Bas-Rhin : une couturière retraitée conçoit des masques transparents pour faciliter, entre autres, la vie des sourds

Sourde de naissance, Sylviane Jelly est une couturière à la retraite. Installée à Dambach-la-Ville, elle a conçu un masque trois plis avec une partie centrale plastifiée. Son modèle fait fureur. Et, surprise, pas uniquement auprès des sourds et malentendants.

Les masques font désormais partie de notre quotidien de déconfinés. Pas facile pour tout le monde, surtout pour les sourds et malentendants qui lisent sur les lèvres. Une couturière de Dambach-la-Ville vient de concevoir un masque en partie transparent qui pourrait leur faciliter la vie. A sa grande surprise, ce masque est également plébiscité par un public plus large.

Au départ de cette aventure : l’histoire d’une amitié entre deux femmes. Sylviane Jelly, 62 ans, est sourde de naissance, mère de deux enfants à Dambach-la-Ville (Bas-Rhin) et couturière à la retraite. Anne-Marie Roca est installée à Limoges (Haute-Vienne) où elle s’occupe de l’association LSF Pi Tous (LSF comme langue des signes). Confrontée au manque de masque, et particulièrement de masques adaptés aux sourds, l’association limougeaude, très sollicitée par les familles, cherche des solutions.
 


L’Alsace et le Limousin, main dans la main

Anne-Marie Roca, responsable pédagogique des ateliers thérapeutiques pour LSF Pi Tous, fait appel à son amie alsacienne, Sylviane Jelly, ancienne couturière d’une maison de renom, Beauvillé, pour qu’elle réfléchisse à un modèle adapté et surtout exploitable. L’Alsacienne s’attelle à sa tâche avec beaucoup d’enthousiasme. "Elle qui était un peu angoissée par le confinement", raconte sa fille Noémie Jelly, "ça a donné un sens à ses journées".
 

Elle conçoit alors un masque trois plis, doté d’une fenêtre centrale plastifiée : il fallait y penser, Sylviane l’a fait. Elle le teste d’abord sur ses cobayes favoris : son mari et ses deux enfants. Noémie, sa fille, témoigne : "Avec la surdité de maman, j’ai appris la langue de signe avant même de parler. Même si je maîtrise cette technique, voir les lèvres bouger ou les expressions du visage, c’est vraiment utile". Sylviane Jelly dépose alors son modèle à l’Inpi.
 

Ce masque transparent est ensuite proposé aux familles par l’intermédiaire de l’association limougeaude LSF Pi Tous. Le succès est immédiat. A elle seule, Sylviane fabriquera 150 masques. Le phénomène prend encore de l’ampleur lorsque la presse locale s’y intéresse. Nouveau coup d’accélérateur. En quatre jours, 450 nouvelles commandes sont passées.
 
Les demandes proviennent des familles touchées par la surdité mais pas uniquement. Et c’est ce qui a surpris Noémie, la fille de Sylviane : "On a reçu des commandes de la part de services d’accueil de public, de crèches, de parents d’enfants autistes qui ont bien souvent de gros problèmes de communication. Ne pas voir le visage, cela peut être très angoissant pour certains".

Sauf que 450 masques pour une seule couturière, c’est beaucoup. Anne-Marie Roca prend contact avec la petite entreprise adaptée Luxetelles qui emploie moins d’une dizaine de personnes. Ils sont en capacité de fabriquer 200 à 300 masques par semaine. Le tissu, qui provient des Vosges, est déjà dans les ateliers.

L’objectif, c’est de réaliser un masque "Made in France" à 9 euros pièce. "Pour l’heure, les grosses commandes sont en suspens car nous devons faire homologuer le masque par la Direction générale de l’armement," précise Anne-Marie Rocca, "dès que nous aurons le feu vert, nous lancerons la production". Des orthophonistes, des crèches, des écoles et de nombreuses familles sont dans l’attente.
 

Le masque de la discorde ?

En se baladant sur les réseaux sociaux, on comprend vite que cette idée de "masque transparent" fait polémique dans la communauté sourde. Albert Tabaot est responsable pédagogique LSF dans l'association USM67 (Union des sourds et malentendants du Bas-Rhin). Il porte un masque unifié de type PF 95.
 


Albert Tabaot reconnaît que pour les sourds ou les malentendants qui ont un bon niveau de français, l'utilisation du masque transparent est une bonne alternative. Ils peuvent lire sur les lèvres et comprendre. Mais il tient à préciser "qu'en France, 70% des sourds sont illettrés et leur niveau en langue française ne leur permet pas une bonne compréhension même en lisant sur les lèvres. Pour eux la présence d'un interprète ou d'une personne ayant appris les bases de la LSF reste la meilleure solution".

Pour celles et ceux qui ont un niveau de français insuffisant, c'est très compliqué, d’autant plus compliqué quand l’interlocuteur en face parle vite. Même avec un masque transparent, un pharmacien qui donne la posologie d’un médicament trop rapidement (un comprimé le matin, un à midi, un le soir) peut être mal compris. C’est une grosse source d’erreur pour la personne sourde ou malentendante qui peut comprendre qu’il faut prendre les trois comprimés en une fois. Il y a un vrai risque.
 

Mais tout de même, le masque transparent semble pratique lorsque la personne oralise ? Oui, répond clairement Albert Tabaot qui tempère immédiatement : "Une personne sourde ou malentendante ne sait pas utiliser sa voix correctement même si on a essayé de lui apprendre. Il ne s'entend pas donc c'est difficile de réguler sa voix. C’est l’oreille interne qui va tenter de réguler les fréquences et celle-ci permet également de s’entendre. Et ses phrases ne sont pas toujours bien construites. La personne entendante en face ne va pas comprendre !".

Pour lui, il temps et important de s'intéresser à la LSF et à la culture sourde. Depuis février 2005, la langue des signes française est reconnue comme langue mais la FNSF (Fédération nationale des sourds de France) continue à se battre pour que la Constitution valide la LSF en tant que langue officielle. "Aujourd’hui en France, seules 8 personnes sourdes ont obtenu un doctorat grâce à l’utilisation de la LSF", regrette-t-il. Et d’ajouter : "Le mieux serait de s’intéresser à notre communauté pleine de richesses en lien direct avec des sourds. Ce n’est pas un handicap auquel il faut faire face mais simplement à un autre type de communication, une autre langue".

En cette période de crise sanitaire, ce débat autour masque transparent aura au moins permis de faire passer son message.
 

Une histoire de famille

A Dambach-la-Ville, le projet de Sylviane a dynamisé toute la famille, et tout particulièrement ses deux enfants. Noémie, bloggeuse dans l’âme, amatrice des do it yourself, et son frère, doué dans la vidéo et le son, se lancent dans un tutoriel vidéo en langue des signes dans lequel leur mère explique son patron. L’ensemble est en cours de préparation. Il devrait être mis en ligne prochainement sur la plateforme de patron de couture Makerist.
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