INSOLITE. Et si le Cheese Naan, emblématique spécialité indienne, était une invention alsacienne ?

Qui dit gastronomie alsacienne, dit knacks, choucroute, raifort et j’en passe. Faites un très grand pas de côté. 8000 kilomètres. L’Alsace serait également le berceau du… cheese naan. Michel Risser, fils d’André, inventeur du naan fourré à la vache qui rit, nous raconte cette histoire à dormir debout, pendant au moins mille et une nuits.

Michel Risser, à 71 ans, est un peu le gardien du temple. Indou en l’occurrence. Depuis la mort de son père, André, en 1977, il a repris le flambeau et le tandoor (four traditionnel indien) du restaurant familial l’Annapurna.

Situé à Paris, tout près des Champs-Élysées, l’Annapurna a été le tout premier établissement à proposer de la cuisine indienne à Paris et peut-être en France. Difficile à dire. Le tout premier, ça, désormais, c'est certain, à proposer le cheese naan. Découverte empirique devenue le must have de la cuisine indienne. Depuis son ouverture en 1967, l’Annapurna a vendu plus d’un million de cheese naan et a exporté la recette dans le monde entier. Inde incluse.

Michel nous raconte cette histoire tout aussi incroyable que l’homme qui en est à l’origine. Son papa. 

Voyageur enthousiaste

 

André Risser aimait les voyages et la bonne chère. Deux ingrédients majeurs pour la suite de notre récit.

Né en novembre 1927 à Steige (Bas-Rhin), André était fils de bistrotiers et livreur de fromages à ses heures perdues. "Pour avoir de l’argent de poche, il livrait les fromages à vélo des fermes du coin jusqu’aux restaurants de Sélestat". Des vaches vosgiennes à la vache qui rit, il n’y a qu’un sourire.

Incorporé de force pendant la guerre, rebelle et déserteur, le jeune homme aspire, à la Libération, à la légèreté et aux voyages. "Il se spécialise dans le commerce des aciers et métaux spéciaux et part découvrir le monde : Asie, Moyen-Orient, Afrique où il rencontre ma mère, une jolie anglaise". Là-bas, ce bon vivant, galvanisé par la liberté et l’insouciance retrouvées, goûte tout, écoute, apprend, aime.

Il décide de finalement s’installer à Londres avec sa famille qui s'est agrandie, Michel est né. Londres, promesse d’effervescence et de cosmopolitisme. Culinaire aussi. "Il aimait sortir, c’était un épicurien. Maman et lui fréquentaient les très bons restaurants londoniens (des Français restés à Londres, dans le quartier de Soho) étaient curieux de connaître les autres cuisines, leur transposition en Europe."

Il a trouvé à Londres une merveilleuse cuisine indienne, meilleure que l’originale. Les viandes y étaient bien plus savoureuses que là-bas où c’était à l’époque un peu anarchique.

Michel Risser

C’est ainsi qu’André découvre la cuisine indienne à la mode londonienne. Les immigrés indiens du Commonwealth britannique, installés depuis les années 50 en Angleterre, ont adapté leurs plats aux ingrédients du cru. Racontant ainsi, à travers ces mélanges, une drôle d'histoire, la leur. "Il y a trouvé une merveilleuse cuisine, meilleure que l’originale. Les viandes y étaient bien plus savoureuses qu’en Inde où c’était à l’époque un peu anarchique."  André est enthousiaste. Fort de l’atavisme familial, il décide d’ouvrir son propre restaurant indien. À Paris.

 Le fromage adoucit les mœurs

Le 22 novembre 1967, l’Annapurna ouvre ses portes, en lieu et place de l’Ambassade de Savoie, à deux pas des Champs-Élysées. Changement de décor et de personnel. André est entre-temps reparti en Inde pour débaucher deux cuisiniers indiens.

"Maurice Hertzog a été le premier à escalader l’Annapurna, le 8000 mètres. Il était savoyard. Papa a rendu hommage à cet homme via son nom, tout en faisant un clin d'œil à l'ancien établissement. Hertzog est même venu manger chez nous."

Pendant dix ans, l’Annapurna est resté le seul restaurant indien de Paris. Un pari fou. "À l’époque, mon père n’était plus si sûr de lui. Il se demandait si ça prendrait. La cuisine indienne avec ses multiples épices a des goûts très prononcés." Ce sont d’abord les Indiens eux-mêmes qui fréquentent le restaurant, puis la clientèle parisienne, avide de nouvelles sensations. "Ce n’était pas si évident, c’était la grande inconnue. Cette dernière connaissait, via les colonies, la cuisine d’Afrique de Nord, mais pas du tout l’indienne."

Papa a suggéré du fromage. Il a dit comme ça au commis : va à l’épicerie du coin, prend un paquet de Vache qui rit.

Michel Risser

Pour faire passer la pilule pimentée et s’adapter à cette clientèle au palais curieux, mais délicat, André élabore une nouvelle recette. "Le naan traditionnel est farci de viande et de légumes. Papa a suggéré du fromage. Je me souviens, il a dit comme ça au commis : va à l’épicerie du coin, prend un paquet de Vache qui rit …" Le cuisiner prend le pâton, malaxe la pâte et y insère le fromage avant la cuisson au four tandoor. Personne n’y croit vraiment. Quelle idée. "C’était bon dès le premier essai, excellent même." Ce truc hybride, sans nom, deviendra le cheese naan. "Papa avait le sens du marketing. À l’anglaise, ça sonnait mieux."

Au début, le cheese naan n’apparaît pas sur la carte. Au début seulement. Devant le succès de ces petits pains au fromage, proposés en appoint au détour d'une phrase, le patron lui fait une place de choix dans ses accompagnements. "Sur le moment, on ne s’est pas aperçu de l’ampleur du phénomène, c’était pour amadouer la clientèle, adoucir les épices de la cuisine indienne, c’était un produit d’appel pour rassurer le consommateur. Au début, on disait juste que c’était du fromage, mais les gens ont vite su que c’était de la vache qui rit, le secret a été éventé."

Épices and love

Deux ans plus tard, les années 70, les années Hippies, pointent le bout de leurs fleurs. Les voyages initiatiques en Inde sont fréquents, les clients davantage rodés aux saveurs exotiques : épices and love. Qu’importe, le cheese naan, même s’il n’a plus la même fonction tampon, reste. Mieux : s'impose.

Il est, depuis, devenu un emblème de la cuisine indienne. Un comble. "Ce qui est fou dans cette histoire, c'est que le cheese naan est devenu rapidement un marqueur de la cuisine Indienne contemporaine et figure désormais sur la carte de tous les restaurants indiens en France et dans le reste du monde… En Inde aussi."

La paternité du cheese nan est longtemps restée méconnue. Les Risser n’en faisant pas, malgré le feu du Tandoor, des gorges chaudes. "Papa est décédé en 1977, il aurait été surpris de vivre ça. Il aurait dit : mais qu'est-ce que j’ai fait ce jour-là ?"

Mon papa est décédé jeune, ça m’a touché qu’ils connaissent son histoire, c’est un sacré hommage quand même.

Michel Risser

Il aura fallu le livre du médiatique François-Régis Gaudry (On va déguster Paris) pour que l’Annapurna fasse, l’année dernière, une ascension fulgurante. En dévoilant l’origine improbable du cheese naan, ce dernier a braqué regards et fourchettes sur le restaurant et son incroyable invention. "C’était émouvant pour moi. Mon papa est décédé jeune, ça m’a touché qu’ils connaissent son histoire, c’est un sacré hommage quand même."

Ce qui touche le plus Michel au fond, c’est peut-être ce qu’il appelle "la mobilisation de l’Alsace". "Oui, ça y est hein, c’est officiel, le cheese naan est alsacien". Michel, jusqu’alors si discret, éclate de rire. "Beaucoup d’Alsaciens sont venus manger ici. Pour voir, pour me voir. Même les personnes de ma famille éloignée, très éloignée, m’ont contacté pour me féliciter. C’était très sympa."

Décidément, le cheese naan, doux et coulant, fait fondre les cœurs. Même ceux prétendus un peu froids. 

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