconsultation maintenant. Mais sinon, il n'y avait rien du tout", indique-t-il.
Pour Anne-Lise Dormont, l'infirmière qui l'accompagne ce jour-là, être présent avec le patient permet de faciliter le travail du médecin. "Les patients que je vois régulièrement, je connais aussi leur environnement, je connais leur famille. Donc c'est vrai que c'est plus facile pour les prendre en charge dans leur globalité d'être là", affirme-t-elle.
Aujourd'hui, Saint-Dizier compte deux salles de téléconsultation, rattachées au cabinet de Troyes. Elles font le plein tous les jours. La ville est devenue le premier pôle de téléconsultation assistée de France.