Franck Horand, un enseignant passionné de photographie, s'est installé à Hoerdt (Bas-Rhin) avec sa famille fin décembre 2019. Pour découvrir et sympathiser avec son nouveau voisinage, il a décider... de le photographier. En intégralité. Et tant pis si ça prend du temps.
Hoerdt (Bas-Rhin), petite ville de 4.300 âmes. À la fin du mois de décembre 2019, une famille schilikoise vient grossir sa population : c'est celle de Franck Horand, enseignant de formation, et photographe de passion. Afin de découvrir son voisinage, il a décidé... de leur tirer le portrait avec ses Nikon. Trois reflex numériques ne le quittant jamais. C'est plus conséquent que d'inviter à prendre le thé chez soi...
La page Facebook où il publie ses clichés se nomme Unchain my Hoerdt (littéralement libère ma Hoerdt, ou déchaîne ma Hoerdt). Elle a été créée le 24 août 2020 et présente une myriade de faciès humains, mais aussi canins, félins... et même celui du coq qui réveille Franck tous les matins. Pas rancunier, le Franck. On retrouve d'autres de ses saisies d'instant présent à Hoerdt (visible sur la carte ci-dessous) sur Instagram.
Portraitiser le voisinage, "ça permet de dépasser le simple bonjour, d'engager la conversation, de faire connaissance", raconte Franck à Émilie Skrzypczak des Dernières Nouvelles d'Alsace (DNA). Il a accepté de conter les coulisses de ces portraits photographiques auprès de France 3 Alsace. S'il tient son pari de photographier toute la ville, il finira avec 4.370 clichés (chiffres du recensement de 2017)...
L'homme parle d'une voix grave et lente (idéale pour la prise de notes... et de l'ASMR), multiplie les anecdotes et apartés, partage ses réflexions... Pour un peu, on voudrait faire partie des élèves de CM1/CM2 à qui il enseigne à l'école Saint-Jean de Strasbourg (Bas-Rhin). En plus, il leur apprend à faire de belles photographies. Surprise : ces élèves sont bien plus capables que nous de faire des photographies nettes et bien cadrées. Significatives.
Comment c'est venu, cette envie de portraitiser ?
"C'était très peu de temps après notre installation. Nos voisins nous ont invités. Ils étaient très sympas, et j'ai été fa-sci-né par leurs décos de Noël. C'était magnifique. Ne mettez pas magnifique entre guillemets." D'accord, c'était magnifique, donc. "Il y en avait partout, avec la reconstitution d'un village de Noël dans le salon. J'ai proposé de prendre ça en photo... puis eux. Ils n'ont pas encore accepté que ce soit publié... mais j'y travaille."
C'est difficile d'accepter ?
"J'ai tous les profils : des expressifs, mais aussi des personnes recroquevillées. Ils sont un peu craintifs sur l'utilisation de leur image. Mais on passe beaucoup de temps à discuter. Et ils acceptent quand ils comprennent que c'est pour un album-photos du village. Par contre, quand je mentionne Facebook et Instagram, là, il y a encore de petites réticences. Et on me demande pourquoi."
Eh bien justement, pourquoi les réseaux sociaux ?
"Si je veux réaliser un album-photos, c'est pour l'inscrire dans le XXIe siècle. Il a toute sa place en ligne. Et ça permet de partager très loin les images de cette ville d'Alsace [en voici un exemple transgénérationnel ci-dessous; ndlr]."
On pourra les voir "en vrai" ?
"Il a été question d'exposer les photos. Il y a toute une population assez âgée, qui n'a pas forcément les outils pour aller voir ça les images en ligne. On pourrait toucher une plus large partie des habitants, faire un travail de mémoire... Et vous me parliez de les verser aux archives municipales : j'espère bien. Conservées pour l'avenir [avec les registres d'état-civil ou actes de naissance; ndlr], elles serviront pour les générations futures."
Vous allez vraiment photographier 4.000 personnes ?
"Mais oui. Photographier toute la population, c'est un défi fou que je me suis lancé à moi-même en riant. Puis je me suis dit que c'est 4.300 portraits à faire, qu'il y a du monde... mais que je vais vraiment le faire."
Ces personnes, deviennent-elles des ami(e)s ?
"Certains sont devenus des amis, oui. Après le portrait, on s'envoie des petits messages. C'est une période compliquée, et on se demande des nouvelles. S'il n'y avait pas... cette saloperie de coronavirus... je suis sûr qu'on serait tous les uns chez les autres, pour des petits apéros, voire plus."
Qui est votre plus belle rencontre ?
"C'est difficile à dire. Je pense que la photographie qui m'a le plus marqué, c'est celle que je n'ai pas encore faite... Ça vous va comme réponse ? *rire* Les rencontres sont toutes aussi marquantes les unes que les autres. Et si je dis ça, ça me laisse la possibilité de repérer d'autres gens que je rêve de photographier... car ils ont une particularité physique, ou une attitude engageante."Et qui rêvez-vous le plus de photographier ?
"Je les ai repérés en voiture... et je n'allais pas piler à côté d'eux, je ne veux pas faire peur... C'est un adorable couple de personnes âgées. Ils marchent tous les deux. Bras dessus, bras dessous. Ils sont souriants, ils transpirent d'amour l'un pour l'autre... Et comme je les vois toujours à un endroit différent, je ne sais pas où ils habitent."
Il vous faut combien de temps ?
"Entre la rencontre et le cliché... ça peut se compter en heures, voire en jours. J'ai un bon exemple. Nicolas, le couvreur-zingueur [qu'on voit sur la photographie ci-dessous; ndlr]. Je l'ai rencontré par hasard chez des amis. Il a la tête de l'emploi, il a une barbe... J'ai dit que j'aimerais bien le photographier en train de travailler. Il a dit non, qu'il n'aimait pas ça."
Mais il a changé d'avis ?
"Oui. Je l'ai photographié rapidement, avec son accord, pendant notre rencontre. Quelques jours plus tard, il voit la photo, et il m'envoie un message disant qu'elle est tellement belle qu'à présent, il accepte. Je suis donc allé chez lui quelques heures pendant qu'il travaillait. Avant que je prenne la photo, il m'a renseigné sur son métier. C'est le principe de toutes ces rencontres : on échange. Et j'apprends."Vous avez étudié les arts plastiques : on parle école ?
"On peut parler de mes élèves. Je leur partage ma passion. L'idée est partie des sorties scolaires : c'est l'instituteur qui fait les photos... J'ai trouvé plus judicieux d'impliquer les élèves. Et je me suis rendu compte que les enfants avec des difficultés écrites, orales, pouvaient s'exprimer autrement. Je peux leur apprendre ce qu'est le point de vue, le cadrage; travailler sur l'intention. Je demande : 'Tu veux montrer ça ? Alors comment tu vas t'y prendre ?'"
Et le résultat de leurs photographies ?
"Elles ont été publiées sur l'ENT [espace numérique de travail; ndlr] pour être consultables par les parents. Ça créé une réaction de leur part. Ils s'étonnent que leurs enfants peuvent faire de très belles images. J'avais fait un sondage : les élèves ont tous déjà photographié avec un téléphone, celui des parents le plus souvent. Ces parents ont donc déjà vu DES photos de la part de leurs enfants. Mais ne s'attendaient pas à LA photo."
Il y a eu d'autres "devoirs" photographiques ?
"Pendant le premier confinement, j'ai organisé une série 'arts confinés' [visible sur le Youtube du professeur-photographe et la vidéo ci-dessus; ndlr] avec tous les élèves de l'école, pas que ma classe. C'était très actif, il y a eu beaucoup de retours des parents comme des enfants. C'était une source de joie et de bonne humeur."Petite pensée de fin d'interview : le projet peu courant de Franck aurait assez de matière pour donner lieu à une adaptation intéressante en film ou série, style Netflix (ou Salto, plus corporate). Mais il ne pense pas à ça. Pour l'heure, c'est à Franck de réaliser ce projet, presque un "film de la vie", de sa vie, dont il choisira petit à petit chaque acteur et actrice (4.000, on le rappelle). Ce sera long, mais on compte bien continuer à le suivre. Jusqu'au bout.